L’avenir sombre du Betico

Hermann Wea, matelot chez SudÎles, s'est mobilisé avec les salariés jeudi 1er février à la gare maritime, quai Ferry. (© A.-C.P.)

Mardi 9 janvier, Jacques Lalié, président de la province des Loyauté, annonçait sur NC La 1ère s’être rapproché de partenaires privés pour assurer la desserte des îles. Un choc pour les 57 salariés de SudÎles, exploitante du Betico. Depuis, ils manifestent chaque jeudi pour préserver leurs emplois.

« On a appris la nouvelle dans les médias, c’était dur pour nous, on ne s’y attendait pas », réagit Hermann Wea, matelot depuis dix ans sur le Betico. « Personne n’est venu nous voir, la direction n’a pas communiqué non plus », déplore Marie-Line Guathoti, chargée de clientèle. C’est l’incompréhension. « On était au courant du projet de la Compagnie maritime des îles depuis longtemps », reconnaît Hermann Wea, mais « on ne pensait pas que le Betico allait s’arrêter ». Jacques Lalié, président de la province des Îles, délaisserait ce dernier au profit du Havannah 2, futur ferry mixte de la CMI. Depuis un mois, le sujet est au cœur de toutes les discussions. « On ne parle que de ça, c’est notre avenir qui est en jeu et on ne sait pas ce qu’il va se passer après. » « On se lève le matin avec ça en tête, on compte les mois », ajoute Marie-Line Guathoti, qui participe à la quatrième mobilisation jeudi 1er février. Un jour où le bateau ne tourne pas, « pour ne pas gêner les voyageurs ».

Malgré « l’épée de Damoclès, on continue, on entretient, on fait comme d’habitude, pour que chaque passager puisse faire sa traversée », témoigne Kaya Ouckewen, responsable supports. Jusqu’à quand ? Il est question de deux ans avant la fin de l’activité du Betico. Si un possible reclassement a été évoqué, Marie-Line Guathoti sait qu’il n’y aura pas de place pour tout le monde à la CMI. Et, à 54 ans, Hermann Wea craint d’avoir du mal à retrouver un travail.

Kaya Ouckewen, responsable supports chez SudÎles. (© ACP)

« UN RETOUR EN ARRIÈRE »

Certes, le Betico 2, outre ses problèmes de conception, est vétuste et demande des réparations, mais pour Kaya Ouckewen, il répond toujours présent. « On ne fait jamais grève, on est toujours là quand il y a un problème avec les avions, on organise les marchés des îles… » Il a des qualités, notamment sa capacité et sa rapidité. « Le bateau a 355 places et va à une vitesse entre 25 et 30 nœuds. Il dessert Maré et Lifou dans la même journée, en quatre et cinq heures, alors que le Havannah 2 voyagera de nuit et mettra 12 heures. » Un changement qui repré-senterait « un retour de 40 ans en arrière », déclare Hermann Wea. « C’est avant qu’on passait les nuits en mer. » Et les taux de remplissage sont bons depuis l’année dernière : « on est entre 60 à 70 % alors que d’habitude c’est plutôt autour de 50 % ». Reste que l’exploitation est déficitaire, même si Kaya Ouckewen réfute les chiffres avancés par la province – 300 millions – concernant son soutien financier.

Au vu de l’âge de l’actuel navire, mis en service en 2009, SudÎles a également proposé, en 2022, les plans d’un Betico 3 « qui ont été refusés ». Visiblement, Jacques Lalié ne souhaite pas investir dans un nouvel équipement (lire également page 9). Le fait qu’aucun investissement ne soit inscrit au budget cette année serait le plus inquiétant, selon cet autre employé. « Pour nous, cela signifie la mise à mort du Betico. »

Marie-Line Guathoti, chargée de clientèle. (© ACP)

PRÉSERVER LE SERVICE PUBLIC

Les salariés débrayent chaque jeudi depuis le 11 janvier pour essayer de sauver « cet outil de travail pour le pays ». « S’il veut stopper tout ça, c’est comme s’il n’en avait rien à faire du combat de nos vieux », considère Marie-Line Guathoti. Les employés ont reçu le soutien du Sénat coutumier, d’élus de la province des Îles et de la population, assurent-ils. Le Betico occupe une place particulière pour les Calédoniens, souligne Kaya Ouckewen. « Les gens y sont attachés, il représente un trait d’union entre les Îles et la Grande Terre. »

Et puis il y a le symbole de cet acquis, instrument de désenclavement et de développement économique. « La disparition du Betico c’est une chose, mais celle de 57 emplois et du service public, c’est autre chose. » La responsable craint une situation de monopole et questionne les futurs tarifs. « L’augmentation du prix du gasoil en 2022 n’avait pas été répercutée sur le prix du ticket. Cela ne devrait pas être la même chose dans le privé. » Le personnel a lancé une pétition qui a recueilli plus de 1 200 signatures. « Les gens ne sont pas d’accord, ils veulent garder le bateau, glisse Hermann Wea, déterminé. Dans notre action, on ira jusqu’au bout, grève, blocage, pour sauvegarder le bateau et les emplois. »

 Anne-Claire Pophillat