La représentation nationale divisée sur la Nouvelle-Calédonie

Le député Philippe Dunoyer, rapporteur du projet de loi organique, à l’Assemblée nationale, lundi 18 mars. © Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

Lundi 18 mars, après le Sénat, l’Assemblée nationale a adopté le report des élections provinciales proposé par le gouvernement en prémices de l’examen du projet de loi constitutionnelle censé revoir le corps électoral pour ce scrutin. La séance a donné lieu à de vifs échanges, preuve que le sujet est toujours sensible en Métropole.

Majorité et opposition ne se comprennent pas non plus à 22 000 km sur le dossier calédonien. Il s’agissait d’examiner le projet de loi organique reportant au plus tard au 15 décembre 2024 les élections provinciales prévues en mai.

Selon le gouvernement, après avis du Conseil d’État, celles-ci ne peuvent se tenir avec le corps électoral gelé car les circonstances ont changé et un « risque juridique majeur » pèserait sur la convocation. Le délai est en outre jugé trop court, vu l’avancée des discussions, pour espérer promulguer d’ici mai la loi prévoyant le dégel.

Gérald Darmanin a rappelé que le principe de ce report avait été approuvé par une large majorité du Congrès de la Nouvelle- Calédonie le 17 janvier (70 %), seul l’UC-FLNKS et Nationalistes ayant voté contre, tout en « admettant l’idée d’un report », selon le député Philippe Dunoyer (Renaissance) rapporteur du projet. Plus largement, ce délai « laisse le temps nécessaire à la formation d’un consensus autour d’un nouvel accord ».

« Stratégie de la carotte et du bâton »

Le texte étant lié à celui sur le corps électoral, les interventions ont dépassé le strict cadre du report. Pour le député Nicolas Metzdorf (Renaissance), la seule province loyaliste est « noyée » par une sous-représentation des élus, les indépendantistes dirigent un pays où ils sont « de 16 points minoritaires dans les urnes » et « pire », des milliers de Calédoniens sont privés de leur droit de vote.

Les élus du groupe Démocrate ont insisté sur l’importance de donner une stabilité au territoire en pleine crise économique et Horizons a dit comprendre la nécessité de ces textes « dans l’attente de mieux ».

Dans l’opposition, LR et RN ont aussi voté favorablement, mais le premier a appelé le gouvernement « à se mobiliser davantage pour parvenir à un accord » et le second s’est attaqué violemment au président se « désintéressant du destin de la Nouvelle- Calédonie ». Le RN a prévenu que son vote ne préjugeait en rien de celui sur la réforme constitutionnelle.

À gauche, les socialistes qui avaient proposé un report de 18 mois, ont suivi. Mais de ce côté de l’hémicycle, une grande crispation s’est fait entendre contre une politique jugée « paternaliste » évoquant l’époque coloniale avec des critiques à l’échelle collective des territoires ultramarins.

Les écologistes ont épinglé une « stratégie de la carotte et du bâton ». « Inutile de faire pression pour un accord qui demande du temps, a lancé Sabrina Sebaihi. Vous mettez le Parlement devant le fait accompli en le faisant voter à l’aveugle deux lois qui courcircuitent les discussions […] et prenez le risque de grands embrasements. »

Pour Jean-Victor Castor (Gauche démocrate et républicaine), l’esprit des accords est en train de « régresser » avec ce « passage en force » et Maxime Mathiasin (LIOT) pense qu’il n’est tout simplement pas possible d’avancer sans accord clair avec les Kanak.

Par la voix de Bastien Lachaud, LFI, tout en ne se disant pas favorable au « gel perpétuel », a lancé un avertissement au gouvernement à « retrouver un esprit de paix ». Quasiment tous ont relevé l’ironie d’un tel report pour un exécutif qui tenait tant à ce que « les élections se tiennent à l’heure » pendant le Covid.

Risque d’instrumentalisation 

Philippe Dunoyer se satisfait que le texte ait été voté dans les mêmes termes qu’au Sénat, le contraire aurait encore raccourci les délais « pour éviter d’avoir à convoquer les électeurs en mai ». Il veut aussi retenir que « tout le monde appelle à l’émergence de discussions, la recherche d’un consensus, d’un accord global ».

En revanche, les « déclarations violentes » sont pour lui révélatrices d’un risque de récupération, d’instrumentalisation du dossier calédonien et « historiquement quand cela s’est produit, ça s’est mal passé ensuite en Nouvelle-Calédonie ». Pour éviter ce piège, une solution : le consensus local. « Quand il n’y a pas de consensus, ce dossier est suffisamment riche pour qu’il fasse l’objet de contestations qui nous éloignent de ce dont on discute. »

Deux étapes essentielles devaient suivre à l’heure de notre bouclage : l’examen mercredi 20 mars par la commission des lois du Sénat de la loi constitutionnelle et des amendements (représentativité et conjoints), avec un Sénat a priori très prudent.

Également très attendu, le congrès du FLNKS ce week-end. « Peut-être qu’il sortira quelque chose qui permettra au gouvernement de penser que le processus pourra s’arrêter en attendant qu’il soit remplacé ou suppléé par le texte qui fera l’objet d’un accord […] au moins modestement, un espace de discussion. » Gérald Darmanin a promis en effet qu’il pourrait « lever le stylo ».

Une Assemblée clairsemée

Le projet de loi a été adopté par 71 voix pour, 31 contre et 2 abstentions. Il y avait seulement 104 votants pour 577 députés, soit moins de 18 %. Pour exemple : Renaissance 44 voix pour sur 169 membres, LR 1 voix pour sur 62 membres, LIOT 1 abstention pour 22 membres.

Chloé Maingourd