Le difficile accès à l’avortement médicamenteux

La Fédération des professionnels libéraux de la santé réclame un rendez-vous avec le gouvernement. © E.B.

Depuis 2018, les Calédoniennes peuvent, d’après la loi votée par le Congrès, avoir recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse hors des structures hospitalières. Or, dans les faits, les sages-femmes et médecins libéraux ne peuvent toujours pas réaliser cet acte en cabinet. La Fédération des professionnels libéraux de la santé réclame son application au plus vite.

« Il est urgent qu’on prenne soin des femmes dans leur santé globale, aussi bien des mères, de celles qui veulent l’être, celles qui ne veulent pas l’être et celles qui ne peuvent pas l’être. » Julie Coupé-Noury, sage-femme libérale, perd patience.

Elle et ses consœurs se battent pour exercer pleinement leur métier. Les interruptions volontaires de grossesse médicamenteuses ne peuvent toujours pas être réalisées par les sages-femmes et les médecins libéraux hors des structures hospitalières. Or, la loi a été votée… le 1er mars 2018. Il y a déjà cinq ans. « Un retard qui témoigne d’une fragmentation réglementaire chronique mettant en péril les avancées sanitaires du pays », souligne la Fédération des professionnels libéraux de la santé, dont le syndicat des sages-femmes fait partie.

Pour bien comprendre, il faut remonter à 2016, année où la loi est entrée en vigueur dans l’Hexagone. La sage-femme devient compétente pour prescrire et pratiquer l’IVG médicamenteuse. Deux ans plus tard, le Congrès vote son extension sur le territoire permettant donc (normalement) aux Calédoniennes un accès facilité à l’avortement. Chose qui, finalement, n’est toujours pas possible en 2023.

« Il existe un vide juridique. On a contacté le gouvernement, on a été reçu par le Congrès, on a demandé de nombreux rendez-vous qui sont restés sans aucune réponse de la part des politiques », se désole Julie Coupé-Noury. « On a un Congrès qui prend un texte qui reste lettre morte, car on n’a pas su le traduire en concret dans la vie de tous les jours », s’alarme Patrice Gauthier, président de la Fédération des professionnels libéraux de la santé.

UNE « FORME DE VIOLENCE »

Le fait que ces médicaments soient uniquement accessibles dans les officines hospitalières complique le parcours de soin des patientes. « On a beaucoup de femmes pour qui aller à l’hôpital n’est pas une démarche si spontanée pour des questions de distance, de peur, de moyens… », rappelle Patrice Gauthier. Les Calédoniennes vivant en Brousse n’ont parfois pas la possibilité de se déplacer. « Même pour celles qui habitent au Mont-Dore, il y en a qui n’ont pas de véhicule, venir au Médipôle c’est un calvaire ! », appuie Claire Holstein, sage-femme hospitalière au Médipôle, qui travaille au service orthogénie.

Et dans ces moments-là, il faut réagir vite. Des délais sont à respecter. L’IVG médicamenteuse doit être réalisée entre 7 et 9 semaines. Au-delà, c’est une procédure chirurgicale qui implique une anesthésie, une hospitalisation en ambulatoire… Un acte bien plus lourd, invasif, traumatisant, risqué et coûteux. « Une IVG médicamenteuse, c’est 21 000 francs, une IVG chirurgicale 90 000 francs », compare Claire Holstein.

Les femmes doivent également raconter leur histoire plusieurs fois à des interlocuteurs qu’elles ne connaissent pas. Répéter, se justifier sur un acte qui est déjà loin d’être évident. « C’était dur même si j’ai été très bien reçue à l’hôpital. C’est une forme de violence », témoigne une patiente vivant en Brousse qui souhaite rester anonyme.

Julie Coupé-Noury a enregistré une augmentation des demandes d’avortement l’an dernier, avec parfois plus de trois sollicitations par semaine. Des demandes à chaque fois faites dans l’urgence, le désarroi et la détresse. « Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a mis 20 ans à légaliser l’avortement sur le territoire. On ne va peut- être pas attendre 15 ans supplémentaires. »

Edwige Blanchon

En chiffres 

Au 31 juillet 2023, le Médipôle recense 492 consultations d’IVG.
« On en a programmé 278 et on en a réalisé 147 chirurgicales et
132 médicamenteuses. Dans les médicamenteuses, 1/3 était
à domicile et 2/3 en hospitalisation », informe Claire Holstein.