L’ADN pour révéler la biodiversité aquatique

Faire un inventaire de la biodiversité en mer ou en rivière est une mission difficile. Une nouvelle technique devrait faciliter la tâche des scientifiques calédoniens, grâce à l’analyse des fragments d’ADN semés dans l’eau par les espèces aquatiques.

 

Analyser les fragments d’ADN laissés par de mystérieux individus. La technique semble plus relever de la police criminelle que de la recherche scientifique. Pourtant, elle intéresse de plus en plus les chercheurs en écologie. Cellules, écailles, peau, excréments… les animaux laissent dans l’environnement de nombreuses traces sous forme de fragments d’ADN. C’est l’ADN environnemental. Grâce à l’étude de ces cartes d’identité génétiques, les chercheurs peuvent inventorier les espèces qui vivent dans un écosystème sans même avoir besoin de les observer.

En Nouvelle-Calédonie, l’ADN environnemental est à l’essai pour répertorier la biodiversité des rivières des massifs miniers. Cette technique est en effet particulièrement intéressante dans l’eau, un milieu où les espèces, parfois très mobiles, sont difficiles à observer. A fortiori pour les espèces rares qui comptent peu d’individus. Ce projet, financé par le CNRT Nickel à hauteur de 10 millions de francs, doit permettre de mieux identifier les espèces vivant dans les cours d’eau afin d’évaluer l’impact minier sur ces écosystèmes. La démarche consistera à comparer la biodiversité aquatique en fonction de la proximité des activités minières.

Une vision plus complète de la biodiversité

« Cette méthode est plus facile à mettre en œuvre que les techniques d’observation classiques », explique Jonathan Grondin, de Spygen, un laboratoire français dédié à la recherche sur la biodiversité à partir de l’ADN environnemental et partenaire du projet. Il est certes moins fastidieux d’analyser des échantillons d’eau plutôt que de mettre une rangée de pêcheurs avec des épuisettes électriques dans une rivière pour attraper les animaux qui passent. Autre avantage, l’impact écologique est plus limité puisqu’il n’y a plus besoin de prélever les individus pour les identifier.

Méthode récente, l’ADN environnemental commence à faire ses preuves. Selon une étude publiée dans Nature Communications en 2016, cette technique a permis  de détecter dans une rivière suisse 296 familles d’espèces (de l’amibe à l’homme). Elle apporte ainsi une vision plus complète de la biodiversité. Le laboratoire Spygen défend aussi son bilan, en donnant l’exemple des résultats d’une campagne de détection de la grenouille taureau en Sologne. L’ADN environnemental a permis d’identifier l’animal sur 38 sites contre seulement trois avec les méthodes classiques. Des informations utiles pour organiser ensuite l’élimination de l’espèce invasive.

Mais la méthode a aussi ses limites. à la différence des campagnes de comptage ou d’observation, elle ne permet pas d’évaluer la taille d’une population. L’analyse de l’ADN repose aussi sur l’existence d’une base de référence génétique de toutes les espèces, autrement dit sur une sorte de catalogue qui associe une séquence génétique à une espèce. Ces données n’existent pas pour de nombreuses espèces endémiques d’eau douce calédoniennes et il faudra donc créer une base de référence génétique locale. Autant de points que le projet du CNRT Nickel devra évaluer à l’aide de ce projet pilote avant de valider la méthode.

Confirmer la présence de requins invisibles

L’ADN environnemental est aussi utilisé en mer par l’équipe de Laurent Vigliola à l’IRD.  Dans une étude publiée début décembre dans la revue Nature – Scientific Reports, les chercheurs viennent de démontrer l’efficacité de la méthode en détectant la présence de nombreuses espèces de requins dans le lagon. Une vingtaine d’échantillons d’eau de mer ont permis d’identifier 14 espèces de requins dans les récifs isolés de l’archipel, contre seulement cinq à Nouméa. « être capable d’étudier l’écologie de ces animaux emblématiques à partir de quelques litres d’eau est incroyable ! Au début je n’arrivais pas à croire à nos résultats », s’est réjoui Germain Boussarie, coauteur de l’étude. Dans l’eau de mer, les fragments d’ADN se dégradent en quelques jours, ce qui signifie que leur présence détecte le passage récent d’un spécimen.

La technique est prometteuse face à la difficulté d’observer les squales. La Nouvelle-Calédonie accueille une quarantaine d’espèces de requins, dont une vingtaine qui vivent dans les eaux peu profondes et sont donc observables. Or les observations scientifiques grâce aux plongées et aux suivis par caméra permettent d’identifier seulement une dizaine d’espèces, selon le Laurent Vigliola, qui compte sur l’ADN environnemental « pour illuminer la part de cette diversité restée dans l’ombre ».

En donnant l’identité des habitants d’un cours d’eau, d’un lac ou d’un lagon, l’ADN environnemental permet ainsi une meilleure connaissance de la biodiversité aquatique. Un enjeu de taille alors qu’on assiste aujourd’hui à la sixième extinction de masse des espèces animales.