Féminicides : « Il y a encore un long travail »

Le cortège est parti de la province Sud vers 10 heures samedi 27 janvier, direction le Congrès, où il a été reçu par une délégation d’élus, puis le gouvernement, avant de terminer place de la Paix pour un repas partagé. (© A.-C.P.)

Entre 200 et 300 personnes ont défilé de la province Sud jusqu’à la place de la Paix, à Nouméa, pour dire « stop » aux féminicides et accompagner les familles endeuillées, à l’appel du nouveau collectif Cris et pleurs de femmes, samedi 27 janvier.

C’est l’histoire d’un long calvaire que raconte Thierry. Celui de sa belle-sœur, Maureen, 29 ans. Torturée, abusée, tuée. Par les coups de son conjoint dans la nuit du 11 au 12 février 2019 à Houaïlou. « Maureen se faisait fouetter », « battre avec une planche munie de clous », « Marcel lui avait demandé de manger dans la gamelle du chien », « de se mettre nue pour aller demander des cigarettes au cousin ». Corinne, Angélique, Ashley, Cindy, Jacinthe, « achevée à coups de guitare électrique », rappelle Yvette Danguigny, représentante de Cris et pleurs de femmes. Jusqu’à Lucie Fatauli Porempoea, cette mère de trois enfants battue à mort par son compagnon le 1er janvier.

Ce nouveau drame est à l’origine de la création du collectif et de la marche du 27 janvier, voulue comme une mobilisation en sa mémoire et celle de toutes les autres victimes. Un temps donné aux familles pour qu’elles puissent s’exprimer, partager. « C’est une journée de deuil, de soutien, ce n’est pas une marche comme les autres, insiste Yvette Danguigny. On est ici pour que ça se termine. Il ne faut jamais penser que ça n’arrive qu’aux autres, le combat contre le féminicide est un vrai combat, on parle de vie humaine. »

3 féminicides en 2022 en Nouvelle-Calédonie sur 118 en France.

Une façon de dire « stop » et « demander justice » pour Bertrand Porempoea, le frère de Lucie. Au micro, les témoignages se suivent, autant de récits de souffrance. De la colère, mais surtout une profonde douleur.

NE PAS SE TAIRE

La première des luttes est de rompre le silence. « Nous n’avons pas le droit d’oublier ni de nous taire », appuie Yvette Danguigny. « Il faut parler, car le silence, c’est aussi la complicité, et on ne peut pas être complice de ça », insiste Albert Wahoulo, président du bureau du conseil coutumier de l’aire Hoot ma Whaap. Le plus dur ? L’incompréhension face à ce déchaînement de violence. « Il n’y a plus d’humanité, on ne reconnaît plus nos garçons. Pourquoi ça arrive, comment ça peut aller jusqu’à la mort ? »

Thierry, à droite avec le micro, a témoigné
des supplices endurés par sa belle-sœur, Maureen. (© A.-C.P.)

Pour les femmes membres du collectif, il faut changer les comportements. « C’est un problème de société, les choses peuvent évoluer si vous, les hommes, vous changez. Ça passe par l’éducation des garçons, il faut qu’on leur apprenne le respect. » Bertrand Porempoea, qui anime la marche aux côtés d’Yvette Danguigny, acquiesce. « Si les enfants voient papa taper maman à la maison, ils reproduisent la même chose. Il faut sensibiliser nos jeunes. » En tant qu’homme, la démarche n’est pas si évidente. « C’est un peu dur pour nous de faire ce pas là, mais on le fait pour les accompagner et j’aimerais bien que demain, on soit plus nombreux. »

ACCOMPAGNER LES FAMILLES

Ces faits, Albert Wahoulo les dénonce aussi. « C’est intolérable, je ne peux supporter ça », notamment « par rapport aux responsabilités » qu’il assume, explique celui qui s’exprime au nom du conseil des grands chefs Inaat Ne Kanaky. Les coutumiers ont un rôle à jouer et de tels actes ne peuvent rester sans conséquences. « Quelqu’un qui fait du mal à son épouse, à sa fille, à la tribu, au village ou à l’endroit où il se trouve, à partir du moment où il prétend à des responsabilités coutumières, il doit être pointé du doigt et ne pas les occuper. Ce n’est pas forcément le cas aujourd’hui. » Le Sénat coutumier doit s’emparer du problème « et donner la place à la femme dans le milieu social », ajoute Albert Wahoulo, en tête de cortège aux côtés des autres hommes qui participent à la marche.

La question est également politique, estime Bertrand Porempoea. Car les familles des victimes, désemparées, sont souvent livrées à elles-mêmes. « Elles se retrouvent démunies, à devoir gérer les enfants et les questions médicales, scolaires… » Le collectif Cris et pleurs de femmes a rencontré Isabelle Champmoreau, vice-présidente du gouvernement, mercredi 24 janvier, afin d’évoquer les solutions pour leur venir en aide, comme la mise en place d’un accompagnement psychologique, administratif et social. Une nouvelle rencontre était prévue ce mercredi. « Il y a encore un long travail à mener. »

Yvette Danguigny, responsable du collectif Cris et pleurs de femmes
« IL FAUT QUE ÇA S’ARRÊTE »
Yvette Danguigny est elle-même famille de victime, sa nièce ayant été tuée
en mai 2023. (© A.-C.P.)

DNC : Quel est l’objet de ce collectif ?

Yvette Danguigny : Il est né pour soutenir la famille de Lucie et toutes les autres.

Vous êtes vous-même famille de victime de féminicide. Votre nièce, Diana Danguigny, a été tuée en mai 2023. Vous pensiez que cela pouvait vous arriver ?

Non, jamais. On s’est réveillé un matin, on nous a envoyé un message comme quoi notre nièce avait été tuée à bout portant d’une balle derrière la tête. Tu ne comprends pas. Son corps est retrouvé dans une bâche, nu. Il s’est passé quoi ? Je pleure parce que je suis atteinte dans les tripes, mais c’est ça qui nous motive, que ces filles ne soient pas mortes pour rien.

Quel message aimeriez-vous faire passer ce matin ?

Avec les expériences qu’on a, la montée de la violence dans nos familles, c’est l’importance de réapprendre le respect, parce que c’est le respect qui va donner l’amour, l’éducation de nos garçons, mais aussi l’implication des pouvoirs politiques, publics et coutumiers, parce que c’est un problème de société. Nous, les femmes, sommes déjà victimes, et nous nous levons pour dire qu’il faut que ça s’arrête, parce qu’on ne peut pas construire un pays si nos maisons, familles, clans sont déstabilisés par la violence, la violence des gestes, des comportements, des paroles.

Vous demandez également que les familles des victimes soient accompagnées. Que faudrait-il faire pour les aider ?

Quand les femmes décèdent, les enfants sont récupérés par les familles. Or, il y a des histoires, et les enfants sont parfois dispatchés chez les grands-parents, etc. Il faut un accompagnement psychologique, social…

Vous avez rencontré Isabelle Champmoreau, vice-présidente du gouvernement, sur ce sujet ?

Oui, et nous devons la revoir [ce mercredi, NDLR] pour continuer ce travail de réflexion sur ce qui peut être mis en place.

Une question est revenue dans les interventions, pourquoi. Avez-vous
une réponse ?

Non, je ne sais pas, je ne comprends pas, je cherche. On a mis des boîtes à idées à disposition pour que les gens puissent s’exprimer. Certains disent que c’est en raison du statut politique du pays, d’autres que c’est la mondialisation ou encore autre chose. Je n’ai pas de réponse, mais j’ai la capacité d’organiser ça pour en avoir. Si personne ne le fait, nous, les victimes, on le fait.

Peu de représentants politiques sont présents ce matin, le sujet a encore du mal à fédérer ?

C’est pour les familles. Les politiques, je n’en veux pas aujourd’hui. Mme Champmoreau est là, c’est elle qui nous a reçus. Toutes les marches qu’on a faites c’est sur les violences. Là, on a axé sur les féminicides. Ça n’intéresse pas trop encore, peu de politiques nous ont répondu, il y a eu des syndicats, l’USTKE, FO et le Parti travailliste, mais ils ont d’autres soucis, la question des femmes n’est pas leur priorité. Ça devrait être un sujet mis en avant, mais ils ont autre chose à penser, les discussions pour le futur pays, mais dans ce futur pays, ce sont les femmes qui travaillent, c’est la moitié de la population : ils ne sont pas sensibles à cela pour le moment, je me dis qu’ils sont sourds.

Propos recueillis par A.-C.P.

Le cortège se dirige vers le Congrès. (© A.-C.P.)

Anne-Claire Pophillat