Emmanuel Macron a 35 jours pour éviter une cohabitation

D’ordinaire sous la Ve République, le président de la République nouvellement élu est promis à un « état de grâce ». Mais rien n’a été « ordinaire » dans ce scrutin. Élu dimanche, davantage par rejet de son adversaire que sur son nom, Emmanuel Macron a maintenant un mois pour construire une majorité et éviter la cohabitation que lui promet François Baroin, nouveau leader des Républicains pour les législatives.

66 % contre 34 %. – Avec 66 % des suffrages exprimés en faveur d’Emmanuel Macron, contre 34 % pour Marine Le Pen, le résultat est sans appel mais en trompe-l’œil. Face au Front national, un second tour de présidentielle n’est jamais un plébiscite pour le vainqueur. Les 82,2 % engrangés par Jacques Chirac en 2002 n’ont jamais été sa propriété. Et comme lui, le huitième président de la Ve République recueille, plus qu’un vote d’adhésion, un vote d’aversion envers celle qui s’est posée en « challenger ».

Président sans majorité. – Sans l’opportunité d’un second tour face à l’extrême droite, le plus jeune Président élu de la Ve pèserait « de facto », comme il aime à dire, un quart des suffrages exprimés. Et encore : un quart des deux tiers de votants, si l’on retranche l’abstention. C’est donc peu pour asseoir une majorité présidentielle au palais Bourbon. La révolution macroniste de la « République en marche » (le nouveau nom d’En marche ! pour les législatives) a beau avoir fait voler en éclats le système des partis, le type de scrutin des législatives les remet en scène : prêts à se venger pour éviter l’atomisation des forces politiques.

Majorité absolue = 289 députés. – Pour l’empêcher, Macron dispose de six semaines pour composer, séduire et s’offrir une majorité des 577 circonscriptions, qui donnent droit à un banc à l’Assemblée nationale. Et même, s’il a promis d’en réduire le nombre et de mettre 50 % des sortants au rebut, ce sera pour plus tard. C’est bien avec cette représentation-là qu’il lui faudra composer. Majoritaire ou non : telle est sa question.

« L’héritier » de Hollande. – Première règle en la matière : obtenir l’allégeance de la majorité de son prédécesseur : possible, c’est en cours. Aux cérémonies du 8 mai, François Hollande ne l’a-t-il pas fièrement présenté comme son « héritier » ? De là à faire le plein à gauche : autant recueillir tous les éclats d’une naine blanche mourante ! Or Macron n’est pas stupide et ne se précipitera pas au chevet d’un paraplégique pour lui proposer le marathon de New York. Reste la droite à courtiser…

La diagonale du Béarnais. – Deuxième règle, alors : subtiliser la majorité de son adversaire en le dupant. Non pas les frontistes, mais Les Républicains, qui auraient dû se retrouver au second tour, si leur candidat n’avait eu un rapport « divergent » avec l’argent. « Ce qui a marché avec François Bayrou devrait fonctionner avec les autres », doit se dire Emmanuel Macron. Sauf que le Béarnais n’est plus à un recyclage près : parti du Centre des démocrates sociaux, à l’aile sociale du giscardisme de 1974, il est allé jouer les forces d’appoint du Parti socialiste en 2012 et depuis… Il se voit Premier ministre ! Des parcours comme le sien apportent de l’eau au moulin frontiste : Macron le sait aussi.

Sourires et promesses. – Reste donc au jeune Président à contraindre Les Républicains par le sourire et les promesses. « Dans toute démocratie, on force le destin par les portes les plus faibles », disait Cambacérès, mais c’était il y a très longtemps, sous le Directoire ! Quand on ne se prétend « ni de droite, ni de gauche », il faut séduire pour finir « le casse du siècle », comme l’affirme Le Point de cette semaine.

L’heure des défections ? – Ainsi, dès la soirée électorale de dimanche, la ruche médiatique bruissait des « reconversions au macronisme » de Xavier Bertrand, Nathalie Kosciusko-Morizet, Alain Juppé et d’autres. Tous ont démenti (pour l’heure ?). Mis à part Christian Estrosi (démissionnaire de la région Paca et redevenu maire de Nice) et Bruno Lemaire, personne n’a répondu aux sirènes élyséennes. La personnalité du futur Premier ministre pourrait bien rebattre les cartes et, fonction du locataire de Matignon, l’heure des défections pourrait encore sonner à la pendule des Républicains…

Harry Potter à la manœuvre. – Sur la route de Macron, désormais un seul homme semble se dresser : François Baroin. Coqueluche des médias, parce que journaliste prodigue et protégé de Jean-Pierre Elkabbach à Europe 1, dans les années 1990. Éternel Harry Potter à la voix grave, filleul de Chirac, mais vacciné à la mitterrandie et aujourd’hui « porte-drapeau des Républicains » aux législatives : franchement le dandy député-maire de Troyes n’en demandait pas tant. Mais il assumera : c’est dans ses gènes. À lui la lourde tâche de serrer les boulons d’une droite républicaine, mais déconfite, depuis l’échec de François Fillon au premier tour de la présidentielle. Il en a la trempe. De lui dépend désormais la cohabitation de Macron avec un gouvernement de droite classique.

Le FN a vécu, pas ses idées. – Dans le même temps, avec près de 11 millions de suffrages, Marine Le Pen double le score de son père à la présidentielle de 2002 et s’enracine dans le paysage géopolitique. Elle est arrivée en tête dans 45 des 477 circonscriptions et voudrait transformer l’essai aux législatives. Mais elle a bel et bien buté sur le plafond de verre, qu’elle avait pourtant contribué à rehausser, jusqu’au débat fatidique de l’entre-deux tours. On évoque le changement de nom programmé du FN (« l’Alliance des patriotes républicains » tiendrait pour l’heure le haut du pavé) et permettrait justement de nouer des alliances, comme avec Nicolas Dupont-Aignant.

« Lamentable » – « Ainsi s’achève donc le mandat le plus lamentable de la Ve République » a commenté de son côté Jean-Luc Mélenchon. Pour le meilleur ou le pire. Car si à droite la situation paraît quelque peu…confuse, après une telle déclaration, la recomposition à gauche semble bien plus « abracadabrantesque » encore.

À l’instant de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, chaque famille politique disposait donc de 35 jours pour faire sa mue et survivre. Ou ?…

M.Sp.

©AFP