Jacques Wadrawane, l’atypique

Jacques Wadrawane incite les jeunes à « partir » et « voir autre chose », ce qu’il a pu faire grâce au dispositif 400 cadres, véritable « accélérateur social ». (© C.M)

Originaire de Maré, mais né à Nouméa où il a grandi, Jacques Wadrawane, 60 ans, est depuis le 2 janvier le premier conseiller de la Chambre territoriale des comptes. L’aboutissement d’une carrière menée loin des sentiers battus.

Il a retrouvé le plaisir de la « vie à l’océanienne, où tout le monde se dit bonjour », mais ne renie rien des dix dernières années de sa carrière, menée tambour battant en Métropole. « C’était un choix. Je m’étais dit, à l’époque, je pars dix ans et je reviens après être passé par les juridictions financières », raconte Jacques Wadrawane, qui se dit « surpris d’avoir réussi ces deux objectifs » exactement dans le temps imparti. Le sexagénaire est en effet depuis un peu plus d’un mois le tout nouveau premier conseiller de la Chambre territoriale des comptes, où il sera plus particulièrement en charge d’un audit sur les politiques publiques en matière de changement climatique.

Premier Kanak à occuper le poste, Jacques Wadrawane est « conscient d’être érigé en modèle pour les jeunes », un rôle qu’il endosse avec philosophie. « Yves Dassonville [ancien haut-commissaire, aujourd’hui décédé], me disait : “tu sais Jacques, il y a un moment où on ne s’appartient plus”. » Mais s’il entend aider la jeunesse calédonienne « à arrêter l’autocensure », il l’encourage également à « sortir du moule ». Il faut dire que le parcours de cet homme affable n’a rien en commun avec ceux, souvent formatés dès le plus jeune âge, de la plupart des hauts fonctionnaires français.

PASSIONNÉ DE SCIENCES ET DE ROCK

Né en 1963 à Nouméa, originaire de Maré, Jacques Wadrawane fait partie de cette génération dont les parents ont quitté les îles pour offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Papa est ouvrier et grimpe les échelons pour finir agent de maîtrise, maman a fort à faire à la maison avec ses sept rejetons. Passionné de sciences, le jeune Jacques aborde pourtant le lycée en dilettante, plus préoccupé par les tournées de son groupe de rock que par les études. Au point qu’il quitte Lapérouse pour Do Kamo et passer un « Bac G. Une filière courte normalement, mais je me suis rattrapé par la suite. J’ai fait une prépa et j’ai bûché, et j’ai pu rentrer dans une école d’ingénieur agronome. Moi, je voulais faire des études de musicologie, mais c’était hors de question pour mon père ».

Rentré dans le rang, mais pas dans le moule, Jacques Wadrawane n’a pas pour autant abandonné la musique. « J’ai toujours une guitare à portée de main. Moi, j’ai besoin de me détacher du travail, de prendre du recul. » Pourtant, son CV dresse le portrait d’un travailleur acharné : rentré des études avec un diplôme en agronomie tropicale, il intègre la province des Îles, où il s’occupe du développement économique. Puis part se former à « l’ENA du Québec, une école à vocation internationale qui a beaucoup d’avance sur la modernisation de l’administration ». Au retour, il entre à la Province Sud, puis ce sera l’Adraf et enfin l’administration d’État comme secrétaire général adjoint du haut-commissariat.

LA VALEUR TRAVAIL

Début 2013, il est appelé au ministère des Outre-mer pour s’occuper des transferts de compétence, avant d’être nommé sous-préfet et d’exercer en Île-de-France sur des missions de service public. 2017 signe son retour sur les dossiers ultramarins avec les Assises des Outre-mer, dont il est coordinateur pour la région Pacifique. C’est, enfin, l’entrée à la Chambre territoriale des comptes de Normandie, en 2019. « Finalement, le bac G m’a servi », dit-il dans un éclat de rire.

Jacques Wadrawane aimerait que son expérience serve aux jeunes Calédoniens. « Quand on vit sur une île, il faut partir, voir autre chose, et ils sont de plus en plus nombreux à le faire, je trouve ça très bien. Notre génération dans les années 1990, on était un peu pionnier de ça. 400 cadres et Cadres Avenir ont été véritablement un accélérateur social. » S’il porte un regard positif sur le dispositif de formation, Jacques Wadrawane a la dent nettement plus dure avec l’administration calédonienne. « Tout fonctionne en silo, on peine à intégrer les outils de pilotage du privé et on navigue à vue », commente celui qui verrait bien plus de jeunes avec potentiel partir à l’ENA Québec pour ensuite moderniser l’action publique calédonienne.

Les grandes écoles françaises ? « Pourquoi pas, mais on n’a peut-être pas besoin ici de parcours aussi formatés, difficiles d’accès. Une carrière c’est aussi des rencontres, des opportunités et surtout beaucoup, beaucoup de travail. » Une valeur qui lui tient à cœur et qu’il a transmise à ses deux enfants ‒ l’un fait carrière dans la police et l’autre n’est rien moins que délégué de la Nouvelle-Calédonie aux Fidji ‒, et qu’il rappelle à tous les jeunes Maréens qui viennent lui demander conseil lorsqu’il rentre sur ses terres ancestrales.

Charlotte Mannevy