La pêche des requins-tigres et bouledogues à nouveau autorisée en province Sud

Mardi matin, le bureau de la province Sud a décidé de retirer les requins-tigres et bouledogues de la liste des espèces protégées sur laquelle ils se trouvaient depuis 2013, après un débat agité lors de l’assemblée de l’institution mercredi 20 octobre. Pour Sonia Backes, rien ne s’oppose à cette pêche. Un avis qui ne fait pas l’unanimité.

 

Sonia Backes annonçait déjà son intention en mars dernier, après l’attaque mortelle à l’îlot Maître, de modifier le Code de l’environnement en ce sens. C’est désormais chose faite. Les requins-tigres et bouledogues ne font plus partie de la liste des espèces protégées et peuvent donc être pêchés. La décision a été prise par le bureau de la province Sud mardi, après une discussion autour du texte en assemblée mercredi dernier. Nina Julié, de Générations NC, reprochait à Sonia Backes « de ne pas écouter l’avis étayé des scientifiques » et Philippe Michel, élu Calédonie ensemble, proposait que la mesure soit limitée dans le temps afin de faire un bilan de l’expérimentation.

« Ce n’est pas une espèce menacée »

Pour la présidente de la province, rien ne justifie d’interdire la capture des tigres et des bouledogues. « Ces espèces ne sont pas plus menacées qu’un thon et quand on pêche du thon, personne ne s’émeut, et puis elles sont présentes en quantité importante auprès des plages. Il faut revenir à la situation d’avant 2013, avec une régulation naturelle, au fil de l’eau. On a un problème de fond avec ces requins qui arrivent au bord. »

Autre problème, poursuit Sonia Backes, le fait que ces squales s’en prennent à des espèces menacées comme le dugong. Et elle rassure, la pêche se passera normalement. « Si c’est un autre requin qu’un tigre ou un bouledogue qui est pris, le pêcheur doit le relâcher, comme pour toutes les espèces protégées. » Pas question non plus de remettre en cause les interdictions du shark-feeding et de la commercialisation, affirme-t-elle. « Ce sera de la consommation pour ceux qui les pêchent. L’idée n’est pas d’en faire une filière. »

Mais comment mesurer l’efficacité d’une telle mesure ? La présidente de la province Sud le reconnaît, « aucune étude ne prouve que cela marche ou ne marche pas. C’est très empirique. » Cependant, depuis 2019, l’Institut de recherche pour le développement et le Centre Sécurité Requin de La Réunion étudient les populations de tigres et de bouledogues ainsi que leurs déplacements. Une trentaine sont marqués.

Des avis défavorables

Consulté, le conseil scientifique provincial s’est prononcé contre ce prélèvement. « On est conscients des risques vis-à-vis des baigneurs, mais ce n’est pas ça qui va solutionner les problèmes et faire qu’il n’y en aura plus, d’autres requins viendront. On demande que des études soient réalisées pour savoir pourquoi ces requins sont là. Après, les autorités font comme elles peuvent », déclare Laurent Maggia, son ancien président (lire par ailleurs).

Le requin-tigre est classé presque menacé et le bouledogue vulnérable selon la liste rouge de l’UICN, Union internationale pour la conservation de la nature. Olivier Malnati, secrétaire de Sea Sheperd, regrette ce choix. « Plusieurs institutions ont émis des avis défavorables, notamment l’Union internationale pour la conservation de la nature, qui est une référence, ainsi que le comité consultatif de l’environnement. On souhaite privilégier le secteur touristique et le requin vient enquiquiner les plans. Nous, on pense à la pertinence écologique. En fait, l’homme ne sait pas grand-chose et chacun avance des arguments qui vont dans son sens. On a le sentiment que ça ne réduira pas le risque, on est très sceptique. »

La pêche des tigres et bouledogues est désormais possible depuis ce mercredi.

 


Des opérations d’abattage depuis deux ans

En juin 2019, à la suite de l’attaque du petit Anthony, en baie de l’Orphelinat, la province Sud a pris un arrêté autorisant la capture et l’euthanasie des requins-bouledogues dans le cadre du lancement du programme de lutte contre le risque requin mené avec la ville de Nouméa. À l’époque, il n’était pas encore question de déclasser ces squales. « Sans sortir le requin-bouledogue de la liste des espèces protégées, le Code de l’environnement permet la régulation d’un certain nombre de requins sur un périmètre restreint lorsque des intérêts relatifs à la protection de la vie humaine le justifient. » 77 requins ont été prélevés administrativement : 42 bouledogues au port autonome et 12 entre Nouville, Ricaudy et l’îlot Maître et 23 tigres.

 


Le comité consultatif de l’environnement contre le déclassement

Le comité consultatif de l’environnement, composé de représentants du Congrès, du Sénat coutumier, des trois provinces ainsi que d’associations (WWF, SOS mangrove, Mocamana, etc.), a rendu un avis favorable sur le projet de modification du Code de l’environnement, mais avec plusieurs observations. Le CCE a proposé de supprimer la disposition qui prévoit le retrait des requins-tigres et bouledogues de la liste des espèces protégées, cela n’étant pas cohérent « avec l’attention particulière portée à la protection des espèces de requins au niveau international ».

Le comité invite la province à envisager d’autres actions : l’obligation de doter les marinas, les ports et les bateaux de cuves à eaux grises et noires ; la mise en œuvre de suivi des captures et des mesures d’analyses scientifiques ; la mise en place d’actions pour améliorer la gestion des déchets à l’eau, le traitement des eaux usées, l’efficacité des stations d’épuration et l’assainissement, ainsi qu’une réflexion pour élaborer une stratégie pays qui englobe les enjeux de sécurité et la préservation de ces animaux.

 


Démissions au sein du conseil scientifique provincial du patrimoine naturel

Plusieurs membres du CSPPN, sur les 23 que compte la structure, viennent de démissionner. Une décision qui n’a rien à voir avec la problématique requin affirme Laurent Maggia, l’ancien président.

Laurent Maggia, ancien président du conseil scientifique provincial du patrimoine naturel.

 

Laurent Maggia, spécialisé dans le fonctionnement des écosystèmes terrestres, présidait le conseil scientifique provincial du patrimoine naturel depuis bientôt cinq ans, jusqu’à ce qu’il démissionne de son poste il y a trois semaines environ. Une démarche personnelle, Laurent Maggia ne se retrouvant pas dans le rôle du CSPPN. « On a démissionné (avec Hervé Jourdan, ancien vice-président, NDLR) avant de savoir ce que la province Sud voulait faire concernant les requins, cela n’a rien à voir avec cette problématique. » Le scientifique reproche plutôt à la structure son fonctionnement général et regrette une mission qui manque de sens.

« On ne servait pas à grand-chose »

« Cela fait cinq ans qu’on nous consulte principalement pour des questions relevant de la réglementation. Certes, elle fait partie de nos missions, mais là, il ne s’agissait presque que de cela. Or, nous aimerions avoir une fonction plus politique de la vision de la protection de la biodiversité en Nouvelle-Calédonie, on souhaiterait discuter de perspectives vraiment écologiques. Ceux qui ont démissionné l’ont fait parce qu’ils trouvaient qu’on ne servait pas à grand-chose », indique Laurent Maggia.

Quand le conseil scientifique a été saisi, en septembre, pendant le confinement, sur la modification du Code de l’environnement de la province Sud, cela faisait plus d’un an qu’il n’avait pas été sollicité, témoigne l’ancien président. « Nous avons été quelques-uns à démissionner au moment de rendre le rapport il y a trois semaines. Je ne me sentais pas vraiment utile. »

 

Anne-Claire Pophillat (© Albert Kok et D.R.)