« Le cœur du problème, c’est que la femme qui quitte son mari n’a plus rien »

Mariée à 16 ans, divorcée 25 ans plus tard, femme « libérée », comme elle le dit elle-même, à 60 ans, Yvette Danguigny affirme son indépendance et poursuit son combat pour l’émancipation des femmes notamment en tant que collaboratrice du groupe UC-FLNKS et Nationalistes et Éveil océanien au Congrès rattachée à la commission de la famille.

DNC : Que représente pour vous la Journée contre les violences faites aux femmes ?

Yvette Danguigny : Je dirais que c’est la reconnaissance, la prise en compte et la mise en valeur de la personne de genre féminin. On reconnaît que c’est une personne comme le genre masculin, il n’y a pas de différence, cela met en valeur l’égalité.

La Nouvelle-Calédonie est particulièrement touchée par ces violences, comment expliquer ce phénomène ?

Je pense que c’est un problème de société. Notre pays est en mutation et en plein développement et il se cherche, tout comme la classe politique. Il y a ces deux blocs et pas de stabilité, ce qui fait qu’il n’y a pas la paix. Et quand il n’y a pas la paix, cela se transmet sur les personnes. La société calédonienne est blessée par tout cela, elle n’est pas apaisée et il y a beaucoup d’incompréhensions.
Il y a aussi le fait que de nombreuses familles vivent en-dessous du seuil de pauvreté. C’est vrai, la violence est dans toute les classes sociales, mais les plus pauvres sont souvent très menacés parce qu’ils ont davantage de soucis, sur les finances, l’éducation des enfants, le bien-être. La violence vient aussi d’un manque d’éducation, et elle concerne toutes les communautés.

 

Il faudrait harmoniser et conjuguer tout ce qui est bien dans chaque aire coutumière. »

 

Est-ce que la coexistence, parfois difficile, des deux cultures occidentale et mélanésienne, qui sont différentes, peut jouer un rôle ?

Tout est arrivé très vite. Cela fait 168 ans qu’on nous demande de vivre comme les Français à côté de ceux qui ont déjà 300 ou 400 ans de civilisation après que le colonisateur soit arrivé. Il y a plus de violences au sein du peuple kanak et dans les autres communautés océaniennes, on a encore vu, il y a quelques jours, cette femme battue et transportée dans une voiture. Jusqu’où on va aller ? C’est une maladie de la société calédonienne.

Comment faire évoluer cette situation et participer à l’émancipation des femmes ?

Moi, j’ai été mariée coutumièrement à l’âge de 16 ans, en 1977. Je n’ai pas choisi mon mari. Tes parents ne veulent pas non plus, mais il y a la pression des aînés, de la coutume. Mes parents ont dit oui, mais ils ont quand même pleuré le jour de mon mariage. Avec mon mari, on s’est séparés au bout de 25 ans. Je suis arrivée dans une famille où je ne comprenais pas la langue, où je ne connaissais personne, je n’avais pas de maison, on vivait chez les parents, chez la grande sœur et je me suis battue pour comprendre la langue. J’ai grandi là-bas, j’ai appris à faire de la politique et je me suis battue pour tenir ce mariage envers et contre tout. Tout cela m’a forgée aujourd’hui sur le combat des femmes.

J’ai dit à ma belle-fille que le jour où mon fils la tape et qu’elle ne se sent plus bien, elle prend les enfants et elle part. Elle m’a regardée… Parce que cela ne se fait pas dans notre société, moi je suis là pour éduquer ma belle-fille puisqu’elle va me remplacer dans le clan. Je l’ai vécu et je dis que ça ne doit plus se faire, ça ne doit plus exister les maris qui tapent les femmes avec les enfants.

Est-ce que ces violences sont encore taboues ou la parole s’est-t-elle libérée ?

On en parle à l’intérieur du clan. Il y a aussi de plus en plus de femmes qui portent plainte directement à la gendarmerie sans passer par les coutumiers. Après, il y a des endroits où c’est plus facile d’en parler que d’autres, mais ça commence à se libérer. Tout l’enjeu aujourd’hui est de trouver des solutions qui englobent le bien-être des enfants et de la maman.

Il faudra mettre le Sénat et les coutumiers face à ces difficultés-là. Le Sénat a monté un groupe de travail pour cela, dont je vais faire partie, cela veut dire que dans les consciences, ça fait son chemin, cette thématique de la violence. Deux sénateurs ont pris ça à bout de bras, Sinewami de Maré et Vhemavhe de Hienghène, ce sont deux jeunes, et je ne désespère pas parce que je sais qu’il y a des hommes avec nous même s’ils sont peu nombreux. Au Sénat, quand tu prends la parole, tu vois ceux qui te regardent en face et ceux qui ont toujours quelque chose à aller chercher dans leur sac.

 

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes hommes ont intégré cette idée de l’égalité. L’autorité, elle est souvent coutumière, mais dans la vie de tous les jours, l’homme est l’égal de la femme. »

 

Dans la coutume, la vision de la femme sacrée qui donne la vie et de l’homme détenteur de l’autorité n’est-elle pas en contradiction apparente avec la volonté d’égalité ?

On est dans un système de patriarcat, comme dans la plupart des sociétés du monde. Mais aujourd’hui, beaucoup de jeunes hommes ont intégré cette idée de l’égalité. L’autorité, elle est souvent coutumière, mais dans la vie de tous les jours, l’homme est l’égal de la femme. Et dans la coutume, la femme est prise en compte, on la reconnaît. Toutes les choses reviennent à la maman parce que c’est elle qui a donné la vie, qui a élevé. On ne la voit pas forcément, mais cette reconnaissance est là et elle est prise en compte.

L’une des principales difficultés réside dans les droits de la femme lors d’une séparation ou d’un divorce…

C’est le cœur du problème. Quand une femme est mariée coutumièrement, le jour où elle quitte son mari, à cause de violences par exemple, elle part avec les enfants et elle n’a plus rien. Tout ce qu’elle a pu acheter et construire sur les terres de son mari, elle n’a plus de droit dessus. Et le mari pourra prendre une autre femme et venir vivre dans cette maison puisqu’elle lui appartient. Ça, ça va être le point le plus épineux dans la recherche de solutions pour nos femmes violentées.

Il y a des endroits, comme dans l’aire Paîci, où quand une femme se marie, elle fait une coutume pour demander la terre. C’est le souci pour faire une seule loi pour le pays, il faut que les vieux s’entendent, parce que chaque aire a ses façons de faire les choses. Il faudrait pouvoir harmoniser et conjuguer tout ce qui est bien dans chaque aire, c’est pour ça que le groupe de travail qui va se mettre en place est très important.

Aider les femmes à développer une activité et à être plus autonomes économiquement pourrait aussi les aider ?

Il faut créer des projets sur terres coutumières pour que les femmes puissent travailler sur place. Pour cela, il faut trouver le statut des terres pour que les femmes aient accès au foncier. C’est un des projets que je porte depuis cinq ans, développer la culture du pandanus et la transmission du savoir-faire de la natte. Je l’ai fait dans le Nord et je continue dans le Sud, la province est intéressée. C’est aussi une émancipation pour les femmes et cela peut être une source de revenus.

Les pouvoirs publics en font-ils assez pour les femmes battues ?

En province Sud, je pense. Mais ailleurs, ça manque. Dans les îles, il y a les Eika chez les pasteurs, mais ce n’est pas assez isolé du mari violent. Dans le Nord, il y a un seul foyer avec trois places, mais il existe aussi un système de navettes. Par exemple, une femme de Ouégoa qui est battue peut être reçue par une famille d’accueil de Poindimié. Il faudrait que ce soit institutionnalisé.

 

Propos recueillis par Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)