Le budget met le feu aux poudres

Les débats ont tourné court, mardi matin, au Congrès. Accusant les indépendantistes de refuser le dialogue, l’Avenir en confiance et Calédonie ensemble ont quitté l’hémicycle. L’Union calédonienne et l’Union nationale pour l’indépendance ont dénoncé la « mauvaise foi » de leurs adversaires et ont voté seuls le budget 2022.

Électrique la veille, l’ambiance n’était pas plus détendue au deuxième jour de l’examen du budget, mardi matin, le 30 mars, au Congrès. Sonia Backes et Louis Mapou ont un premier échnge plutôt vif. La situation se tient jusqu’au vote de la première partie du budget, celle qui concerne les établissements publics, adoptée par 29 voix pour et 25 contre.

Quelques minutes plus tard, le ton monte entre Gilbert Tyuienon et Philippe Blaise. Les partis loyalistes demandent une suspension de séance et n’en reviennent que pour annoncer leur départ.

« Ce budget a été élaboré sans concertation. Il n’y avait pas de sens à ce que nous restions », explique Virginie Ruffenach (Avenir en confiance). « Je suis élue depuis 13 ans, je n’avais jamais vu un budget voté sans amendements, insiste Sonia Backes. Il n’y avait aucune possibilité de dialogue, on a été méprisés. » Pour Philippe Michel (Calédonie ensemble), « on ne peut pas cautionner un abandon quasi manifeste de toute recherche de consensus » qui a « ramené la paix » dans le pays.

Sonia Backes et les loyalistes regrettent qu’aucun de leurs amendements n’ait été retenu.

 

« Pas la même faculté » d’encaisser

« Je suis prêt à tout entendre, mais pas à accepter que l’on quitte l’hémicycle parce que l’on n’est pas d’accord », tonne Louis Mapou. Pour le président du gouvernement, les loyalistes digèrent mal le fait d’être dans l’opposition. « Le nombre de fois où l’on a dû encaisser… Du fait de la partie que vous représentez, dit-il en s’adressant aux élus indépendantistes, qui est biculturelle, vous avez les ressorts qui vous permettent d’encaisser. Et je comprends que d’autres n’aient pas la même faculté. »

« Sans acrimonie aucune, nous voici confrontés au manque de solidarité et à la mauvaise foi de certains de nos collègues, estime Jean-Pierre Djaïwé (UNI), qui profitent de l’examen d’un budget ô combien important pour contester les actions de notre gouvernement », dont les choix n’ont pourtant « rien de révolutionnaire ».

« À aucun moment on avait imaginé quitter le Congrès »

Pour Pierre Chanel Tutugoro (UC-FLNKS), l’ « épisode malheureux » du départ des loyalistes est lié à la majorité de 29 voix, dont les trois de l’Éveil océanien, qui s’est ensuite abstenu lors du premier vote. « Ce n’est pas la majorité qu’ils attendaient. Le bruit courait que le budget ne passerait pas… »

Gil Brial (Avenir en confiance) dément tout calcul. « À aucun moment, on avait imaginé quitter le Congrès. On a été poussés. » Il va plus loin. « Les Calédoniens ont voté trois fois pour rester dans la France, ce n’est pas pour se faire imposer une mini dictature. » Nicolas Metzdorf (Générations NC) espère que « ce rapport de force servira d’électrochoc aux indépendantistes ». « Notre acte est fait pour interpeller les indépendantistes sur la dérive autoritaire qu’ils ont dans l’exercice du pouvoir, qu’ils n’exercent qu’entre eux, que pour eux. On n’est pas des paillassons, on est des partenaires. »

 


Des moyens encore restreints

Le budget 2022, bouclé grâce au prêt de 21 milliards de francs qui doit être signé prochainement auprès de l’Agence française de développement (AFD), distribuera 103 milliards aux collectivités, soit huit de moins qu’en 2021. Louis Mapou avait évoqué un montant de cinq milliards supplémentaires, lundi. Cette somme correspond au reliquat des dotations de 2021 et non à une rallonge, comme l’avait compris Sonia Backes, hésitant entre « incompréhension » et « mensonge ». « Attention aux mots », s’est agacé Louis Mapou.

 

Gilles Caprais (© G.C.)

 


 

Des maires se sentent « laissés pour compte »

 

L’Association française des maires loyalistes dénonce une baisse des ressources des municipalités et indique que « les communes vont beaucoup souffrir cette année ».

 

Les communes ont un « rôle central », indique Georges Naturel, au centre, président de l’Association française des maires de Nouvelle-Calédonie, notamment en termes d’investissement public.

 

« Pour la première fois », les communes subissent « une baisse de 700 millions de francs au budget de répartition ». Georges Naturel exprime le « mécontentement » de l’Association française des maires de Nouvelle-Calédonie*, qu’il préside, concernant le projet de budget 2022, lors d’une conférence de presse le vendredi 25 mars. Depuis, l’AFM a été entendue au Congrès dans le cadre de l’examen du texte lundi. Et le document budgétaire a été examiné puis voté au Congrès mardi (lire page 4).

« Cela fait plusieurs années qu’on alerte le gouvernement sur l’état de nos finances. On a l’impression d’être des laissés pour compte. On n’est pas entendus et c’est très frustrant », estime Georges Naturel. Les maires rappellent qu’ils ont subi de plein fouet les conséquences des aléas climatiques, notamment sur le réseau routier, et de la crise sanitaire (mise en place de vaccinodromes et d’hospitels, délivrance des pass, etc.) « Et on n’a pas été dédommagés », pointe du doigt Eddie Lecourieux, premier magistrat du Mont-Dore et trésorier de l’association.

« Moins d’argent par habitant »

L’AFM souhaiterait qu’une partie du prêt de 20,88 milliards de francs souscrit par le gouvernement auprès de l’AFD leur profite aussi. « Il n’a pas été dit que la somme devait seulement revenir à la Nouvelle-Calédonie, considère Nicolas Metzdorf, maire de La Foa. On dira aux habitants que c’est la faute du gouvernement ce qu’on ne peut pas faire. » Conséquence, « les communes vont beaucoup souffrir cette année », affirme Georges Naturel.

« Les charges augmentent et la population aussi, donc on a moins d’argent par habitant. En plus, il y a une crise sociale », témoigne Pascal Vittori, maire de Boulouparis et secrétaire de l’AFM.

Une situation exacerbée par le fait que, n’ayant pas de fiscalité propre, les municipalités ne disposent pas de levier pour augmenter leurs ressources. Un sujet qui ne manquera pas d’être abordé « lors des discussions sur l’évolution statutaire et institutionnelle du territoire » auxquelles les maires entendent bien participer et se faire entendre.

 

*L’Association française des maires de Nouvelle- Calédonie, créée en 1985, regroupe les maires loyalistes du territoire. Elle représente 11 communes et 206 000 Calédoniens (Nouméa, Dumbéa, Mont-Dore, Boulouparis, La Foa, Kouaoua, Farino, Bourail, Moindou, île des Pins, Païta).

 

Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)