Fermeture de l’atelier Bessemer : La fin d’une époque

La société Le Nickel a fermé son atelier Bessemer, mercredi soir. Un atelier symbolique qui produisait la matte de nickel, premier produit sorti des fours il y a plus de 130 ans. Un crève-cœur pour les salariés mais une nécessité pour la survie de l’entreprise qui doit réduire ses coûts de production sous peine de disparaître.

La joie était visible. Les sourires traduisaient toutefois uniquement le plaisir de se retrouver. Les anciens de l’atelier Bessemer dissimulaient leur tristesse en se rappelant les bons souvenirs et les différentes époques où l’on poussait encore les wagonnets à la force des bras. À l’occasion de la dernière coulée de l’atelier Bessemer, mercredi, la direction avait convié les retraités de cette activité très symbolique puisqu’il s’agit du tout premier atelier de Doniambo, un atelier racheté à Ballande qui coulait encore le métal dans les années trente.

« Nous étions un peu à part dans l’usine, explique Silipeto Muliakaaka, élu du Congrès qui a passé une vingtaine d’années à la SLN dont une partie à l’atelier Bessemer. Nous étions les seuls à être dispatchés un peu partout dans l’usine pendant les campagnes d’arrêt pour la maintenance des convertisseurs (sorte de fours). »

Trois milliards de pertes

C’est une fois encore le cas mais pas forcément de la manière dont l’auraient souhaité les salariés. Mercredi, les équipes de l’atelier ainsi que les anciens se sont retrouvés pour assister à la dernière coulée. Et cette fois-ci, les salariés seront placés ailleurs pour de bon. Pour la SLN, le maintien de l’atelier était devenu impossible. Chaque année, l’activité de production des mattes de nickel – représentant 10 % de la production totale – lui faisait perdre trois milliards de francs.

En cause, les contrats passés avec la maison mère, Eramet, exploitant l’usine de Sandouville, unique débouché pour ces lingots contenant 70 % de nickel, 20 % de soufre et 10 % de fer. La SLN était un des trois producteurs au monde à sortir ces produits très spécifiques et destinés à des usages tout aussi spécifiques. Les mattes, acheminées à Sandouville, étaient notamment transformées en nickel pur, converti à 99,9 % à son tour en sels de nickel puis vendus à Apple pour ses batteries, en pièces pour réacteurs de fusée ou finissaient encore dans l’industrie de l’armement.

Si la qualité des mattes de la SLN était irréprochable, les coûts de production étaient trop importants, des coûts auxquels la SLN devait ajouter ceux de l’acheminement, à sa charge, jusqu’en métropole. Un déséquilibre dans le contrat qu’a regretté Eddy Coulon, le responsable du Soenc nickel, soulignant que pour les salariés, ce mercredi était bien une journée de deuil. Ce sont désormais des mattes finlandaises (contenant 40 % de nickel) qui seront travaillées à Sandouville. Pendant la période faste de ces dernières années, la question des coûts ne s’était tout simplement pas posée, mais le contexte de crise sur le marché des métaux a complètement changé la donne.

Pour la SLN, la problématique est simple : s’adapter ou survivre. Une adaptation dont les salariés de l’atelier sont les premiers à faire les frais même si les 63 personnes ont été toutes reclassées au sein de l’entreprise (lire par ailleurs). Après une bonne centaine d’années de bons et loyaux services, l’atelier ferme donc ses portes d’où sont sorties très précisément 914 000 tonnes de nickel sous forme de mattes. Baroud d’honneur, les équipes de l’atelier ont réalisé le très bon chiffre de 1 547 tonnes au mois de juillet. Comme l’a rappelé Jean-Yves Blandin, le directeur de l’usine, la fermeture n’est pas liée à la productivité de l’atelier.

La course aux économies

Cette fermeture s’inscrit dans un plan plus large de sauvetage qui comprend neuf grands axes. À lui seul, l’atelier Bessemer représente une économie de 0,25 dollar US par livre. Un montant non négligeable puisque l’économie globale sera de 1,5 dollar US par livre de nickel produite. Pour se maintenir dans la course internationale, la SLN doit faire passer son coût de production de 6 dollars la livre à 4,5 dollars, soit un coût de production à 10 000 dollars la tonne d’ici 2018. Le métallurgiste est plutôt confiant et s’estime dans une bonne dynamique. Aujourd’hui, son coût de production est de 5,4 dollars US.

Un seul type de nickel sortira donc désormais des fours de la SLN. Le SLN 25, un produit normé qui est un ferronickel et contient donc du nickel (à 27 %) et du fer, notamment utilisé pour la fabrication de l’acier inoxydable. Les Chinois sont les premiers clients du SLN 25. Plus largement, les ferronickels représentent deux tiers des ventes et, selon les commerciaux de l’industriel, la demande est à la hausse. Tout l’enjeu est donc de remplacer les mattes par une hausse de la production de ferronickels. Elle devrait ainsi passer de 47 000 tonnes par an à 55 000 tonnes. Une augmentation qui conforterait la place de leader mondial du métallurgiste calédonien sur les ferronickels.


 

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Le convertisseur, technologie datant de 1855, a vécu ses dernières heures mercredi.

Pour beaucoup, il s’agissait de la « vraie » métallurgie, notamment en raison du bruit et des projections de métal en fusion.

 

 

 

 

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Ils ont été une quinzaine à répondre à l’invitation de la direction pour assister à la dernière coulée. Pour ces anciens du Nickel qui y ont passé plus de vingt ans pour certains, voir fermer cet atelier est un véritable crève- cœur.

 

 

 

 

 

Pas de plan social

La fermeture de l’atelier Bessemer ne s’est pas traduite par des licenciements. Les 63 personnes ont toutes été reclassées. Si les salariés étaient plutôt opposés à la fermeture et à leur mutation, ils en acceptent désormais le principe, y compris ceux qui n’ont eu d’autre choix que de passer du quart au travail à la journée. Un changement de rythme qui s’accompagne d’une perte de salaire. La direction des ressources humaines a toutefois fait son possible pour contenter tout le monde. Chaque agent a passé quatre à cinq entretiens individuels de façon à adapter aux mieux les reclassements. Si les syndicats ont accepté la nécessité de ces reclassements, ils restent toutefois vigilants concernant la réduction des effectifs de 300 postes annoncée par la direction. Les négociations à ce sujet n’ont pas encore commencé.

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Les agents de la SLN qui étaient employés sur l’atelier recevront un petit cadeau souvenir contenant un bout de matte produit dans l’atelier.

 

 

 

 

 

Bessemer, un procédé au nom de son inventeur

L’atelier Bessemer porte le nom d’Henry Bessemer, inventeur du procédé en 1855. Il s’agissait à l’origine de purifier l’acier en oxydant les éléments chimiques indésirables. Pour le nickel, il consiste à oxyder le fer contenu dans le ferro-nickel. La différence de poids entre le nickel et le fer permet de les dissocier et de pouvoir récupérer le nickel en dessous. L’autre avantage de ce procédé est qu’une fois le métal en fusion, il suffit de souffler de l’air et donc de l’oxygène afin de maintenir la température grâce à la réaction chimique d’oxydation.

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La matte de nickel calédonien était d’excellente qualité et présentant une teneur très élevée, de 70 % de nickel.

 

 

 

 

 

Texte et photos M.D