[DOSSIER] Victor Tutugoro : « On tourne en rond »

Victor Tutugoro avait présenté la position de l’UPM lors du 42e congrès du FLNKS, le 23 mars à Dumbéa.© Y.M.

Les discussions politiques sur l’avenir institutionnel sont figées. Victor Tutugoro, président de l’Union progressiste en Mélanésie (UPM) mais aussi signataire de l’accord de Nouméa et actuel négociateur pour le compte du FLNKS, détaille ce qui a amené son parti à formuler une proposition de médiation.

DNC : Le FLNKS demande l’instauration d’une mission de médiation. Comment cette requête a-t-elle vu le jour ?

Victor Tutugoro : L’UPM a arrêté cette position au comité central de Voh, le 9 mars, après avoir produit une analyse. La discussion avec le gouvernement central qui a abouti à une « V4 » (version 4 du document martyr sur l’avenir institutionnel) est en panne depuis octobre. Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a indiqué vouloir revenir en Nouvelle-Calédonie quand un accord sera trouvé entre nous. Une manière de faire pression, quelque part.

Calédonie ensemble et l’UNI sont parvenus à une vision partagée, dans un document sur des propositions de convergences. Nous avons ensuite échangé avec Les Loyalistes et Le Rassemblement, qui demandaient à nous rencontrer parce qu’ils nous voyaient négocier avec Calédonie ensemble. Sauf que l’on se rend compte que l’on tourne en rond.

Pourquoi ?

Il n’y a pas d’accord sur un corps électoral provincial citoyen. Nous voulons d’abord construire la citoyenneté, et ce sont ensuite, selon nous, les citoyens qui votent, décident pour l’avenir du pays… L’idée n’a pas abouti, parce que Les Loyalistes et Le Rassemblement s’y opposent. Ils ont des positions fermes sur le temps de résidence pour accéder au scrutin provincial, sur la période avant le déclenchement de la consultation d’autodétermination, puis d’un autre référendum en cas de Non, etc. Et en même temps, on s’est aperçus qu’ils intervenaient directement auprès de l’Assemblée nationale et du Sénat notamment, pour négocier et verrouiller ce qu’on était en train de discuter. Nous nous sommes alors dits : il n’y a pas de sincérité ! Faut-il vraiment poursuivre les discussions avec eux ?

On ne peut pas discuter sereinement, car il y a trop de proximité entre Gérald Darmanin et Les Loyalistes-Rassemblement. Nous demandons à ce que l’État, qui est responsable de la décolonisation, reprenne les discussions là où la « V4 » s’est arrêtée. Une « V4 » qui pourrait être complétée par les éléments des négociations, car c’est la seule version et l’officielle. Néanmoins, nous ne pouvons pas continuer avec Gérald Darmanin, parce que nous ne sentons plus la sincérité. Voilà la position que l’UPM a défendue au congrès du FLNKS le 23 mars.

Comment les autres composantes du FLNKS ont-elles réagi ?

Il y a eu un débat sur la poursuite ou non des discussions. Au final, une décision a été prise : nous réclamons une mission de médiation.
Nous avons écrit au président de la République, Emmanuel Macron, parce que nous ne voulons plus avoir affaire au ministre Gérald Darmanin. Mais nous voulons que l’État reprenne la main et que l’on continue à discuter. Il faut donc lancer une mission de médiation. Parce que la situation est bloquée depuis quatre à cinq mois.

Quelle forme de médiation voyez-vous ?

À mon sens, le dossier doit maintenant remonter à Matignon, auprès donc de Gabriel Attal. Il ne faut pas l’oublier, ce schéma était en place durant 20 ans : c’était le Premier ministre qui traitait directement l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. La médiation est essentielle car, comme je l’ai dit, on tourne en rond.

Il y a eu par le passé des conflits avec les loyalistes, mais on discutait au Congrès, au sein de cette « maison commune ». À partir du moment où Les Loyalistes et Le Rassemblement sont sortis de l’hémicycle et ont dit un certain nombre de choses dehors, ça change la donne, il n’y a plus la vision océanienne. Gérald Darmanin a suscité beaucoup de crispations sur sa personne. Il faut quelqu’un d’autre et remonter d’un étage.

Nous ne voulons plus avoir affaire au ministre Gérald Darmanin

Vous aviez évoqué, un moment, le nom d’Édouard Philippe pour conduire une telle mission…

C’était une suggestion. Édouard Philippe était en Nouvelle-Calédonie à ce moment-là. Et on se rappelle qu’avec lui, on avait beaucoup progressé. Il avait fait preuve de neutralité et il s’impliquait beaucoup. Nous attendons donc aujourd’hui une réponse de l’Élysée. Il faut trouver une porte de sortie pour la construction d’un accord global.

Êtes-vous confiant dans cette initiative en cette période de télescopage des enjeux ?

Nicolas Metzdorf qui, en tant que député, est rapporteur du projet de loi constitutionnelle, nous a adressé des convocations pour une audition à Nouméa. En clair, il veut nous auditionner sur un projet de loi que nous rejetons. Je n’irai pas.

Une autre question se pose. Selon des informations de parlementaires à Paris, il n’est pas sûr qu’il y ait une majorité (par un vote au 3/5e des membres) pour l’adoption du projet de loi constitutionnelle au Congrès de Versailles.

Propos recueillis par Yann Mainguet