« Le dialogue entamé le 26 juin 1988 ne s’est jamais interrompu »

Il y a trente ans, le 26 juin, moins de deux mois après le drame d’Ouvéa, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, accompagnés de Michel Rocard sont parvenus à l’impensable au terme de longues et difficiles négociations : s’entendre sur les conditions d’une paix durable en Nouvelle-Calédonie. Ces accords, symbolisés par la fameuse poignée de main, ont forgé l’évolution du territoire ces trente dernières années. Un processus sur lequel nous avons voulu revenir avec le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, Thierry Lataste. 

 

Qu’est ce qui vous a personnellement marqué dans la négociation, la signature des accords de Matignon, fondateurs à bien des égards de la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui ? Que retenez-vous en particulier ?

Comme tout le monde, je crois, c’est la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou qui me vient à l’esprit.
Parce qu’elle symbolise l’engagement de deux hommes qui ont eu le courage de dire qu’il n’y aurait pas de paix en Nouvelle-Calédonie si l’on se contentait de signer un texte prenant acte de la victoire d’un camp ou d’un autre sur tel ou tel sujet. Mais que cette paix, pour qu’elle perdure, il fallait tenter de la construire dans la durée, dans le dialogue. Parce qu’elle illustre aussi le courage de s’engager pour la paix au-delà des intérêts partisans immédiats et le risque assumé – qui s’avérera dramatique – d’affronter les extrémistes de son camp.

Il faut bien avoir à l’esprit qu’aux yeux de beaucoup, cet accord, cette poignée de main, étaient jusque-là totalement inimaginables. Tout cela était porteur d’espérance sur le papier, restait à convaincre. Cela relevait du pari ! Lorsqu’il s’est adressé aux Calédoniens à l’issue de la signature, Michel Rocard leur a d’ailleurs demandé cette confiance en leur disant : « Reprenez espoir, une page nouvelle va pouvoir s’écrire non par les armes mais par le dialogue. »

Pourquoi cette page de l’histoire est elle aussi importante aux yeux de l’État ?

Si la page était nouvelle politiquement, elle l’était aussi institutionnellement ! Il allait falloir inventer la mise en œuvre de ce qui avait été signé. L’accord de Matignon, suivi quelques jours plus tard par celui d’Oudinot, c’est l’émancipation par la provincialisation : pour la première fois, le pouvoir allait sortir de Nouméa ! C’est aussi la naissance de 400 cadres, devenu aujourd’hui Cadres avenir, des engagements économiques, des créations d’infrastructures de grande envergure. Tout cela, l’État allait partager la responsabilité de le réussir.

Quel bilan portez-vous sur ces accords, trente ans après : Qu’est-ce qui a fonctionné et qu’est-ce qui n’est pas réglé en Nouvelle-Calédonie ?

La Koné-Tiwaka, le centre culturel Tjibaou, les près de 1 700 Calédoniens formés par les programmes 400 cadres, puis Cadres avenir, tout cela est le fruit des accords de Matignon-Oudinot. Les inégalités ont été réduites, mais insuffisamment, certains grands problèmes sociétaux, comme le rapport à l’alcool, longtemps laissés de côté. Mais je note avec satisfaction que les choses changent et que l’État est toujours aux côtés des Calédoniens, notamment à travers les contrats de développement, qui sont négociés tous les cinq ans et permettent d’adapter l’investissement public aux besoins du territoire.

Selon vous, quel poids a porté et porte aujourd’hui l’héritage de ces protagonistes et de cette page de l’histoire sur les hommes, les façons de faire ?

Même s’il n’est pas toujours facile, le dialogue entamé le 26 juin 1988 ne s’est jamais interrompu. Il était inexistant auparavant, il est désormais incontournable. Cela ne veut, bien sûr, pas dire que les désaccords n’existent pas, le contraire serait d’ailleurs inquiétant, mais la confrontation se fait désormais par le débat d’idées.

Quoi qu’il advienne au référendum, il faudra un jour « sortir » de ce processus. Apporter un regard neuf, avoir de nouvelles idées. Cela implique-t-il qu’il faudra aussi s’« émanciper » de cet héritage ?

Comme les hommes, une société est toujours le produit de son histoire. Mais, comme l’a montré l’accord signé en 1988, lorsque les hommes se parlent, ils ne sont pas enchaînés au passé. Quel que soit le choix des Calédoniens, on ne peut donc que souhaiter que la voix du dialogue soit toujours privilégiée.

 

En 1988, Thierry Lataste était secrétaire général de la préfecture des Deux-Sèvres. Il est venu pour la première fois en Nouvelle-Calédonie un an plus tard, en juin 1989.

 

Propos recueillis par C.M.