La rupture

Laura Vendegou, Virginie Ruffenach, Gil Brial, Sonia Backès, Philippe Blaise (de g. à dr.), en présence également d’Isabelle Champmoreau, Willy Gatuhau, Nina Julié et Naïa Wateou, lors d’une conférence mardi 26 mars, au Bout du monde.

Une semaine après avoir annoncé leur boycott des institutions, Les Loyalistes et Le Rassemblement ont appelé les Calédoniens à se mobiliser devant le Congrès jeudi 28 mars. Dans le même temps, la collégialité tombait au gouvernement. Un contexte peu propice aux discussions sur un accord global.

Quitter le Congrès n’était pas un « simple coup de colère », a indiqué Sonia Backès, lors d’une conférence de presse mardi 26 mars. Mais un point de départ de ce qui constitue « le premier acte » d’un « blocage qui perdurera si rien ne change », concrétisé par la manifestation devant l’institution jeudi 28 mars. « Il faut un électrochoc pour que ça bouge. » Déjà, mercredi 20 mars, quatre membres non-indépendantistes partaient de la séance du gouvernement, regrettant que l’exécutif « persiste dans l’impasse du matraquage fiscal ». « Prémonitoire de ce qui allait se passer jeudi », a déclaré Louis Mapou devant les médias lundi 25.

Quelques heures plus tard, Isabelle Champmoreau, Christopher Gygès, Thierry Santa et Yoann Lecourieux estimaient qu’en organisant ce point presse « avec les membres de sa majorité », le président marquait « la fin du gouvernement collégial, ne nous ayant ni informés, ni consultés sur son contenu », et de prévenir que, désormais, ils « s’opposeront de la manière la plus ferme possible à toutes les mesures confiscatoires qui seront proposées ». Louis Mapou considère s’être, à l’inverse, « beaucoup investi dans la collégialité » et entend poursuivre : « on souhaite que tout le monde s’inscrive dans cette démarche, mais on ne forcera personne à travailler avec nous ».

COUP DE PRESSION

Le lendemain, mardi 26, les Loyalistes et le Rassemblement s’en prenaient à la majorité indépendantiste, Sonia Backès l’accusant « d’être illégitime », « anti-démocratique » : « le Congrès ne représente plus le peuple calédonien », a-t-elle martelé. Seul le pacte nickel pourrait les faire retourner dans l’hémicycle afin de « voter le texte », car sa non-signature condamnerait « des milliers d’emplois ».

Plus encore, les indépendantistes mépriseraient les loyalistes, seraient « sectaires, doctrinaires, racistes ». Philippe Blaise leur reproche de ne plus être « dans le dialogue », d’être « sourds à ce que dit la société civile ». « Ça suffit, on ne va pas laisser notre pays entre les mains de pyromanes, d’irresponsables. »

Les réformes fiscales sont dans le viseur, une « politique mortifère », poursuit Virginie Ruffenach, favorable à un moratoire. « La volonté de mettre la Nouvelle-Calédonie à genoux afin de faire partir le plus de personnes », affirme Gil Brial, incriminant une « politique de la terre brûlée », prêts à aller jusqu’au bout. « Ils le disent : “on sait que ça va faire mal, mais c’est le prix de notre souveraineté” », cite Sonia Backès, rapportant des propos d’élus indépendantistes.

La Nouvelle-Calédonie serait même en train de vivre une ethnicisation des institutions, prétend Nina Julié, ciblant Roch Wamytan, « qui veut imposer un peuple sur un autre ». « On nous fait croire qu’on n’est pas chez nous ici, qu’on n’est pas légitimes. »

Louis Mapou et les cinq membres de la majorité au gouvernement, dont Gilbert Tyuienon (à g.) et Vaimu’a Muliava (à dr.), se sont exprimés devant la presse lundi 25 mars.

UN MESSAGE À L’ÉTAT

La veille, Louis Mapou ne s’est pas attardé sur la situation, jugeant simplement ces attaques indignes. « Le procès en illégitimité n’est pas à la hauteur de ce qu’on a réussi à construire depuis 1988. » Le président affirme au contraire que la présence des indépendantistes participe « à la stabilisation des institutions » et suggère plutôt à ses opposants de « déposer une motion de censure » contre le gouvernement.

Mais les non-indépendantistes savent qu’ils n’ont pas la majorité. Ils préfèrent se faire entendre. Ici et à Paris. Car pour eux, ce qu’il se passe résulte du gel du corps électoral et du déséquilibre dans la représentativité des provinces au Congrès. « Il faut aussi faire pression sur nos élus nationaux afin qu’ils interviennent. La Nouvelle-Calédonie est en train de dériver vers l’indépendance parce qu’on donne un surpouvoir aux indépendantistes. » Un message adressé à l’État alors que le projet de loi constitutionnelle sera soumis au vote mardi 2 avril au Sénat.

« Vous menacez la paix », déclarait Sonia Backès le 21 mars. Or, l’attitude des Loyalistes ne serait-elle pas à son tour de nature à échauffer les esprits et produire les effets dénoncés dans le camp adverse ? « C’est une stratégie irresponsable et dangereuse. À jouer la rue contre les institutions, il y a un moment où il faut s’attendre à un retour », alerte Philippe Michel (Calédonie ensemble), surpris par l’absence de réaction de l’État. « C’est incompréhensible. L’État fait preuve une fois de plus de partialité. »

Sachant qu’une mobilisation de la CCAT, déjà présente à l’entrée de la ville à Montravel mercredi 27, devait être reconduite le lendemain. Comment relancer les discussions sur un accord global en restant sur des postures ? « Il est difficile d’imaginer un dialogue dans ces conditions-là », argue Philippe Michel. L’entreprise de décrédibilisation de la majorité indépendantiste menée par les Loyalistes et le Rassemblement s’inscrit dans le calendrier national et local avec, en arrière-plan, les provinciales.

Mercredi, le Sénat a dit oui à un amendement qui octroierait plus de temps aux deux parties pour trouver un accord, jusqu’à dix jours avant le scrutin et non plus au 1er juillet. Mais, tout pourrait changer bien plus vite que prévu. C’est peut-être le pacte nickel qui aura finalement raison du gouvernement. Lundi, Louis Mapou a déclaré asseoir sa légitimité sur le document. Si le Congrès ne l’approuve pas, cela représentera « une forme de désaveu à l’égard de la majorité ». Le chef de l’exécutif a fait savoir qu’il « faudra bien qu’on en tire les conclusions ».

Anne-Claire Pophillat