HAROLD MARTIN RÉPOND À JEAN-JACQUES URVOAS : « Quelle que soit la formule, on finit dans l’indépendance ! »

Cette nouvelle intervention de l’ancien garde des Sceaux n’a pas manqué de faire réagir Harold Martin. Signataire de l’Accord de Nouméa, l’ancien président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie y voit, à juste titre, la confirmation de ce qu’il n’a eu de cesse de dénoncer tout au long de la récente campagne pour les élections législatives.

Dire que l’article du Monde apporte de l’eau au moulin de Harold Martin est un euphémisme. D’abord, en raison de la personnalité de Jean- Jacques Urvoas, longtemps président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, puis garde des Sceaux. C’est assez dire si sa parole est mesurée, soupesée et qu’il ne s’exprime certainement pas pour rien.

« Un ami de Christnacht »

Le choix du support ou du média pour ce faire témoigne, lui aussi, de la volonté de peser. Le Monde reste aujourd’hui, le quotidien français de référence. Harold Martin pousse donc aisément l’avantage : « Parmi quelques-unes de ses grandes qualités, M. Urvoas est aussi un ami de M. Alain Christnacht. Or ce dernier est carbonisé depuis mes déclarations de la dernière campagne. Rien de surprenant donc à ce qu’aujourd’hui, ce soit Jean-Jacques Urvoas qui reprenne l’argumentation. Alors que dit M. Urvoas dans ce papier ? Premièrement, il fait du Gomès et du Frogier en déclarant qu’il ne faut surtout pas aller au référendum tel que prévu par l’Accord de Nouméa, mais, surtout, il dit sans aucune ambiguïté qu’il faut changer la question et là, il va bien plus loin, puisqu’il nous précise qu’elle doit être la question ».

En clair, il ne s’agirait plus de dire oui ou non à l’indépendance, oui ou non à la France, mais de proposer un choix aux Calédoniens entre deux statuts : soit l’indépendance-association, soit l’État fédéré.

« On veut nous faire passer par la case indépendance ! »

Pour Harold Martin, trop c’est trop : « Dans tous les cas de figure, on est d’abord un État et ensuite on choisit de s’associer avec la France ou pas. C’est donc bien ce que les socialistes ont promis aux indépendantistes avec la complicité de Gomès et de Frogier : quelle que soit la formule, on finit dans l’indépendance ». Pour ce faire, il faudrait bien entendu réviser la Constitution, mais cela aussi, Jean-Jacques Urvoas le préconise quand il déclare : « Quoiqu’il arrive, effectivement, il faudra réviser la Constitution. Cette révision est programmée, mais ce n’est pas suffisamment su ». Pour Harold Martin, n’en jetez plus, la coupe est pleine : « Si cela ce n’est pas nous mettre devant le fait accompli, si cela ce n’est pas imposer l’indépendance dans le dos des Calédoniens, ce que je n’ai pas arrêté de dénoncer pendant la campagne électorale ».

Cette situation appelle donc une réaction forte et le maire de Païta souhaite en premier lieu que les Calédoniens soient parfaitement informés de ce qui se prépare dans leur dos. Il annonce qu’il s’y opposera avec force si le sujet doit venir sur la table lors du prochain Comité des signataires (ce qui est probable). Il appelle enfin les Calédoniens qui souhaitent très majoritairement exercer le droit que leur confère l’Accord de Nouméa de pouvoir dire ou non à l’indépendance, de l’exprimer en masse à l’occasion de la visite du Premier ministre, annoncée à Nouméa pour le mois de décembre.


Afin que chaque Calédonien puisse bien mesurer la portée des propos de Jean-Jacques Urvoas, voici la version intégrale de l’interview accordée par l’ancien ministre de la Justice de François Hollande dans Le Monde du 2 septembre. Le risque pour nos concitoyens de devoir choisir uniquement entre un État-associé ou un État fédéral et non plus entre le maintien dans la France ou l’indépendance existe bel et bien…

Extrait du journal  Le Monde du 2 septembre 2017:

Comment analysez-vous la situation en Nouvelle-Calédonie à l’approche de l’échéance du référendum d’accession à la souveraineté ?
Je suis très préoccupé. Le terme est fixé, c’est l’automne 2018, et beaucoup de questions restent à régler pour éviter d’aboutir à une impasse. Je crains un référendum qui serait vécu par une partie de l’opinion calédonienne soit comme un triomphe exalté, soit comme une défaite amère. Dans les deux cas, personne ne gagnerait.

Le premier ministre, Edouard Philippe, a dit vouloir s’engager pour mener à terme ce processus. L’Etat vous semble-t-il avoir pris la mesure des enjeux ?

La mention par le premier ministre de la Nouvelle-Calédonie, lors de sa déclaration de politique générale, et de son « engagement personnel » était une bonne nouvelle. Ce dossier est historiquement un dossier du premier ministre. Pour les Calédoniens, l’interlocuteur, c’est Matignon. Il lui faut maintenant être audacieux. Le prochain comité des signataires, après les sénatoriales, est le rendez-vous à ne pas manquer. Cela veut dire qu’il doit être préparé et, pour le moment, il n’y a pas grand-chose. Cela ne tient pas qu’à Edouard Philippe puisque les Calédoniens sont en train de recomposer leur gouvernement et le Congrès n’a pas pu élire le président. Il n’en demeure pas moins que les intentions du premier ministre sont, pour le moment, inconnues. Par exemple, ce à quoi je l’invite, a-t-il l’intention d’agir pour que le prochain comité des signataires arrête l’intitulé de la question qui sera posée au référendum ? Votre note sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie évoque plusieurs pistes possibles…
Pour m’intéresser à la Nouvelle-Calédonie depuis quelques années, je veux croire qu’il n’y a pas un abîme entre les non-indépendantistes partisans d’une très large dévolution des pouvoirs à la Nouvelle-Calédonie et une partie des indépendantistes soucieuse de maintenir un lien fort avec la France. Je fais le pari que l’on peut arriver à trouver quelque chose qui n’existe pas. Comme toujours quand il s’agit de la Nouvelle-Calédonie, il faudra que le droit soit inventif. C’est la leçon de Michel Rocard et elle garde sa pertinence. A partir du travail réalisé en 2013 à la demande de Jean-Marc Ayrault par Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien, qui avaient imaginé quatre hypothèses, je suis arrivé à deux épures : l’association et la fédération.

Qu’est-ce qui différencie les deux statuts ?

Il y a dans la Constitution française des éléments qui permettent d’envisager un Etat fédéral. L’infinie souplesse du fédéralisme permettrait de répondre à bien des exigences des Calédoniens et, notamment, le fait que la souveraineté est partagée entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés. Quant à la répartition des compétences, on trouve dans le monde une multiplicité de combinaisons. Je ne sous-estime pas, cependant, les conséquences que pourrait avoir en métropole la création d’un tel « Etat composé ». D’autres régions, pas forcément ultramarines, pourraient aspirer à un tel statut. Avec l’Etat associé, la souveraineté n’implique pas nécessairement l’indépendance mais, par le biais d’un droit permanent à l’autodétermination reconnu au peuple, la faculté de choisir des dépendances, de les modifier ou d’y mettre fin. Il existe une petite poignée d’Etats associés à travers le monde, généralement des petites îles. Leurs constructions juridiques sont très empiriques. Je crois que nous gagnerions à étudier cette forme étatique, même si je sais qu’en Nouvelle-Calédonie ce mot est, pour le moment, piégé par le souvenir d’Edgard Pisani. C’est pourtant une piste pour une société qui aimerait être indépendante mais qui est consciente des dommages que ça peut générer pour son mode de vie actuel. Evidemment, cela veut aussi dire que cela passe par une proclamation d’indépendance et, juste après, par une association avec la France. Mais, après tout, n’était-ce pas Jacques Lafleur, dont le nom n’est pas forcément associé à la revendication d’indépendance, qui, en 1977, parlait de la Nouvelle-Calédonie comme d’une « petite nation » ?

Est-ce que, concomitamment à la démarche institutionnelle, la réflexion ne doit pas être menée sur l’avenir économique de la Nouvelle-Calédonie, notamment sur la structuration de l’industrie du nickel ?
Bien sûr. C’est indissociable. La réponse ne peut pas être seulement institutionnelle. Les accords de Matignon ont créé des lieux de pouvoir : les provinces, le Congrès, le gouvernement, reconnaissant ainsi aux Kanaks les moyens d’exercer pleinement des responsabilités politiques. L’accord de Nouméa répartit les compétences accordées aux structures créées en 1988. Aujourd’hui, ce qui doit être traité, c’est le financement et, donc, la question économique et sociale. C’est par conséquent la question du nickel car, un des atouts de la Nouvelle-Calédonie par rapport à d’autres territoires, c’est qu’il y a de grandes richesses.

Quel que soit le déroulement du processus, cela nécessitera une révision de la Constitution…
Quoi qu’il arrive, effectivement, il faudra réviser la Constitution. Cette révision est programmée mais ce n’est pas suffisamment su. Cela nous rend très libres d’imaginer quelque chose. Si le comité des signataires parvient à arrêter l’intitulé de la question soumise au référendum, ce sera un pas immense. La deuxième étape, c’est la révision constitutionnelle et, la troisième, le scrutin évidemment. Il faut prendre toutes les voies et les moyens pour que ce ne soit pas un référendum couperet et pour qu’il se déroule dans un climat apaisé.

C.V