Du sursis pour la SLN

Le conseil d’administration d’Eramet, qui s’est tenu le 20 février, a acté des pertes conséquentes pour la société Le Nickel. La présidente du conseil, Christel Bories, a indiqué que la situation ne pouvait pas perdurer. Faute d’atteindre les objectifs permettant de renouer avec des excédents, des mesures radicales devront être prises.

10,7 milliards de francs. C’est le montant des pertes de la SLN en 2018. Un chiffre qui peut donner le tournis, mais marque pourtant une amélioration pour cet acteur historique du nickel calédonien. En 2017, les pertes étaient de l’ordre de 16 milliards de francs. Il faut remonter à 2011 pour trouver des résultats excédentaires. Au total, ce sont plus de 100 milliards de francs qui ont été perdus depuis 2012. Une addition plutôt salée que le métallurgiste n’aurait pas pu assumer sans le soutien de l’État et de son actionnaire majoritaire, Eramet, qui lui ont accordé un prêt de 63 milliards de francs. Des crédits consommés à plus de 60 % fin décembre 2018. Sans réelle amélioration, le prêt pourrait être entièrement épuisé d’ici fin 2020.

La SLN se retrouverait alors dans une situation plus que délicate. Christel Bories, la présidente- directrice générale du groupe Eramet, a clairement indiqué, à l’issue du conseil d’administration du groupe qui s’est tenu le 20 février, que faute d’améliorations, des mesures radicales devront être mises en œuvre. Parmi elles, on évoque notamment de la fermeture d’un four à l’usine de Doniambo qui impliquerait près de 200 licenciements. Les sites miniers pourraient également ne pas être épargnés. Dans les couloirs, le dépôt de bilan est même évoqué. Un tabou si l’on considère le poids historique et social de la SLN et ses près de 2 000 emplois directs, mais le risque de liquidation est pourtant bien réel.

Substituer l’exportation à la métallurgie

Pour sortir la tête de l’eau, le métallurgiste calédonien devra relever un certain nombre de défis, à commencer par la réduction de ses effectifs. S’il fait grincer des dents chez les syndicats, le fait est que la SLN, selon la direction, doit réduire sa masse salariale à 1 700 emplois d’ici fin 2020. Alors que l’objectif était d’atteindre un coût de production de l’ordre de 4 dollars US la livre de nickel en 2020 au travers de son plan SLN 2020, la réalité est sensiblement différente. Le précédent plan de performance avait permis de réduire les coûts à 5,06 dollars US en 2016 et même 4,5 dollars la livre à la fin de l’année 2017. En repassant à 5,8 dollars la livre, la SLN réalise donc une contreperformance qui s’explique notamment par des difficultés sur les centres miniers, mais aussi et surtout des difficultés à mettre en œuvre les mesures prévues par le nouveau plan de performance dans les temps.

Sur les réseaux sociaux, Philippe Gomès, administrateur d’Eramet, représentant la STCPI, a détaillé les réformes à mettre en place pour sauver l’outil industriel et plus généralement la nécessité de revoir en profondeur le modèle économique. Le nouveau modèle ne reposerait plus uniquement sur la production métallurgique, l’idée étant de développer les exportations de minerai « pauvre », non exploitable par la SLN et la pyrométallurgie. Comme l’a annoncé Christel Bories, les demandes d’exportation devraient être déposées sur le bureau du gouvernement d’ici la fin du premier trimestre. Selon Philippe Gomès, les exportations devraient être multipliées par quatre à très court terme, passant d’un million à quatre millions de tonnes à l’horizon 2021. Un moyen de faire rentrer de l’argent frais dans les caisses, mais produisant des retombées bien plus faibles pour l’économie calédonienne et avec des conséquences environnementales non négligeables.

L’accroissement des exportations permettrait de réduire le coût de production de ferronickel de 0,6 dollar US par tonne de nickel. Mais à l’instar de la production de ferronickel, la production de minerai devra également être compétitive face à aux producteurs low-cost qui dominent le marché. Les rouleurs et les autres sous-traitants de la SLN devraient donc être mis à contribution une nouvelle fois après avoir déjà fait des efforts. Outre un plan social qui ne dit pas son nom, le personnel sur mine de la SLN va devoir passer aux 147 heures mensuelles.

C’est tout l’enjeu de la grève conduite par la branche nickel de l’USTKE et la CSTNC qui paralyse certains centres miniers depuis près de deux mois. Deux syndicats minoritaires sur l’ensemble des salariés, mais qui restent majoritaires sur site minier. L’usine sera à son tour concernée par des remaniements prévus au mois d’avril. Ces réorganisations au niveau du personnel sont censées réduire le coût de production de 0,4 dollar US.

Pas de débat public, pas de stratégie

Le dernier volet d’économies concerne l’énergie. Un dossier complexe qui mélange différentes sources et notamment la centrale au fuel de la SLN* et le barrage de Yaté, propriété de la collectivité au travers d’Enercal. Tout l’enjeu pour l’industriel est de parvenir à négocier de meilleurs tarifs de rachat du kilowattheure produit par le barrage. L’énergie représente près de la moitié des coûts de production. En 2012, sous l’impulsion de Philippe Gomès, la production d’électricité peu chère du barrage de Yaté avait été restituée à la faveur de la fin d’un accord sur la stabilité des prix. Ce dernier avait bondi de 2,2 francs à 13 francs. Aujourd’hui, les négociations porteraient sur un retour à 7 francs. Une décision qui aurait des conséquences pour les Calédoniens qui devront assumer le coût de cette concession.

De la même manière, un mauvais dimensionnement du projet de la centrale à gaz pèserait sur les budgets des usagers et des collectivités, en particulier en cas de baisse de l’activité de la SLN. Les gains espérés sur les coûts de production sont de 0,2 dollar la livre de nickel à l’horizon 2022. Concrètement, si ces réformes ne portent pas leurs fruits d’ici quelques mois, le métallurgiste calédonien devra traverser l’une des pires crises de son histoire et pourrait ne pas s’en remettre. Autant d’éléments qui nécessiteraient d’être débattus publiquement, mais qui restent pourtant dans l’intimité des bureaux feutrés.

Comme l’ont illustré les déclarations de Daniel Goa, le président de l’Union calédonienne, concernant notamment la gestion de la ressource, tous les partis politiques ont des positions sensiblement différentes sur la question des exportations ou encore des conséquences environnementales de la mine. Malgré l’engagement du gouvernement d’entamer les travaux sur la stratégie nickel en 2015, à l’issue du « conflit des rouleurs », force est de constater que la réflexion est au point mort sur ce sujet essentiel pour l’économie calédonienne.

M.D.

*Nouvelle-Calédonie Énergie est la société portant le projet de la centrale C qui doit venir remplacer la centrale B d’ici 2022. Philippe Gomès en était le président jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel oblige le député àdémissionner de la présidence fin 2018. Le règlementde l’Assemblée nationale interdit aux députés d’être présidents de « sociétés ou entreprises dont l’activité consiste dans l’exécution de travaux, la prestation defournitures ou de services destinés spécifiquement à oudevant faire l’objet d’une autorisation discrétionnaire dela part de l’État, d’une collectivité ou d’un établissementpublic ou d’une entreprise nationale ou d’un État étranger ». L’idée étant d’éviter les conflits d’intérêts.