La proposition de Pierre Frogier, un pavé dans la mare ?

Alors que le Comité des signataires a permis de poursuivre le travail engagé pour sortir de l’Accord de Nouméa, le sénateur a fait une déclaration, loin du consensus engagé par les représentativités anti-indépendantistes et loin aussi de l’opposition indépendantiste.

Beaucoup pensaient que Pierre Frogier s’était retiré, profitant des avantages d’un sénateur « loin de Paris », mais il n’en est rien. C’est depuis Paris, justement, après le dernier Comité des signataires, que l’élu, ex-chef de file du Rassemblement s’est exprimé. En résumé, le sénateur pense qu’il faut une Calédonie sans gouvernement avec des provinces qui définissent directement les relations qu’elles entendent avoir avec l’État. Une idée formulée par voie de communiqué et détaillée dans une interview ce week-end dans les Nouvelles calédoniennes.

Pour apporter des précisions, la secrétaire générale du Rassemblement-LR, Virginie Ruffenach, invitée au Club politique de RRB, a eu loisir d’indiquer que c’est en sa qualité d’homme d’expérience que Pierre Frogier se doit d’« alimenter le débat démocratique avec des propositions, des réflexions », tout en précisant, pour rectifier le tir, que l’on ne parle pas ici de « partition » des provinces, mais de « différenciation provinciale. »

Alimenter le débat ?

Il est clair que Pierre Frogier a fait une proposition, on ne peut pas le nier, elles sont nécessaires. Mais pourquoi ? En premier lieu pour faire réagir. Et c’est bien évidemment ce qui s’est produit avec tout d’abord le camp indépendantiste et Calédonie ensemble, qui n’ont retenu que la notion de partition. « La déclaration de Pierre Frogier ressemble à s’y méprendre à une solution de partition. Or, l’Accord de Nouméa exclut explicitement toute forme de partition (…) C’est totalement contraire à l’idée de la communauté de destin, de la construction d’un pays ensemble », ont indiqué les représentants de Calédonie ensemble. Même son de cloche pour les indépendantistes, l’UNI comme l’UC qui, on le sait, refusent de partager la Calédonie en trois et ont même demandé comment un signataire des accords pouvait avancer une telle idée.

En second lieu, la proposition de Pierre Frogier a aussi fait réagir le camp non indépendantiste, qui lui reproche à la très forte majorité d’avoir fait cavalier seul dans sa démarche et d’avoir lancé un pavé dans la mare, loin des décisions consensuelles de l’Avenir en confiance prises durant le dernier Comité des signataires. Une attitude solitaire qui peut déranger l’unité des loyalistes et nul doute qu’une bonne remise à plat concernant certains membres de « l’ancienne garde » paraît essentielle. D’autant que sur le sujet des provinces et du rôle du gouvernement, Sonia Backes, la cheffe de file de l’Avenir en confiance, avait été claire à plusieurs reprises. Pour elle, la solution d’avenir passera par des pouvoirs et une autonomie plus importante aux provinces, une sorte de fédéralisme interne et une fin du gouvernement collégial tel qu’il existe. Mais il n’a jamais été question que les provinces soient en lien direct avec l’État comme de mettre un terme au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Et si l’on peut effectivement admettre que l’existence de trois provinces n’est pas forcément nécessaire, une autre façon d’aborder les choses pourrait être d’imaginer la suppression d’une des provinces, celle des îles par exemple avec un rattachement au Sud ou au Nord. Cela pourrait constituer une solution d’avenir un peu plus sérieuse.

Des propos contre-productifs

La déclaration de Pierre Frogier a donc été, pour beaucoup, déplacée au moment où l’on a parlé au Comité du deuxième référendum, d’un possible troisième et d’une sortie de l’Accord de Nouméa. On se demande bien dans quel but, même désabusé par la situation actuelle, le sénateur a-t-il agi ? Pourquoi tenter de démobiliser le camp des anti-indépendantistes qui a su se rassembler en mai dernier ? Est-ce lié à l’approche des municipales, des législatives, des sénatoriales, des engagements métropolitains entre LR et la République en marche ? Mais encore, pourquoi traiter le gouvernement de « débile » alors même que c’est Thierry Santa, du Rassemblement, qui en est le président ?

Bref, « partition » ou « différenciation provinciale », qu’est-ce qui pousse le signataire à faire des propositions qui divisent les Calédoniens ? En tout cas, si Pierre Frogier a certes fait une proposition, elle a été faite sans concertation, sans consensus et elle contredit ce qui est prévu dans l’Accord de Nouméa. Quel intérêt ? On peut imaginer toutes les réponses possibles et imaginables, mais ce qui semble certain, c’est que cette déclaration était malvenue. Et comme le dit Philippe Blaise, ne faut-il pas tout simplement se résoudre à admettre que « le 12 mai, il y a bel et bien eu un passage de relais générationnel et il faut bien finir par l’accepter ».

D.P.

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