« Il va y avoir de la casse, c’est inévitable »

Benoît Meunier a été élu à la tête de la FCBTP, qui regroupe 120 adhérents, en avril 2023. Il a succédé à Silvio Pontoni. (© A.-C.P.)

En plus de dix ans, le secteur de la construction a perdu plus d’un tiers de ses effectifs. Alors que les trésoreries des entreprises sont au plus mal et que les chantiers se font attendre, la Fédération calédonienne du BTP craint une accélération de l’hémorragie en 2024.

♦ PLUSIEURS ALERTES

Ce n’est pas la première fois que la Fédération calédonienne du bâtiment et des travaux publics tire la sonnette d’alarme. La FCBTP avait déjà mis en garde sur les conséquences de la fin des grands chantiers. De fait, la construction a perdu plus d’un tiers de ses emplois depuis 2011. « On savait que ça avait été tellement haut que la situation ne pouvait se maintenir. Mais, on pensait que la perte de 3 000 salariés allait marquer une fin et que ça allait redémarrer. Au contraire, l’érosion continue, témoigne Benoît Meunier. Notre activité est atone. En 2023, elle a représenté l’équivalent de 60 milliards de francs de travaux réalisés. Soit la moitié de ce qu’on a connu en 2013. »

Pour preuve, la baisse de consommation de ciment, qui retrouve le même niveau que « pendant les Événements ». Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir prévenu, insiste le président de la fédération. « Cela fait six ans qu’on en parle, qu’on attend. On nous dit qu’on crie au loup, mais tout se vérifie. »

♦ MANQUE DE VISIBILITÉ

La crainte, aujourd’hui, est que le secteur ne perde à nouveau quelques milliers d’emplois en 2024. « Ça va être la catastrophe, encore plus d’entreprises vont fermer. » En cause, notamment, un manque de visibilité. « Nos carnets de commandes sont vides dans trois mois. » Et sur le peu d’appels d’offre, la concurrence fait rage. « On se bat avec des prix très bas, donc on est inquiets. » Les trésoreries, elles, touchées par la crise Covid, l’inflation, la hausse des coûts du transport, etc., sont au plus mal, « exsangues ».

Benoît Meunier l’a vécu ces deux dernières années avec sa société. « On a travaillé à perte. On l’a fait pour sauver notre outil de travail et pour garder nos compétences. Mais là, on arrive au bout du bout. » Conséquence : l’entreprise de gros œuvre dans le bâtiment est passée de 130 salariés en 2010 à 30.

« Cela fait des années qu’on nous parle
du barrage de Pouembout, de la centrale électrique de la SLN… On ne les a jamais vus. »

♦ DES INVESTISSEMENTS À LA PEINE

Benoît Meunier accuse, entre autres, l’instabilité institutionnelle qui a freiné les investissements privés. « Jusqu’aux référendums, le privé représentait 60 % du chiffre d’affaires et le public 40 %. Maintenant, c’est l’inverse. » Les caisses publiques sont vides et le départ de 20 000 personnes environ depuis 2014 a eu des conséquences sur l’économie, la consommation, le commerce… « Eux non plus n’investissent plus. On a construit beaucoup de centres commerciaux et ils sont en difficulté. » Les adhérents de la FCBTP, bureaux d’études, architectes, sociétés du génie civil, du bâtiment, etc. partagent le même constat. « Tous confirment qu’ils n’ont pas beaucoup de projets et qu’ils ont licencié. »

Les grands travaux se font attendre. « Cela fait des années qu’on nous parle du barrage de Pouembout, de la centrale électrique de la SLN… On ne les a jamais vus. » Les chantiers prévus au contrat de développement ne suffiront pas. « Seuls 30 % sont effectivement réalisés d’après le haut-commissaire. » Et la construction de logements, au ralenti, devait être en partie compensée par la rénovation, notamment du parc de logements sociaux. Benoît Meunier estime qu’elle n’est pas au rendez-vous. « À la SIC, les grandes opérations comme les tours de Saint-Quentin ont été stoppées. Il faudrait peut-être être un peu plus ambitieux. Les petits collectifs sont plus adaptés à la population. »

♦ UNE CELLULE DE CRISE

Pour faire face, la fédération propose plusieurs solutions. La première, que les collectivités s’acquittent de leurs dettes. « Les délais de règlement sont trop longs. Normalement, c’est 30 jours, et on est payés en moyenne à 90 jours. » La deuxième consiste à mettre en place une cellule de crise au gouvernement, du même genre que celle dédiée au nickel. « Il faut savoir quelles sont les volontés politiques. Ne faut-il pas lancer des chantiers structurants ? Tout le monde dit qu’il faut arrêter de miser uniquement sur le nickel et miser, par exemple, sur le tourisme. À quand une deux fois deux voies entre Nouméa et La Tontouta et jusqu’au Nord, par exemple. » Le président de la FCBTP plaide aussi pour une stabilité institutionnelle, qui « favoriserait certainement un retour des investissements du privé dans le pays ». Benoît Meunier avertit. « Il va y avoir de la casse, c’est inévitable. » L’objectif est de « la limiter ».

A.-C.P.