Fabrice Drouelle : « Le combat féministe est précieux »

Fabrice Drouelle et Clémence Thioly sont pour la première fois en Nouvelle-Calédonie.© C.M.

Une voix, un phrasé, un sens du tempo. Le journaliste Fabrice Drouelle est maintenant comédien. Il rejoue trois épisodes de sa célèbre émission de radio, Affaires sensibles (France Inter), avec la comédienne et autrice Clémence Thioly, trois combats de femmes à découvrir en fin de semaine au Théâtre de l’Île.

DNC : Comment Affaires sensibles est passée de la radio au théâtre ?

Fabrice Drouelle : Le producteur Alexis Tregaro m’a appelé : « on rêve d’adapter votre émission au théâtre, est-ce qu’on peut se voir ? ». Je l’ai rencontré avec le metteur en scène Éric Théobald. Ils étaient très enthousiastes, je me suis dit qu’ils étaient complètement cinglés. Comment est-ce qu’on transpose une émission ? Ça me paraissait impossible, sauf à faire quelque chose de très convenu. Puis je me suis laissé entraîner dans l’aventure. La première a eu lieu le 22 septembre 2020. Je m’en souviendrai toujours, ça a été le vertige de ma vie !

Vous aviez déjà joué ?

Je jouais depuis 15 ans, mais dans des petites structures. J’avais commencé parce que j’étais marié à une comédienne, j’étais son répétiteur naturel. Ces 15 ans m’ont permis de comprendre ce qu’était un déplacement sur scène, le rapport avec le public. Sans cela, je n’aurais jamais osé me présenter sur la scène du Tristan Bernard. Je suis donc devenu comédien, même professionnel, et j’ai d’autres projets, notamment d’un très bon auteur qui est un fan absolu. Il m’imagine en « Patrice Drouaut », invité par deux fans qui vont finalement me séquestrer…

Qu’est-ce qui vous plaît ?

En radio ou en télé, le public, c’est une abstraction. Là, il est devant et, ce qui m’impressionne, c’est la qualité d’écoute, le silence : c’est extraordinaire, presque assourdissant.

Quel est votre support préféré ?

En ce moment, c’est le théâtre. Et plus largement, le développement d’Affaires sensibles. À partir de la radio, on a quatre prolongements, le théâtre, la télévision sur France 2 en hebdomadaire, le web avec les podcasts ‒ c’est l’émission la plus podcastée ‒ et le quatrième livre sort mi-octobre. C’est fou, Affaires sensibles est devenue ce qu’on appelle un média global.

Comment expliquez-vous ce succès ?

Je pense qu’on a réussi ‒ parce que c’est un édifice de 22 personnes ‒ à créer une atmosphère, peut-être même un univers, en tout cas, quelque chose qui fait signature. Les gens de la com’ à France Inter appellent ça la marque. Moi, je préfère l’image de marque. C’est ce à quoi je m’attelle tous les jours : faire en sorte que l’émission du jour soit digne de celle de la veille, de celle du lendemain.

Qu’est-ce qu’une affaire sensible ?

L’ADN d’Affaires sensibles n’est pas le fait divers, qui ne représente que 20 % de la programmation, c’est le fait divers entre autres, donc ça peut être sociétal, culturel, sportif, diplomatique, scandale d’État… Une affaire est sensible dès lors qu’on en a parlé pendant plusieurs jours. Mais parfois on a des chemins de traverse, une affaire qui n’est pas sensible, mais qu’on a choisie parce qu’elle nous plaît.

Quel est le mécanisme de l’émission ?

Nous sommes sept permanents avec le rédacteur en chef, trois réalisateurs et réalisatrices, une documentaliste sonore et une chargée de production. On dispatche les sujets à des auteurs et autrices qui ont une semaine pour les monter. Deux jours pour la documentation à travers la littérature, les coupures de presse, un jour pour la recherche d’archives, et deux pour la rédaction.

Mon rôle est de réécrire les textes, j’apporte mon oralité, un style, des éléments d’analyse, d’information. Et un point de vue parce que je ne crois pas du tout au journalisme objectif, c’est une légende urbaine. Il y a autant de points de vue que de journalistes, c’est la pluralité de la presse, principe auquel je tiens beaucoup.

Donc le cœur de mon activité est l’écriture, après il y a l’antenne et puis l’interview, un exercice de journaliste chimiquement pur quand le récit en radio emprunte au travail de comédien, parce que tout est en direct. Sauf quand je suis en Nouvelle-Calédonie : j’ai enregistré six émissions, des inédits que nous proposons cette semaine.

Le récit en radio emprunte au travail de comédien, parce que tout est en direct.

Combats de femmes : Pauline Dubuisson, la tondue de Chartres, Édith Cresson, première femme Première ministre, et Marie Humbert, qui fit du droit au suicide pour son fils le combat d’une vie.© Fabienne Rappeneau.

Gardez-vous le souvenir d’une affaire sensible en Nouvelle-Calédonie ?

Oui, la grotte d’Ouvéa, évidemment. C’était une des premières.

Il a toujours été question de trois femmes pour la pièce ?

Oui, c’était vraiment ma volonté. Je déclare, sans modestie, que nous sommes, je pense, l’émission la plus féministe de France. Sur 777 émissions, plus de 150 concernent des combats de femmes, quelles que soient l’époque ou la thématique. C’est très important parce que j’ai l’impression qu’on est dans un balancier réactionnaire, que le monde est plutôt triste et c’est une lumière qui s’allume. On tient là quelque chose de précieux. Le féminisme, pour moi, s’inscrit vraiment dans le progressisme. Et on a tout intérêt, nous les hommes, à le soutenir.

Comment ont-elles été choisies ?

Édith Cresson, parce que ma passion c’est la politique et notamment la Ve République. Ensuite, un fait divers avec Pauline Dubuisson, et je souhaitais un sujet profondément humain, de société, avec Marie Humbert dont le combat a débouché sur la loi Leonetti, qui n’est pas encore l’euthanasie active, l’idéal humain et humaniste, mais un vrai progrès. C’est le combat du pot de terre contre le pot de fer. Et le combat de la femme, c’est d’abord ça : un rapport de force qui n’est pas favorable, mais qui, à force de combat, finira par être égalitaire, enfin j’espère.

Le combat de la femme, c’est d’abord ça : un rapport de force qui n’est pas favorable.


 

Dans cette émission de radio transposée au théatre, Fabrice Drouelle reprend son rôle de conteur. Clémence Thioly joue trois femmes, pour la partie « archives ». © Fabienne Rappeneau. DR Théâtre de l’Île

Clémence Thioly : « C’est formidable de pouvoir accompagner ces femmes»

« J’incarne trois personnages trés différents. Le travail se fait par le biais du corps, de la voix, des costumes. C’est une pièce hybride qui me permet de traverser une palette très variée. Dans une pièce de théâtre plus traditionnelle même s’il y a une évolution psychologique, on a généralement qu’un personnage. Le but est d’emmener les gens dans chaque histoire, dans l’instant. Il faut qu’on arrive à voir Pauline Dubuisson, Marie Humbert et Édith Cresson, pas la comédienne qui les joue ou l’histoire précédente.

C’est formidable de pouvoir les accompagner, et pour moi qui suis aussi féministe, de montrer la difficulté d’être une femme à une certaine époque, d’être accusée à tort, de porter un poids qu’on n’aurait pas dû.

Édith Cresson était un personnage que je ne connaissais pas bien, mais qu’est-ce qu’elle en a bavé juste parce qu’elle était une femme, alors qu’elle avait des idées géniales. Pour Marie Humbert, j’en ai pleuré à la lecture, je me suis demandé comment j’allais faire pour la jouer sans m’effondrer tellement c’est bouleversant. La pièce en tout cas est très bien accueillie par le public. On sent qu’ils sont attentifs, que ça leur plaît, que ça les émeut, c’est très agréable pour nous. »

Affaires sensibles en radio, c’est 1 million d’auditeurs en écoute directe à 15 heures et à 23 heures (8 heures et minuit pour nous), 6 millions en podcast.

La pièce Affaires sensibles, une coproduction Qui m’aime me suive et France Inter, écrite par un collectif d’auteurs, a déjà été vue par plus de 40 000 spectateurs. Elle sera jouée jusqu’en juin 2024 au moins.

Au Théâtre de l’Île rendez-vous est donné vendredi 22 septembre
à 20 heures, samedi 23 et dimanche 24 septembre à 18 heures. Une séance scolaire est prévue le vendredi après-midi.

Chloé Maingourd.