Hommage : Jean Lèques, « homme de consensus » jusqu’au bout

Le maire honoraire de Nouméa est décédé mercredi matin à l’âge de 90 ans. La pluie d’hommages rendus par le monde politique, tous camps confondus, témoigne de la stature du signataire des Accords, loué pour son humilité et sa faculté à rassembler, et pour son engagement au service de la Nouvelle-Calédonie pendant cinq décennies.

Sa vie est une histoire politique de la Nouvelle-Calédonie. Né en 1931 dans le quartier de la Vallée-du-Tir, issu d’une famille installée depuis 1861 sur le territoire, Jean Lèques a occupé chacune des plus hautes responsabilités. Puisqu’il faut commencer quelque part, autant suivre sa préférence : la mairie de Nouméa, dirigée de 1986 à 2014 (en 2001, il décide même de se consacrer entièrement à son mandat municipal, démissionnant du gouvernement), date à laquelle il en deviendra maire honoraire après l’élection de Sonia Lagarde.

Jean Lèques n’a jamais perdu le goût des gens. S’il se baladait dans le centre-ville de Nouméa, « c’était peut-être une façon d’entretenir sa popularité, mais c’était aussi un bon moyen d’écouter les doléances des habitants, assure l’historien Luc Steinmetz, ami de longue date. On pouvait s’adresser à lui pour les problèmes du quotidien et il faisait tout son possible. C’était un homme foncièrement bon. »

Les habitants de Nouméa le lui ont bien rendu. « Fifils » – surnom affectueux gagné au lycée, jamais perdu – a remporté cinq fois les élections municipales, souvent haut la main. Vingt-huit ans de mandat, presque autant que Roger Laroque, dont il fut le premier adjoint, pendant lesquels la ville aura été profondément transformée : réfection des plages de l’anse Vata et de la baie des Citrons, vaste chantier d’adduction d’eau…

De l’UC au Comité des sages

« On n’est pas élu aussi longtemps par hasard. Cette popularité, il la doit à sa sincérité, à son humilité, à son profond respect de l’autre. Il a toujours été comme ça », salue Jean-Pierre Aïfa, qui l’a côtoyé pendant près de cinquante ans. La dernière fois, c’était au sein du Comité des sages, à l’approche du référendum de 2018 : le Premier ministre, Édouard Philippe, avait besoin d’une figure du vivre ensemble pour présider l’institution. La première fois, c’était la campagne des élections territoriales de 1967, sous la bannière de l’Union calédonienne, « Deux couleurs, un seul peuple », rejoint en raison de la doctrine sociale.

Jean Lèques s’en était éloigné quatre ans plus tard, dès l’évocation d’une « autonomie interne », avant que l’indépendance ne devienne la ligne du parti. Le Mouvement libéral calédonien (MLC), fondé avec d’autres déçus de l’UC, devait ensuite rejoindre le RPCR de Jacques Lafleur en 1977, pour former la grande union non-indépendantiste.

« Capable de rassembler »

Si Jean Lèques a été élu président de l’Assemblée territoriale à quatre reprises entre 1970 et 1985, c’est grâce à ses qualités de « rassembleur ». « Il était à la fois un homme de conviction, un centriste, qui est toujours resté lui-même, mais aussi une personne capable de rassembler les gens », analyse Jean-Pierre Aïfa, lui-même à la tête de cette assemblée à trois reprises.

Au moment de choisir le président du premier gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, en 1999, il fallait un signataire des accords de Matignon et de Nouméa. Il fallait aussi et surtout un homme de cette trempe. « Jean Lèques était respecté même par ses adversaires, insiste Luc Steinmetz. C’était un homme de consensus. Il n’aimait pas avoir d’ennemi, ce qui faisait de lui un homme de commerce agréable. On n’a jamais voulu l’écarter, et c’est aussi pour cela qu’il a marqué l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. »

 


Enfant de la Vallée-du-Tir

« Ma famille a acquis le terrain le 29 juin 1900. Il n’est pas question d’en changer ! », avait lancé Jean Lèques en 2014, lors d’une rencontre sur le thème de l’histoire, chez lui, racontée dans Les Nouvelles calédoniennes. Il n’a délaissé son quartier natal que pour ses études de droit, à Grenoble, au début des années 1960, au côté d’Évelyne. Il en est revenu notaire, dans la lignée d’une famille bourgeoise (son grand-père était déjà adjoint à la mairie de Nouméa), fondant une étude qui est toujours en activité.

Lui, fervent catholique, elle, fervente protestante, le couple a fondé une famille de quatre enfants. Si Évelyne est également impliquée en politique, elle se démène surtout dans le monde associatif, notamment avec la création de SOS Logement et son engagement au sein de la Spanc.

Agnès Brot a publié en 2018, aux éditions Humanis, sa biographie, Jean Lèques, humble habitant de la Vallée-du-Tir, riche en anecdotes, puisées dans la légendaire mémoire du maire.

 

Le 28 mai 1999, le premier gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, réuni autour du président Lèques, est élu par le Congrès. (© Éric Dell’Erba/AFP)

 

Le 3 mai 2018, à Nouméa, le président Macron élève Jean Lèques au rang de Grand-Croix de la Légion d’honneur. (© Ludovic MArin/AFP)

 

Évelyne et Jean Lèques dans leur chère maison de la Vallée-du-Tir, en 2020. (© Archives A.-C.P.)

 

Le Resurrection Crew a rendu hommage à la « confiance » accordée par Jean Lèques, qui avait notamment emmené les danseurs en Australie pour la signature du jumelage avec Gold Coast, en 2007, afin d’y représenter la jeunesse calédonienne. (© Resurrection Crew)

 

Gilles Caprais