Finances : Enercal veut provoquer un électrochoc

La trésorerie d’Enercal, dans le rouge depuis cinq ans, est en déficit de 2,5 milliards de francs. (© Enercal)

La dette de la Nouvelle-Calédonie auprès d’Enercal a explosé et devrait s’élever à 18,8 milliards de francs en juin. Son directeur, Jean-Gabriel Faget, demande la mise en place rapide de mesures afin de combler ce manque à gagner.

♦ L’URGENCE

Si les problèmes de ressources financières d’Enercal ne sont pas nouveaux, un niveau inédit a été atteint. « On est arrivé à un point qu’on n’avait pas encore connu jusque-là », indique Jean-Gabriel Faget, directeur de la société calédonienne. En cause, notamment, la forte hausse des prix des combustibles depuis plus de deux ans, ce qui a renchéri le coût de la partie production. Sans que cela ne soit compensé par les tarifs publics de l’électricité. Chaque année, les dépenses sont donc supérieures aux recettes. Résultat, le déficit chronique du système électrique s’est accéléré. « Il n’y a plus aucun matelas, plus d’amortisseur. La situation devient urgente. »

♦ 7 FRANCS DE PERTE PAR KWH

Le souci, c’est que l’électricité n’est pas facturée au bon prix, explique Jean-Gabriel Faget. « Produire, transporter et distribuer un kilowattheure coûte 42 francs. Or, le client en paie 35. » Soit un manque à gagner de 7 francs par kWh. La Nouvelle-Calédonie est censée verser une composante de stabilisation à Enercal afin de couvrir cette perte, ce qu’elle ne fait pas depuis plus de dix ans. Sa dette, devenue incontrôlable, s’élevait à près de 13 milliards de francs en juin 2023. Les prévisions tablent sur 18,8 milliards en juin 2024, dans seulement quatre mois. L’augmentation des tarifs de 11 % entre 2022 et 2023 (pour les forfaits d’une puissance inférieure ou égale à 3,3 kVA) et le versement, par le gouvernement, de 2,5 milliards de francs, n’ont quasiment eu aucune incidence, note le directeur.

♦ UNE TRÉSORERIE AU PLUS MAL

En s’envolant, la dette de la Nouvelle- Calédonie a entraîné des effets en cascade, obligeant Enercal à s’endetter à son tour (+10 milliards de francs) « pour suivre l’accumulation de ces déficits. Mais là, les banques ont sifflé la fin de la partie. Elles arrêtent de nous prêter ». La trésorerie a plongé (-2,5 milliards) ‒ « on a atteint notre maximum ». Et les dépenses d’investissement et de gros entretiens sont limitées au strict minimum. « Il ne faut pas aller en-dessous de ce niveau, au risque de prendre du retard sur la maintenance et de se retrouver en difficulté. » Pour l’instant, précise Jean-Gabriel Faget, « les interventions sur les ouvrages nécessaires à leur bon fonctionnement, leur sécurité et leur fiabilité sont couvertes ».

Qu’en sera-t-il dans quelques mois ? Enercal pourrait se retrouver dans l’incapacité de s’acquitter de ses créances, charges sociales, fournisseurs, ou bien de pouvoir racheter l’énergie auprès des producteurs de photovoltaïque et éolien, car « les kWh en obligation d’achat coûtent plus chers que ceux qu’on produit avec nos propres moyens thermiques ». Cela pourrait-il avoir des conséquences sur la distribution d’électricité ? La société dispose d’un stock de combustibles qui doit lui permettre de tenir deux à trois mois. « Pousser à l’extrême le mécanisme, c’est ne plus avoir assez d’argent pour en acheter et mettre en route les centrales à 18 heures et les éteindre à 22 heures, comme en Brousse il y a 40 ans. »

Le problème, insiste Jean-Gabriel Faget, directeur d’Enercal, c’est que « produire, transporter et distribuer un kilowattheure coûte 42 francs. Or, le client en paie 35. » (© A.-C.P.)

♦ TAXES, TARIFS, ÉCONOMIES

Plusieurs solutions, listées dans la délibération cadre et le projet de loi de pays adoptés par le Congrès le 18 janvier, doivent participer d’un retour à l’équilibre. Il est question d’une augmentation de 5 % des prix, ce qui engendrerait 1 milliard de recettes, avance Jean-Gabriel Faget. « On a un tarif qui est trop bas, et si on se compare, l’électricité calédonienne se situe entre la France et les pays européens qui ont laissé les prix s’envoler. Ce n’est pas la moins chère du monde mais pas la plus chère non plus. À La Réunion, par exemple, le kWh coûte 49 francs. »

Autres mesures envisagées : demander aux distributeurs de réaliser 5 % d’économies, revoir le prix de rachat du photovoltaïque sur toiture (qui passerait de 15 F/kWh à 6 F/kWh, évoque le directeur, soit « une adaptation […] en raison de la baisse du prix des panneaux et des onduleurs »), réviser la taxe perçue par les communes, etc. Mais l’outil « qui aurait le rendement le plus significatif », selon Jean-Gabriel Faget, c’est la taxe flottante sur les carburants. « La TET pourrait rapporter de 0, si le pétrole est cher, à 5 milliards de francs par an si le pétrole restait un petit peu inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. » Les arrêtés d’application n’ont pas encore été pris.

♦ ET LA TRANSITION ?

Pour l’instant, assure Jean-Gabriel Faget, les ennuis de trésorerie n’ont pas ralenti la transition énergétique, mais cela pourrait ne pas durer et avoir « des conséquences sur la mise en application du Stenc (Schéma pour la transition énergétique) », au cas où Enercal n’aurait pas les ressources nécessaires pour assurer les investissements prévus. Un des enjeux pour les années à venir, c’est le stockage de l’énergie photovoltaïque via la construction d’une première Step (Station de transfert d’énergie par pompage) à La Tontouta, « qui pèse environ 50 milliards de francs », projet porté par Enercal et EDF, précise le directeur, dont une grande partie serait financée par l’État dans le cadre du pacte nickel.

Anne-Claire Pophillat