L’autre non de Calédonie ensemble

Après les Loyalistes, Calédonie ensemble a présenté son projet le 11 septembre. Le parti appelle à voter non le 4 octobre, mais estime qu’un non sec n’aurait aucun sens. L’idée est de transformer le troisième référendum en consultation des Calédoniens quant à l’option à retenir pour l’avenir institutionnel qui pourrait prendre la forme d’un État associé.

C’est seul que Calédonie ensemble bat la campagne pour son non depuis fin juillet. Une décision qui a inspiré la dernière création de Pierre Gope, Convergences. Cette pièce de théâtre brûlante d’actualité met en scène Philippe Gomès, le leader de Calédonie ensemble, et les tiraillements entre la légitimité de la revendication indépendantiste et celle des autres communautés et, en particulier, des populations d’origine européenne de rester au sein de l’ensemble français. Cette « troisième » voie que questionne le dramaturge et que tente d’incarner Calédonie ensemble est toutefois loin d’être une évidence.

Si la solution peut paraître séduisante sur le papier, elle est bien difficile à définir clairement tant les oppositions entre indépendantistes et loyalistes sont profondément ancrées. Conjuguer l’indépendance et le maintien dans la France relève de la gageure. Dans cette logique, c’est tout naturellement que Calédonie ensemble ouvre son projet par l’image de la poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, poignée de main « qui a rétabli la paix, scellé la communauté de destin entre tous les Calédoniens et engagé notre pays dans un processus constitutionnalisé de décolonisation et d’émancipation au sein de la République ».

Le parti rappelle ensuite les discussions qui ont eu lieu depuis près de dix ans pour préparer les rendez-vous des consultations. Dans le cadre du neuvième Comité des signataires, en juillet 2011, une mission de réflexion sur l’avenir avait été conduite par Jean Courtial, conseiller d’État, et Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public. Les experts avaient alors présenté quatre issues possibles à l’Accord de Nouméa : l’accès à la pleine souveraineté sans lien avec la France, l’accès à la souveraineté assortie d’un lien privilégié avec la France, le statut d’autonomie étendue dans la République et le statut d’autonomie pérennisant le statut actuel.

Un contexte différent de celui 2018

Ces travaux ont par la suite été complétés au fil des Comités des signataires et des groupes de discussions jusqu’au dernier, le groupe de dialogue sur le chemin de l’avenir, mis en place par le Premier ministre, Édouard Philippe. Un groupe qui n’a pas pu aller au bout de la démarche après le départ des représentants des Républicains calédoniens et du Rassemblement, aujourd’hui réunis dans la plate-forme de l’Avenir en confiance. Une charte des valeurs calédoniennes a tout de même été produite et présentée en juillet 2018. C’est sur cette base que s’inscrit la campagne « Écris ton NON » de Calédonie ensemble.

Le parti fait toutefois le constat que le contexte est différent de la première consultation. CE se pose, d’une certaine manière, en observateur, dénonçant la tentation des indépendantistes de rompre le dialogue avec les formations politiques locales pour reprendre des discussions bilatérales avec l’État. De la même manière, il pointe la position des Loyalistes « en faveur de la partition du pays (ou ses avatars) » et des menaces réciproques de retour sur le terrain qui ne sont pas vraiment de nature à apaiser la population.

La dernière séance du Congrès des jeunes de la Nouvelle-Calédonie, qui s’est tenue samedi dernier, illustre parfaitement ces préoccupations. Ces 54 lycéens représentant la jeunesse du territoire estiment être mal informés de la situation et des conséquences d’un choix en faveur du oui ou du non. La plupart sont même habités par la peur d’un retour à la guerre civile. Cette représentation, qui compte plusieurs jeunes majeurs, regrette notamment qu’aucune communication sur les enjeux de ce rendez- vous n’ait été faite dans les établissements scolaires, contrairement à la consultation de 2018. Pour faire bonne mesure, un questionnaire sera envoyé à l’ensemble des élus du territoire ainsi qu’au haut- commissariat afin d’obtenir des réponses à leurs questions. Une situation ubuesque où les partis politiques se déchirent pour l’avenir des jeunes Calédoniens tout en montrant leur incapacité à dialoguer et les informer.

En dehors de cette question de la jeunesse et des messages anxiogènes dont est copieusement abreuvée la population, Calédonie ensemble propose de définir une nouvelle organisation politique, à partir d’un consensus trouvé avec les indépendantistes. Une nouvelle organisation qui devra être négociée au lendemain de la deuxième consultation et qui aura vocation à être validée par les Calédoniens, à l’occasion du troisième et dernier référendum dont la question binaire aura été modifiée.

©archive DNC 

Pour une forme d’État associé

Cette nouvelle organisation institutionnelle devra avoir un caractère définitif, un peu dans l’idée de ce que proposait Jacques Lafleur avec le pacte cinquantenaire. Le projet prévoit également d’intégrer un droit à l’autodétermination pouvant continuer à être exercé. Il s’agit peu ou prou de l’organisation institutionnelle relevant de l’État associé, solution mise en œuvre par plusieurs pays du Pacifique ayant accédé à l’indépendance comme les îles Cook, Niue, Marshall, les États fédérés de Micronésie ou encore les îles Palaos.

Pour faire simple, ces pays sont indépendants, mais ont confié l’exercice des compétences régaliennes aux grandes puissances auxquelles ils sont historiquement attachés. Ils peuvent néanmoins récupérer à tout moment leur souveraineté au travers d’une décision de leur Parlement avec une majorité qualifiée. Cette formule, recommandée dans une large mesure par l’ONU, l’a également été par les deux experts, Jean Courtial et Ferdinand Mélin- Soucramanien, dans leur rapport de 2013. On ne parle plus de l’indépendance association proposée par Edgar Pisani, ministre chargé de la Nouvelle-Calédonie particulièrement décrié sous la première présidence de François Mitterrand, mais l’idée est là.

Calédonie ensemble prévoit de « calédoniser » les administrations régaliennes qui seront cogérées par la France et le territoire. Ainsi, la police, l’armée ou la justice resteraient dans le giron de l’État français, mais seraient amenées à muer en favorisant l’accès des Calédoniens aux postes à responsabilité. Les signes identitaires devront également être revus, comme le proposait l’Accord de Nouméa. Drapeau et autre symbole d’une citoyenneté commune devront être trouvés. La souveraineté de la Nouvelle-Calédonie est donc clairement revendiquée, notamment au travers d’une politique économique favorisant l’autonomie du territoire, passant également par une plus grande autonomie alimentaire et énergétique.

L’organisation institutionnelle envisagée est radicalement différente de celle portée par les Loyalistes, qui militent pour le renforcement des pouvoirs des provinces au détriment de ceux du gouvernement et pour l’exercice d’un pouvoir sur le principe majoritaire. Calédonie ensemble propose, au contraire, de conserver le fonctionnement proportionnel du gouvernement et de revoir la répartition des compétences attribuées aux provinces et au gouvernement pour améliorer l’efficacité de leur exercice sans fragiliser le rôle et la place de l’exécutif.


L’ouverture à la citoyenneté calédonienne ?

Calédonie ensemble, qui ne souhaite pas de transfert de nationalité, propose de pouvoir ouvrir à nouveau l’accès à la citoyenneté calédonienne avec différents critères. Le premier est la durée de résidence qui reviendrait à dix ans. Seraient également pris en compte les intérêts matériels et moraux ainsi que l’engagement citoyen. Cette proposition s’adresse tout particulièrement aux 40 000 personnes actuellement exclues du corps électoral provincial.

M.D.