La défiscalisation a-t-elle pénalisé la qualité du bâtiment ?

Active de 2013 à 2018, la défisc’ locale a permis la construction de 1 500 logements bon marché. Le revers de la médaille est leur médiocre qualité, estiment certains professionnels. Pour d’autres, les problèmes sont davantage liés aux questions de compétences et d’encadrement.

« Il y a un consensus pour dire qu’il faut sortir de la course à la construction. L’objectif de 1000 logements par an a beaucoup nui à la qualité », estime Lionel Forno, vice-président du cluster Écoconstruction, qui désigne la défiscalisation locale comme l’un des coupables.

Lancé en 2013 et stoppé fin 2018, le dispositif a eu des mérites. « La défiscalisation a permis le développement économique et il fallait loger les gens. » Mais le plafonnement des loyers a pu inciter à produire de l’habitat à moindre coût : faible isolation, forte exposition au soleil, matériaux de qualité médiocre… « Pendant 50 ans, on va devoir supporter les conséquences de ces logements qui ont une consommation d’énergie catastrophique et qui sont invivables en été. » Pour Lionel Forno, l’argent engagé par la Nouvelle-Calédonie « aurait dû être soumis à des éco-conditions. »

Au-delà des propriétés énergétiques, il juge que la qualité générale des ouvrages a souffert. « On a connu une problématique de malfaçons qui a poussé le gouvernement à mettre en place le RCNC », le référentiel pour la construction de la Nouvelle-Calédonie, entré en vigueur en 2020, qui doit faire monter en compétence tous les intervenants via une réforme des assurances.

Dans le milieu, tout le monde ne partage pas l’intégralité de cette analyse. « Ce qui est à mettre à cause, c’est l’environnement dans lequel on a construit ces logements. Quand on a une activité très soutenue, il peut y avoir des malfaçons », estime Silvio Pontoni, président de la Fédération calédonienne du BTP. Si la défisc’ a eu des défauts, c’étaient ses « délais imposés », le dispositif étant rattaché à des années fiscales. « On a démarré des chantiers alors que les plans n’étaient pas finalisés. On a livré des logements qui n’étaient pas finis, sans le carrelage ou le parking. »

« On a livré des logements pas finis »

Pour Agnès Gabet-Jezequel, trésorière de l’Ordre des architectes, « la défiscalisation a bon dos, parfois. On doit toujours respecter des délais, quel que soit le chantier. » La question de l’encadrement des travaux lui paraît plus pertinente. « Dans les périodes de gros chantiers, on prend la main-d’œuvre que l’on trouve. Et les entreprises n’étaient pas forcément structurées par un encadrement suffisant. »

Grégory Darmizin, directeur de Sud Promotion, invite à ne pas attribuer à la défiscalisation tous les problèmes de qualité. « Même avec les meilleures entreprises, même hors défisc’, il peut y avoir des soucis. Et face au cancer du béton (la zéolite, NDLR), que peut-on faire ? Personne n’a de réponse et c’est un problème catastrophique. » Il insiste par ailleurs sur les apports de la défisc’. « Sans l’avantage du crédit d’impôt, les gens n’auraient pas pu acheter ces biens-là. La défiscalisation a soutenu les propriétaires et le secteur de la construction. »

Elle continue de le faire dans une moindre mesure via sa version nationale, qui court jusqu’en 2025. Du côté de la FCBTP, on espère ardemment sa prolongation. Grégory Darmizin la rejoint. « C’est le moment d’avoir une incitation pour acheter dans le neuf. »

 


4 milliards de francs en 5 ans

De 2014 à 2018, la défisc’ locale (la « Rili ») a cofinancé la construction de 1 320 appartements et 230 maisons, situés à 90 % en province Sud. Les réductions d’impôt ont représenté une dépense fiscale de 3,9 milliards de francs sur cette période, ce qui constitue un bilan provisoire.
S’il n’est plus possible de financer une construction par la Rili, ses effets dureront jusqu’en 2031, pour certains chantiers lancés fin 2018. Par ailleurs, la défiscalisation nationale, par la loi Girardin, a financé 1 560 logements sociaux de 2017 à 2020.

 

Gilles Caprais