« Exploiter les fonds marins serait une folie absolue »

Olivier Poivre d’Arvor, diplomate, ancien directeur de France Culture, écrivain, frère de Patrick, a été nommé ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes par Emmanuel Macron en novembre 2020, succédant à Ségolène Royal. / © G.C.

Le conseiller d’Emmanuel Macron sur les questions liées aux océans, Olivier Poivre d’Arvor ne croit pas aux mines sous-marines « durables ». À Nouméa, il a défendu devant des responsables internationaux l’idée de leur bannissement ad vitam æternam.

DNC : Lors du séminaire sur les fonds marins, les 13 et 14 juin, vous avez débattu avec des responsables favorables à l’exploitation. Comment avez-vous tenté de les convaincre ?

Olivier Poivre d’Arvor : Par le même message que l’on a passé dans les années 2014-2015 pour le climat et qui a permis qu’une COP21 ait lieu à Paris, que les accords que l’on connaît aient été signés. Ils sont plus ou moins respectés, mais ils ont au moins alerté la communauté internationale et l’opinion publique sur le sujet dramatique du climat.

Le gouvernement calédonien veut un moratoire de 10 ans. Vous allez plus
loin et demandez aux États de « bannir » l’exploitation et de ne pas rédiger un code minier…

La réalité, c’est que depuis 40 ans, l’Autorité internationale des fonds marins, liée aux Nations unies, a pour mission de permettre l’exploration aux fins d’exploitation. Depuis quelques années, on travaille sur l’idée d’un code minier afin d’exploiter, soi-disant durablement, les fonds marins. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? On ne connaît pas le fond des océans. On ne connaît donc pas les effets d’une extraction forcément violente de ce qui s’est créé à travers les millénaires, de ce qui est un puits de carbone.

Nos jeunes générations nous jugeraient avec un regard effrayé.

De plus, il n’y a pas de modèle économique. Personne, aujourd’hui, n’est prêt à se lancer dans une exploitation raisonnable des fonds marins. Et in fine, on n’en a pas besoin. Le cobalt, le nickel, le manganèse… On trouve tout cela sur terre. Des scientifiques extrêmement sérieux disent que les réserves de cobalt sont largement suffisantes. Et on est dans un mouvement contraire, de protection de l’océan.

Exploiter les fonds marins serait une folie absolue. Nos jeunes générations nous jugeraient avec un regard effrayé. Y renoncer, c’est retenir la leçon de l’histoire, la leçon des scientifiques.

Le Cluster maritime français soutient au contraire que le monde aura besoin de ces métaux. Que vous inspire cette position ?

Quand le président de la République a décidé de porter la voix de l’interdiction, il a raisonnablement conclu que c’était plus sage. Le jour où nous avons décidé cela, aucune entreprise sérieuse ne nous a dit que c’était dramatique ou que nous hypothéquions l’avenir.

Que savons-nous de ce dont nous aurons besoin, si ce n’est ce que nous voulons ? Nous ne voulons pas davantage de dégâts. Il faut savoir limiter certaines productions. Les batteries, il y en a en nombre suffisant, il faut les recycler.

Avant sa position actuelle, exprimée en 2022, Emmanuel Macron a soutenu l’exploitation…

Le plan France 2030 était conçu pour explorer et, dans des conditions raisonnables, exploiter. Il est daté. Je crois que le président a pris conscience, comme beaucoup de gens de notre génération, que la situation du climat était telle, que nous étions tellement en retard sur nos engagements, que nous ne pouvions pas ouvrir ce nouveau chantier. Cette conscience aiguë, qu’il a eue en discutant notamment avec des océanographes, l’a convaincu de porter cette position radicale.

Nous étions tellement en retard sur nos engagements, que nous ne pouvions pas ouvrir ce nouveau chantier.

Le sommet des Nations unies de Nice 2025 promet d’être décisif. La coalition dont fait partie la France n’est pas pléthorique. Êtes-vous pessimiste ?

Quelques grands pays un peu prédateurs se disent « on va y aller ». Dans le Pacifique, Nauru et d’autres États souhaitent exploiter. Fidji ou Palaos ne le veulent pas.

Si l’on reste à un niveau de discussion technique dans le cadre d’une autorité internationale des fonds marins, là, oui, je suis pessimiste. Mais je suis optimiste si les discussions sont politiques. Les chefs d’État et de gouvernement, qui ont besoin d’être réélus, diront-ils à la face du monde qu’ils veulent exploiter les océans ? Je pense que peu le feront.

Autour d’eux, les scientifiques, les jeunes générations, la société civile sont majoritaires. Les lobbies industriels sont très faibles dans ce domaine, c’est notre chance. Il faut en profiter.

Propos recueillis par Gilles Caprais