À l’heure où le BTP tire la sonnette d’alarme et les partenaires sociaux s’inquiètent de l’état des finances publiques, l’Institut d’émission d’outre-mer analyse les variations de l’économie calédonienne pour le journal Demain.
Climat
L’évolution de l’indicateur du climat des affaires, déterminé sur la base d’une enquête 1 trimestrielle auprès de 200 chefs d’entreprise, « traduit une nette dégradation de la situation économique calédonienne depuis le milieu de l’année 2022 », commente Jérémy Charbonneau, responsable des études à l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM). « Les dirigeants interrogés expriment surtout des perspectives défavorables pour les mois à venir. » Si des mesures conjoncturelles semblent assez bien orientées ‒ ralentissement de l’inflation, apparente résilience de la consommation des ménages, poursuite du rebond du tourisme ‒ « des difficultés structurelles majeures subsistent ».
L’économiste cite le déséquilibre des finances publiques « avec une accumulation des déficits réduisant les marges de manœuvre du territoire », mais aussi la « forte dépendance de l’économie calédonienne au secteur du nickel ». Environ 97 % des exportations en valeur, en 2022. Comme le souligne l’analyste, si la part des activités minières et métallurgiques dans le produit intérieur brut (PIB) paraît modeste (de 3 % à 18 % selon les années), leur effet d’entraînement est important sur les autres secteurs. « Or, les métallurgistes sont confrontés à des difficultés majeures. »
Croissance
Au regard de la dynamique économique sur une vingtaine d’années, « on constate un essoufflement de la croissance », note Jérémy Charbonneau : en moyenne 3,7 % par an entre 2002 et 2011, puis 1,3 % entre 2012 et 2017, enfin une croissance moyenne légèrement négative depuis 2018, et ce, malgré le rebond post-Covid de 2022. Pour le responsable des études à l’IEOM, cette nette décélération « reflète dans une certaine mesure l’essoufflement de la croissance démographique calédonienne ».
Emploi
L’emploi atteint un record au 3e trimestre 2023 dans le privé. Or, les entreprises déplorent une conjoncture dégradée. N’est-ce pas paradoxal ? « L’emploi semble encore bénéficier du rebond post-Covid et post-période référendaire, et ces bons chiffres publiés par l’ISEE (Institut de la statistique et des études économiques) sont confirmés par une bonne résilience de la consommation des ménages », répond Jérémy Charbonneau, qui apporte toutefois plusieurs nuances.
Les données du 4e trimestre ne sont pas encore connues. La nature de ces emplois (CDD ou CDI…) n’est pas spécifiée. L’évolution à la baisse du salaire net moyen en 2022 semble indiquer que les dernières créations concerneraient plutôt des emplois peu ou pas qualifiés. L’IEOM a interrogé les chefs d’entreprise pour son enquête de conjoncture, et voilà « deux trimestres que les perspectives d’embauche sont défavorables ».
Crédits
Après une année 2022 marquée par des volumes d’octroi de crédits aux particuliers très élevés, en raison notamment de taux d’intérêt encore bas, l’Institut d’émission constate un très net ralentissement en 2023, surtout au dernier trimestre : -41 % par rapport au 4e trimestre 2022, « essentiellement du fait de la baisse des crédits immobiliers (-53 %) », précise le responsable des études. Cette forte baisse s’explique, entre autres, « par un effet de hausse des taux d’intérêt », mais aussi « par des perspectives économiques dégradées ».
Défaillances
Les données du premier trimestre 2024 sont vivement attendues en raison de l’effet en cascade redouté de la mise en veille « à chaud » de l’usine de Koniambo Nickel ainsi que, plus globalement, des mesures contraignantes prises dans la filière métallurgique. Les défaillances d’entreprises enregistraient déjà une forte hausse en fin d’année 2023, selon les calculs de l’IEOM : 121 déficiences au 4e trimestre de l’an passé, soit +86 % par rapport à la même période de 2022. « Cette tendance est également observée dans d’autres économies ultramarines », souligne Jérémy Charbonneau.
En cumul annuel, 423 défaillances sont comptabilisées en 2023, contre 294 en 2022, soit une hausse de 44 %. « Sur les dix dernières années, il s’agit de la deuxième année avec le plus grand nombre de défaillances derrière 2019. » Des secteurs sont particulièrement représentés : les services, le BTP et le commerce. Ce bond s’explique par un niveau faible de 2020 à 2022 et par une dégradation de la conjoncture économique.
153 %
Fin 2023, le taux d’endettement de la Nouvelle-Calédonie, en diminution, atteint 153 %, « un taux encore supérieur aux normes prudentielles fixées par les bailleurs de fonds », précise la collectivité, qui est de 90 %.
Avenir
Le grand flou. « L’exercice sur les perspectives est particulièrement compliqué dans le contexte actuel de fortes incertitudes et de dégradation de l’environnement économique calédonien », résume le responsable des études de l’Institut d’émission.
La conjoncture du territoire est suspendue à des événements majeurs : à court terme, l’évolution de l’état de santé des métallurgistes, avec la possible signature du pacte nickel et l’espérée reprise des 49 % des parts de KNS, la variation du cours du nickel, ou encore les discussions sur l’avenir institutionnel ; mais aussi, à moyen terme, l’enjeu lié à l’attractivité du territoire. 2024 est bel et bien, cette fois, une année charnière.
Yann Mainguet