Dossier : Quel logement social pour demain ?

Une nouvelle vision de l’habitat est en train de voir le jour. Au-delà du logement, il s’agit de restructurer le lien social et de redonner toute sa place à l’humain. Alors que le défi des années à venir n’est plus de construire mais de rénover, une large réflexion, en coordination avec les partenaires, collectivités, bailleurs et associations, s’avère nécessaire pour élaborer un grand plan de réhabilitation des quartiers anciens afin d’établir les financements et les objectifs. Une vision commune essentielle sans quoi le dossier n’avancera pas.

 

Arrêter la rénovation de « pacotille »

Longtemps délaissée, la question du logement social refait surface, alors que les collectivités et les opérateurs sont confrontés à la problématique coûteuse et centrale de la réhabilitation. Avec une nouvelle façon de faire.

 

♦ « Ne plus jeter l’argent par les fenêtres »

La construction s’est fortement développée en laissant de côté la rénovation, estime Muriel Malfar-Pauga, en charge du logement à la province Sud, « et on s’y retrouve confronté aujourd’hui ». Le parc a subi simultanément l’augmentation de la délinquance, la multiplication des dégradations, des malfaçons, le vieillissement ou encore le manque d’entretien. Conséquence, les logements sociaux n’attirent plus et environ 1 000 d’entre eux seraient vacants. « Mais maintenant, les bailleurs sont conscients qu’il faut réhabiliter. S’il y a assez de logements, il faut les rendre attractifs. »

De quelle façon ? En arrêtant la rénovation de « pacotille », insiste Muriel Malfar-Pauga. « Il ne faut plus jeter l’argent par les fenêtres et se contenter d’un coup de peinture ou de changer un robinet. Par exemple, à Cyathéas, à Dumbéa-sur-Mer, il est question de 400 millions de francs pour une façade termitée alors que la taille des appartements est trop petite. » Elle préconise un « vrai projet », agrandir les appartements, les rendre lumineux, revoir la place des parkings, installer des bancs, des jeux pour enfants, aménager des jardins partagés, etc., auquel les locataires doivent prendre part afin « d’adapter le logement à l’habitant ».

 

Sport, commerce et culture

C’en est donc fini du tout « architectural ». L’habitat comprend désormais, outre le bâti, l’animation dans les quartiers et le lien social. Takutea, à Dumbéa-sur-Mer, de la SEM Agglo, en est un exemple. Le bailleur, présidé par Muriel Malfar-Pauga, souhaite réinvestir les pieds d’immeubles. « Une erreur a été faite en vendant les locaux commerciaux au lieu de les louer, on s’est dépossédé de l’assise du bâtiment. »

La SEM vient donc de racheter l’ancienne boucherie pour en faire, avec l’aide de Laurent Calleja, ancien entraîneur de Teddy Riner et président de l’association Les Kimonos du cœur, une salle de boxe, de judo et de karaté. « On amène le sport parce qu’il y a beaucoup de délinquance et d’adolescents. C’est une façon d’apporter des valeurs aux jeunes. » Le local doit être prêt à les accueillir en août.

D’autres projets de ce type sont prévus à Koutio et près du Médipôle. Jean-Luc Gorce, directeur général d’Aquitanis, bailleur métropolitain, en mission, préconise de déplacer les entrées, situées à l’arrière des bâtiments, du côté de la rue. « Cela donne de la vie et permet de mettre des adresses, qui n’existent pas. Il faut faire de vraies entrées et ramener de la verdure parce que c’est très minéral. »

Pour les commerces, à la place des rideaux baissés, l’élue envisage d’implanter une laverie. « Et pourquoi pas mettre des fers à repasser pour que des femmes qui cherchent un petit boulot puissent créer une activité de repassage ? »

À la résidence Urbana, au Quartier-Latin, à Nouméa, la culture a été privilégiée, un artiste a peint une fresque sur un mur. « À Arawa, je voudrais faire venir un sculpteur qui apprenne à sculpter aux enfants et aux parents afin qu’ils réalisent la sculpture de la résidence. C’est aussi une façon de s’approprier l’endroit. »

Muriel Malfar-Pauga, en charge du logement à la province Sud, à côté de Jean-Luc Gorce, directeur général d’Aquitanis, bailleur métropolitain partenaire de la province Sud.

 

Revoir le financement

Réhabiliter à grande échelle coûte cher. Comment financer ces opérations ? Muriel Malfar-Pauga dénonce le fait que les ressources soient mal réparties. Le FSH, qui a été créé en 1964 dans le but de construire des logements pour les salariés, est financé en partie par une cotisation de 2 % sur les salaires. Une somme qui ne bénéficie ni à la SIC ni à la SEM Agglo alors qu’elles hébergent aussi des ayants droit. Cela représenterait une somme d’environ 3,5 milliards de francs par an, selon l’élue.

La province Sud a mené une étude financière sur la santé des trois bailleurs. Les deux en difficulté sont la SIC et la SEM. « Cela veut dire qu’on va dans le mur parce qu’on n’a pas l’argent pour rénover. Pourquoi ? Parce qu’on a construit pendant des années sans faire de provisions. Le FSH, lui, n’a pas besoin de le faire puisqu’il y a de l’argent qui rentre tous les ans. Il faut qu’il bénéficie à l’ensemble des bailleurs. Je vais demander qu’on touche une partie des 2 % en fonction du nombre d’ayants droit. Il faut revoir ce fonctionnement. »

L’État intervient également beaucoup dans le financement des programmes à travers les contrats de développement.

 

« Un grand plan de réhabilitation »

Pour Jean-Luc Gorce, il n’y a pas le choix. Afin de mener à bien tous ces projets, il faut « réinventer un modèle économique autour du logement » pour pouvoir établir « un grand plan de rénovation des quartiers. Il s’agit de voir comment le territoire, qui est arrivé au bout d’un système et d’un cycle, peut réenclencher une nouvelle dynamique. » La méthode ? En faire une priorité et identifier les sites sur lesquels il faut investir. « Il faut savoir ce qu’on fait du patrimoine immobilier social. On ne peut pas laisser les bailleurs sociaux se débrouiller, il faut les aider. »

Ce grand plan doit être associé à une gestion patrimoniale des bailleurs pour évaluer le montant des investissements à réaliser, les bâtiments concernés et les travaux à réaliser. Et les investissements doivent s’accompagner d’un changement d’organisation sur le terrain, indique Jean-Luc Gorce, afin de les pérenniser. « On a beau mettre toute la sécurité qu’on veut, ça ne reste qu’un artifice technique. Si vous ne l’associez pas à une organisation humaine derrière qui accompagne, cela ne fonctionne pas. » Cette présence doit être celle du bailleur par le biais d’emplois dédiés à l’entretien, une sorte de gardien ou de concierge « qui fait des petits travaux, qui est là en permanence. Quand il y a l’habitude d’entretenir sur la longueur, il y a beaucoup moins de dégradations. »

Tout cela ne se fera pas sans une volonté coordonnée des collectivités et des bailleurs autour d’un contrat financier, qui met quoi et pourquoi. « Il faut une prise de conscience, se mettre d’accord pour dire qu’il y a une urgence à traiter cela parce que sinon ça va nous péter à la figure à un moment donné. Il faut donner un axe politique fort. Sans plan, ce sera de la bricole et on reparlera de ça dans deux ans. »

 


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Environ un Calédonien sur six occupe un logement social, soit près de 45 000.

 

La phrase : Muriel Malfar-Pauga

« Les gens veulent vivre correctement avec de l’espace et sans malfaçon. Ils fuient le logement social et il faut les y ramener avec de la culture, du sport, de belles rénovations, de l’insertion, etc. On envisage aussi d’inclure des associations de locataires au sein des conseils d’administration des bailleurs. »

 


Une visite appréciée

Jean-Luc Gorce, directeur général d’Aquitanis, office public de l’habitat de Bordeaux Métropole, a répondu à l’invitation de Muriel Malfar-Pauga, présidente de la commission de l’habitat de la province Sud et de la SEM Agglo, afin de réaliser une mission d’expertise bénévole sur ses congés. Son déplacement a apporté un regard extérieur sur la problématique du logement social, estime l’élue. « Je pense que cela a permis aux bailleurs de se remettre en question et d’apporter une autre vision, d’autant qu’ils sont un peu découragés, ils dépensent des milliards et ça ne marche pas. C’est une bouffée d’oxygène qui signifie, ‘on peut faire quelque chose et on peut y arriver et améliorer’. Cela remotive. »

Benoît Naturel, directeur de la SIC, considère que « c’est toujours utile. Je pense que ce qui est intéressant dans la démarche, c’est le débat que cela va occasionner. » « Cela offre du recul et nous incite, les trois bailleurs, à travailler ensemble », poursuit Jean-Loup Leclercq, directeur du FSH. Et ainsi faire évoluer la réflexion. « Il faut mettre les locataires au cœur du dispositif et associer les familles à la rénovation et à la conception des bâtiments », observe pour sa part Sacha Benisti, directeur de la SEM Agglo.

 

Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)