La structure des prix passée au crible de l’Autorité de la concurrence

People do shopping in a supermarket on August 9, 2010 in Gramont, southern France. AFP PHOTO / REMY GABALDA

En réponse à une saisine du gouvernement, l’Autorité de la concurrence a dévoilé, le 28 décembre, une étude sur la structure des prix des produits de grande consommation. L’organisme indépendant effectue de nombreuses recommandations pour modifier en profondeur la formation des prix afin de réduire le coût de la vie. Voici quelques éléments de l’étude à retrouver dans son intégralité sur le site de l’Autorité de la concurrence.

Avec la Polynésie, le Caillou est le territoire français d’outre-mer qui affiche les prix les plus élevés. Un constat qui se vérifie, étude après étude, sans que les différentes mesures des pouvoirs publics ne parviennent à l’infléchir. Selon l’étude la plus récente réalisée par l’AFD, l’IEOM et l’Isee dans le cadre des Comptes économiques rapides pour l’outre-mer, en 2015, l’écart de prix moyen entre la Nouvelle-Calédonie et la France métropolitaine est de l’ordre de 33 % (il s’est réduit de 1 % entre 2010 et 2015). Une différence
à relativiser puisque pour certains postes de consommation comme les produits alimentaires, elle peut atteindre plus de 73 %.

Depuis les grandes marches des années 2000 qui avaient conduit, en 2012, à la signature des accords économiques et sociaux entre les partenaires économiques, des dispositifs n’ont que très partiellement été mis en œuvre. Au-delà de la réalité qui s’est traduite par une hausse continuelle des prix jusqu’en 2019, le sentiment de cherté de la vie est toujours vivace au sein de la population. C’est une des raisons qui ont poussé le gouvernement à saisir l’Autorité de la concurrence afin de bénéficier de son expertise. L’idée étant que l’Autorité puisse formuler des recommandations susceptibles de faire baisser les prix. Le 28 décembre, la présidente de l’ACNC, Aurélie Zoude-Le Berre, a donc dévoilé cette étude de 150 pages qui examine en détail la composition des prix des produits. Mais attention, il ne s’agit pas de l’ensemble des prix, mais bien des produits de grande consommation, à savoir une centaine de produits dans les grandes surfaces de plus de 2 500 mètres carrés.

Ce travail est néanmoins loin d’être le premier du genre et toute la question est de savoir si le gouvernement sera capable de mettre en œuvre les 17 recommandations formulées par l’Autorité. Des recommandations auxquelles il convient d’ajouter certaines émises dans d’autres rapports, à l’instar de celui sur la filière fruits et légumes en 2018 (des recommandations actualisées le 11 janvier). Les lobbies économiques, particulièrement puissants, pourraient bien compliquer la tâche de l’exécutif. S’il ne s’agit pas du seul facteur expliquant la cherté de la vie, loin s’en faut, l’Autorité souligne que « ce sont essentiellement les écarts de compétitivité-coût qui expliquent les écarts de prix ».

En matière de production locale, le rapport rappelle que l’étroitesse du marché limite de fait la capacité des producteurs à écouler des volumes importants, limitant au passage les économies d’échelle. La taille des machines peut cependant difficilement s’adapter à l’étroitesse du marché, ce qui conduit à un surdimensionnement de l’outil industriel calédonien, encouragé par la défiscalisation. « Il en découle une sous-utilisation de l’outil de production (ne fonctionnant qu’à 30-50 %), impactant négativement la performance de l’appareil productif et in fine orientant à la hausse les coûts unitaires de production », analyse l’Autorité. Des surcoûts auxquels s’ajoutent ceux liés à l’insularité tels que le transport, mais également le stockage pour éviter les ruptures d’approvisionnement. La question de la main d’œuvre est également prégnante pour trouver du personnel qualifié, d’une part, et de l’autre, pour assurer la maintenance des équipements. Autant d’éléments qui favorisent « l’émergence d’opérateurs en situation monopolistique ».

Changement de philosophie

Sur cette question, l’Autorité recommande de choisir les filières à soutenir pour des raisons stratégiques et de les aider de manière à réduire le différentiel de compétitivité- coût. Celles n’étant pas considérées comme stratégiques doivent, selon l’ACNC, « être régies par la stricte loi du marché ». Les aides doivent consister en des mesures de soutien à l’investissement productif et à la réduction des charges. En parallèle, l’Autorité souligne la nécessité de supprimer les quotas à l’importation avec un accompagnement d’une révision de la politique douanière dont l’objet serait la protection des filières stratégiques et uniquement celles-ci.

Une réforme qui serait également l’occasion de tenir compte de la dimension environnementale en favorisant l’approvisionnement auprès des marchés les plus proches. Un volet qui nécessiterait la reprise des travaux favorisant l’intégration régionale de la Nouvelle-Calédonie. L’Autorité préconise, enfin, de supprimer toute forme de discrimination fiscale entre les produits locaux et importés. Autant de réformes qui vont faire grincer les dents des défenseurs de l’industrie de transformation locale. Ces derniers, en effet, rappellent régulièrement qu’ils représentent une toute petite partie des produits consommés par les Calédoniens. Les recommandations concernant l’agriculture vont plus ou moins dans le même sens.

Il est ainsi préconisé de supprimer le monopole d’importation et de commercialisation de l’Ocef, qui aurait simplement un rôle de régulateur des marchés de la viande locale. Pour les fruits et légumes, dont les prix ont explosé ces dernières années (+ 46 % pour les fruits et + 12 % pour les légumes entre 2010 et 2019), la principale recommandation est de supprimer les mesures de régulation quantitative pour les remplacer par une taxe à l’importation dans le cadre de la politique douanière protégeant uniquement les filières stratégiques. Un changement de philosophie probablement dur à accepter pour un secteur très subventionné qui doit, en parallèle, subir une cure « d’amaigrissement » importante.

Selon l’Autorité, un des facteurs importants de la cherté de la vie et l’écart de prix avec la Métropole réside dans l’accumulation des coûts et des marges des différents opérateurs. Elle encourage donc le gouvernement à favoriser les circuits courts et l’achat en ligne afin de réduire le nombre d’intermédiaires et donc les marges prélevées sur les produits. Là encore, les recommandations de l’ACNC sont plutôt iconoclastes par rapport aux pratiques actuelles. Il est ainsi préconisé, en matière d’achat en ligne, de relever le seuil de franchise et d’appliquer les mêmes droits et taxes sur les produits commandés en ligne que sur des produits identiques vendus localement.

Des premières mesures pour le mois de février ?

La question du transport et de la manutention occupe également une place de choix dans l’analyse. Le rapport pointe l’organisation de l’acconage (opération de transport, de manutention, de chargement et de déchargement des marchandises) qui repose aujourd’hui sur trois groupes (Ballande, Leroux et Kotra Uregei) et n’est donc pas concurrentielle, d’autant plus qu’un tarif négocié est appliqué en dehors de toute base légale auquel il faut ajouter des contrats d’exclusivité de 15 ans entre manutentionnaires et compagnies maritimes. Le résultat est que les tarifs de ces prestations

sont supérieurs de 10 à 87 % par rapport aux autres ports du Pacifique. L’Autorité estime qu’ils sont surévalués d’environ 20 %, ce qui n’est pas sans conséquence sur les prix. De même pour le transport aérien pour lequel Air France est en situation de monopole, il est recommandé d’ouvrir la concurrence en positionnant Aircalin sur le marché.

L’ACNC a également effectué un ensemble de recommandations concernant la protection du consommateur et plus généralement, la réglementation de la distribution et du commerce. Il est conseillé de faire évoluer le Code de commerce, qui est un copié-collé partiel de la réglementation métropolitaine.

L’Autorité préconise de renforcer les mesures dissuasives contre les mauvaises pratiques ou encore pour faire en sorte que les entreprises déposent leurs comptes auprès du registre du commerce (selon la Direction des affaires économiques, la moitié des entreprises calédoniennes ne rempliraient pas cette obligation légale). Il conviendrait également de donner les moyens à l’Observatoire des prix et des marges qui n’en a actuellement aucun, souligne le rapport. Un élément d’autant plus important que les marges sont vraiment élevées en Nouvelle- Calédonie, un élément qui ne ressort pas du rapport concernant les produits de grande

consommation. L’ACNC relève que la faiblesse des marges est à relativiser dans le sens où la plupart des entreprises font partie de groupes qui optimisent les marges. D’autres rapports, comme le rapport Syndex d’avril 2009 sur la structure des prix et des coûts en Nouvelle-Calédonie, montrent également qu’en moyenne, les entreprises calédoniennes appliquent un taux de marge élevé.

De manière plus générale, les pistes de réforme impliquent certains changements plutôt radicaux. Le membre du gouvernement en charge de l’économie et la fiscalité, Christopher Gyges, entend pourtant faire avancer ce dossier de la vie chère qui intéresse de nombreux Calédoniens. Selon lui, les premières mesures pourraient sortir d’ici février. Un rétroplanning est en cours de préparation au niveau de la DAE. Elles devraient être complémentaires aux mesures prévues dans le cadre de la loi de programmation fiscale qui devrait être soumise avant la présentation du budget de la Nouvelle-Calédonie envisagée, au plus tard au mois de mars. Une loi de programmation qui ne devrait plus seulement traiter la question fiscale, mais également les économies à réaliser pour assurer la pérennité du budget du gouvernement.

* Le rapport complet est à retrouver sur le site de l’Autorité de la concurrence (www.autorite-concurrence.nc).

M.D.

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