« La laïcité, c’est la liberté de penser »

Une quinzaine d’associations se sont regroupées afin de diffuser, début décembre, un communiqué rappelant l’importance de la laïcité face à une présence importante de mouvements sectaires dans l’espace public en 2016. Questions à Elie Poigoune, président de la Ligue des droits de l’homme de Nouvelle-Calédonie, signataire du communiqué.

DNC : Quelles sont les raisons de ce communiqué dans lequel vous attirez l’attention sur la participation de mouvements religieux et sectaires dans des manifestations organisées par les pouvoirs publics ?

Elie Poigoune : En début d’année, il y a eu plusieurs interventions d’une secte dans les institutions, à la province Sud, au Congrès, au Sénat coutumier mais aussi dans une manifestation du gouvernement. Ils sont quand même intervenus à de nombreuses reprises et c’est pour cette raison que l’on a transmis ce communiqué. Et puis c’était récemment, le 9 décembre, le jour de la séparation de l’Église et de l’État, l’occasion de rappeler les valeurs derrière la laïcité.

En quoi est-ce problématique que de telles personnes interviennent dans la sphère publique ?

Donner une place importante à une secte est dangereux et c’est jouer le jeu d’une tendance religieuse par rapport à d’autres. L’État et les autres institutions du territoire doivent rester indépendants des religions et des opinions religieuses. La laïcité implique l’indépendance de l’État vis-à-vis des organisations religieuses. Si l’on invite quelqu’un pour s’exprimer, soit on invite tout le monde, soit on n’invite personne. Il faut donc faire très attention quand on travaille avec les forces religieuses. Il doit y avoir une indépendance de l’État, de façon à ne privilégier aucun culte par rapport à un autre.

Les interventions qui ont eu lieu l’ont été dans le cadre des institutions calédoniennes et non de l’État. Les hommes politiques locaux s’affichent par ailleurs régulièrement auprès de mouvements religieux parfois assez radicaux. Est-ce finalement si étonnant que de telles personnes interviennent à la demande d’institutions ?

On parle de l’État mais les institutions du territoire fonctionnent de la même façon et leurs représentants ont été élus démocratiquement pour diriger le pays. Quand on dirige le pays, on ne doit surtout pas oublier le principe de laïcité. Dans un pays où il y a la laïcité, on cherche à construire une harmonie sociale où toutes les pensées, toutes les idées, ont leur place et peuvent s’exprimer. La seule contrainte est bien sûr le respect des règles de la société démocratique. Les autorités doivent favoriser la liberté d’expression de toutes les forces religieuses.

Est-ce que les valeurs de la laïcité ont un sens en Nouvelle-Calédonie où les mouvements religieux jouent un rôle très important au sein de la population ?

La laïcité est d’autant plus importante ici. Dans la laïcité, il y a une distinction claire entre la sphère privée, où les gens ont leurs idées, leurs cultures. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire en Dieu. C’est la sphère privée, c’est l’affaire de chacun. Et puis il y a la sphère publique qui sont les endroits où les gens se rencontrent quand ils sortent de leurs différentes communautés religieuses ou culturelles. Dans cette sphère publique, il y a des principes essentiels qui vont avec la laïcité, le respect de soi et des autres notamment.

À plusieurs reprises de l’histoire calédonienne, dans les moments difficiles, on a fait appel aux mouvements religieux, notamment pour jouer le rôle de médiateur. Les religions n’ont-elles finalement pas un rôle central et est-ce que ce n’est pas un peu hypocrite de ne pas reconnaître leur place dans la sphère publique ?

Elles ont leur place et je pense que l’État doit justement garantir leur liberté. Il y a effectivement eu des situations, en particulier pendant les Événements, où l’on a essayé de faire en sorte que les gens se reparlent de nouveau. Quand il y a eu de la haine, de la barbarie et de la violence, il faut regarder toutes les possibilités de discussions entre les gens. Et ici, les gens sont justement très impliqués dans les religions catholiques et protestantes. C’est pour cela que l’on a fait appel aux religions, pour recréer des liens entre les gens, parce que c’est une part importante de leur vie. On ne peut pas nier les religions mais les élus n’ont pas toujours conscience de ce qu’est la laïcité. C’est une erreur de leur part et l’on a simplement souhaité leur dire « Attention, il ne faut pas continuer dans ce sens-là ». Ils ont peut- être leurs sympathies mais ils doivent faire attention à ce que cela ne pèse pas sur les décisions qu’ils prennent au niveau du pays.

Vous rappelez chaque année l’importance de la laïcité au travers de la célébration de la séparation de l’Église et de l’État, le 9 décembre, le faites-vous cette année un peu plus que d’habitude ?

Peut-être un peu plus par rapport à ce qui se passe en France, la laïcité est une chose dont on parle beaucoup. En Nouvelle-Calédonie, la laïcité à une place particulièrement importante car il y a de fortes communautés. Il y a les communautés culturelles, les Kanak, les Wallisiens, les Tahitiens… Dans sa communauté, chacun vit comme il veut, il a ses coutumes, sa religion… Mais il ne faut pas oublier qu’il y a un espace public où tout le monde se rencontre, là où l’on doit trouver la tolérance mutuelle, le respect de soi et des autres. La laïcité permet de maintenir l’harmonie sociale, essentielle pour construire une société où il n’y a pas plus de haine, de violences et de barbaries. Violences et barbaries dont les religions sont parfois à l’origine. La laïcité doit permettre la formation des jeunes, de leur apporter un esprit critique. C’est essentiel pour la pensée qu’elle puisse se développer dans un contexte qui ne soit pas accaparé par les religions. La laïcité, c’est la liberté de penser, la liberté de l’esprit, l’émancipation vis-à-vis des dogmes, c’est aussi la liberté de croire ou de ne pas croire. C’est ça la laïcité, la liberté absolue de conscience.

 

Propos recueillis par M.D.