L’Agence néo-calédonienne de la biodiversité a été évaluée par le comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sur son premier plan d’action relatif à la lutte contre les espèces exotiques envahissantes. Retour sur la stratégie mise en place ces cinq dernières années et les priorités à venir.
Cerfs, cochons, bulbuls à ventre rouge, chats harets, lapins domestiques, fourmis électriques. Ces espèces très éloignées les unes des autres possèdent un point commun : leur caractère envahissant présente une menace pour le territoire.
L’Agence néo-calédonienne de la biodiversité (ANCB) a fait de la lutte contre ces envahisseurs son cheval de bataille. Un premier plan d’action a été mis en œuvre de 2017 à 2022, faisant récemment l’objet d’une évaluation par l’UICN. Les efforts de communication à destination de différents publics ont été soulignés par l’organisme. « Pour informer et aussi mobiliser, il était important qu’on déploie la communication avec la production de documents simplifiés, les posters des 68 espèces exotiques envahissantes (EEE) établies sur le territoire, etc. », explique Patrick Barrière, coordinateur du pôle Menaces à l’ANCB.
588 SIGNALEMENTS
Le fait d’alerter régulièrement sur leur dangerosité pour la biodiversité a incité les Calédoniens à contacter la cellule de veille, note l’UICN. « Quand l’espèce est passée entre les mailles de la biosécurité, il faut être suffisamment attentif sur le terrain pour détecter le plus tôt possible ces nouveaux intrus. Plus on intervient rapidement, plus c’est facile et moins c’est coûteux. L’UICN a indiqué que la cellule de veille a eu un succès particulier qu’on ne retrouve pas forcément dans les autres outre-mer. »
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 588 signalements ont été reçus et traités, avec 119 réactions rapides. Les bulbuls (lire par ailleurs) ou encore le python réticulé (trouvé en 2018 à la tribu de Tiéta à Voh) nécessitent par exemple des interventions quasi-immédiates.
L’autre réussite concerne le nombre d’actions sur le terrain visant les espèces déjà établies en Nouvelle-Calédonie : cerfs, cochons, chats, lapins, Miconia (lire par ailleurs). Selon l’UICN, l’une des grandes réalisations est le projet régional PROTEGE qui a constitué « une véritable traduction opérationnelle » de la stratégie de lutte contre les cerfs et cochons, dans des zones où aucun chasseur n’est présent et où ces animaux sont « hors de contrôle » (lire par ailleurs).
En chiffres
2 500 espèces terrestres et d’eau douce introduites
105 principales espèces exotiques envahissantes impactant les espaces naturels
68 prioritaires (46 animaux et 22 végétaux)
487 espèces menacées sont impactées, selon la liste rouge mondiale de l’UICN
75 30 69, numéro d’urgence pour signaler une espèce envahissante
LE SCARABÉE RHINOCÉROS NE SERA PAS ÉRADIQUÉ
Malgré les importants moyens déployés, certaines espèces ont résisté. C’est le cas du scarabée rhinocéros qui risque d’engendrer des dégâts considérables sur la Grande Terre. « Le gouvernement nous a informés que, malheureusement, il était trop tard. On ne pouvait plus espérer l’éradiquer. Donc tous les moyens sont positionnés pour éviter qu’il ne se propage aux Loyauté. »
La biosécurité inter-îles figure comme l’un des chantiers prioritaires du nouveau plan d’action 2023-2028. « Au-delà de la sensibilisation des habitants, des socioprofessionnels, il n’y a pas de plan d’action spécifique ou de gouvernance », indique Patrick Barrière. Il paraît donc essentiel de convenir d’une stratégie efficace afin d’identifier les voies d’entrée les plus défaillantes et les espèces à risque.
Autre point à approfondir : la création d’un fonds d’urgence si un nouvel intrus était découvert et que sa gestion nécessitait des moyens conséquents. « Nous sollicitons parfois des experts régionaux ou internationaux lorsqu’on n’a pas la compétence. Le gouvernement joue ce rôle avec le Sivap (Service d’inspection vétérinaire, alimentaire et phytosanitaire) pour ce qui est des risques agricoles, mais on n’a pas la réserve financière si un jour une espèce majeure venait à être identifiée », dévoile Patrick Barrière. Il pense à la fourmi de feu, pas celle déjà présente dans nos jardins, mais celle qui cause des problèmes considérables en Australie. « Cela pourrait nécessiter des moyens importants pour tenter de l’éradiquer le plus rapidement possible. »
L’ANCB n’a d’ailleurs pas attendu la création de ce fonds : il existe déjà au port autonome des pièges à fourmis afin de vérifier régulièrement si des individus émergent. Les acteurs qui agissent dans la lutte contre les espèces exotiques envahissantes doivent être prêts à toute éventualité. Avec le changement climatique et la facilité à se déplacer dans le monde entier, ce n’est que le début d’une ère d’invasion des espaces naturels.
LE BULBUL, L’OISEAU DE MAUVAIS AUGURE
Avec sa petite houppette noire sur la tête et son ventre rouge, le bulbul possède une frimousse des plus attrayantes. Même son nom fait sourire. Cet oiseau d’environ 20 centimètres est pourtant loin d’être mignon. Il est classé comme prioritaire parmi les 68 espèces exotiques envahissantes.
Le bulbul a été relâché à Nouméa dans les années 1980. Son aire de répartition s’étend actuellement de Yaté à Boulouparis. Sauf que de nombreux signalements sont rapportés en dehors de cette zone. « On en trouve à Koné, Voh », confirme Patrick Barrière. Car considéré comme sympathique au premier abord, il peut être détenu en captivité par des personnes qui ne mesurent pas forcément le risque de leur présence dans la nature. Le bulbul inflige de très gros dégâts agricoles, notamment sur les productions fruitières, ainsi qu’environnementaux.
400 spécimens abattus en deux ans
La lutte se poursuit actuellement afin d’éviter que la population ne s’étende. « On cherche à limiter son aire de distribution en effectuant des actions d’éradication locales. » Depuis deux ans, 400 bulbuls ont été abattus avec la contribution de la fédération de la faune et de la chasse et la SARL 3C (Concept cynégétique calédonien). Au-delà des opérations armées, l’Agence néo-calédonienne de la biodiversité a développé un piège efficace pour faciliter leur chasse dans les zones urbaines.
LE CERF RUSA, LE BROUTEUR DÉVASTATEUR
Il a sa place sur le podium des envahisseurs. Le cerf rusa, mammifère ongulé de 80-110 centimètres de hauteur au garrot et pesant entre 80 et 120 kg, fait partie des espèces prioritaires à réguler.
Introduit en 1870, il recense ses premiers dégâts dès 1882. Pâturages, cultures, plantations forestières, sites miniers en revégétalisation… Rien ne résiste à son passage. Une dizaine de plantes qu’il consomme sont menacées d’extinction. Il représente en Nouvelle-Calédonie la plus grande population mondiale alors qu’il se trouve sur la liste rouge des espèces menacées dans son aire d’origine (Indonésie).
Retour de la régulation héliportée ?
Des opérations contre le mammifère sont menées régulièrement, notamment dans des zones difficiles d’accès qui nécessitent des actions innovantes. « Parmi celles qu’on a développées, en s’inspirant de ce que font les Néo-Zélandais, il y a la formation de 25 agents de régulation professionnels, qui ont pour vocation de sauver ce qui reste à préserver dans les forêts humides », développe Patrick Barrière. Autre innovation : une méthode d’estimation de l’abondance des cerfs par drone avec un capteur thermique. « C’est la première fois que ça se fait sur la base de vidéos enregistrées et avec l’aide d’un algorithme qui permet de compter les animaux beaucoup plus efficacement. »
La mise en place de formations de tireurs héliportés constitue la prochaine étape. Une stratégie déjà testée en 2013 qui avait été approuvée pour ses résultats « incomparables ». En une heure, plus de 68 cerfs avaient été abattus. À savoir : entre 2008 et 2020, plus de 200 000 cerfs ont été éliminés (soit 15 400 par an) dans le cadre de l’opération mâchoires à l’initiative de l’Agence rurale et coordonnée par l’ANCB.
LE MICONIA, LA « PESTE » VÉGÉTALE
Surnommé le « cancer vert » à Tahiti ou encore « la peste pourpre » à Hawaï, le Miconia représente une menace considérable pour les forêts naturelles humides du territoire. « C’est la seule espèce végétale en priorité 1 de la stratégie », rappelle Patrick Barrière. La zone envahie par cet arbre, pouvant atteindre 10-15 mètres de hauteur, est estimée à environ 120 hectares dans la vallée de la Thy (Mont-Dore).
On reconnaît le Miconia à ses feuilles constituées de trois nervures principales, vertes au-dessus et violacées en dessous. Ses fleurs blanches ou roses apparaissent en grappes. Quant à ses fruits globuleux, ils sont violets-noirs à maturité et atteignent 2 mm de diamètre.
En voie d’éradication
Le Miconia est très envahissant : sa reproduction massive (200 graines par baie) et sa croissance rapide (1,5 m/an) font de cette espèce un danger pour les autres plantes natives. La bonne nouvelle, c’est qu’il devrait bientôt disparaître. « On est en passe de l’éradiquer mais c’est long : il faut épuiser la banque de graines. »
Edwige Blanchon