[DOSSIER] Natalité : Les raisons de la chute

Pour l’Isee, les plus jeunes faisant de moins en moins de bébés, le décrochage de la natalité est durable.

Longtemps réputé pour la vigueur de sa jeunesse, le territoire connaît aujourd’hui une baisse continue du nombre de naissances. Une tendance lourde.

La modification de la structure est nette. Triangulaire en 1989 ou 2004, forme traduisant une population jeune, la pyramide des âges de la Nouvelle-Calédonie est de plus en plus cubique. Le rétrécissement de la base illustre un phénomène clair : de moins en moins de naissances au fil des années.

Calculé à 3,6 en 1981 et à 2,6 en 1996, l’indicateur conjoncturel de fécondité, c’est-à-dire le nombre d’enfants qu’aurait une femme tout au long de sa vie, est descendu à 2,02 en 2022, calcule l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee). La Nouvelle-Calédonie est comparable à la France métropolitaine et à la Polynésie française (1,8 dans les deux territoires), mais très en-deçà des autres pays voisins de l’arc mélanésien.

Le mouvement est identifié : l’indicateur conjoncturel de fécondité, calé donc à 2 enfants par femme en 2022, s’est installé, après 2019, sous le seuil de renouvellement des générations en Nouvelle-Calédonie, fixé à 2,1. Autrement dit, le nombre moyen d’enfants par femme est aujourd’hui insuffisant pour que chaque génération entraîne la suivante avec le même effectif. Et cet indicateur ne fait que baisser. La ligne de référence se situe à 4 000 naissances par an sur le territoire. En 2022, 3 800 ont été enregistrées dans les fichiers d’état civil. Contre 4 600 en 2000, par exemple.

FÉMINISATION DE L’EMPLOI

Quelles sont les raisons de cette chute ? Au fur et à mesure des recensements, la disparité entre les communautés sur ce point s’estompe. « L’évolution de la fécondité est vraiment portée par l’évolution des modes de vie familiaux », explique Laeticia Gooding, responsable du département démographie et tourisme à l’Isee.

Des jeunes auparavant établis en tribu gagnent la zone urbaine pour faire des études, occuper un emploi… La structure familiale, de fait, change. La place des femmes surtout de moins de 30 ans, dans la société évolue avec l’accès à des formations et à des postes, le choix du conjoint, du mode de contraception mais aussi du moment de la maternité… Les chercheurs le relèvent : la population kanak a été imprégnée de ces tendances, qui ont un impact direct sur le nombre de naissances.

Deuxième élément, la fécondité concerne les femmes de 15 à 49 ans, or leur nombre baisse, il y a donc mécaniquement moins d’enfants. Beaucoup de jeunes quittent le territoire pour leurs études. La pyramide des âges en est affectée. Troisième explication, les femmes décident de faire leur premier enfant plus tardivement, ce qui réduit la fratrie possible, la durée de fertilité de la mère n’étant pas extensible. Une indication, l’âge moyen de la maman à la maternité, toutes naissances confondues, établi à 26,6 ans en 1981, s’est élevé à 29,5 en 2019.

Laeticia Gooding dirige le département démographie et tourisme à l’Institut de la statistique et des études économiques.© Y.M.

« CERTITUDE »

Un constat, à l’heure actuelle « on compte le double de femmes qu’en 1981 », c’est-à-dire près de 70 000 Calédoniennes âgées de 15 à 49 ans, « et elles donnent naissance à autant d’enfants qu’il y a 40 ans », observe la démographe. Indicateur de la croissance de la population, le solde naturel, soit la différence entre le nombre de naissances et de décès, s’amoindrit. Ce qui n’est jamais très favorable. D’autant que la pyramide des âges se gonfle en son sommet : ces personnes sont de plus en plus âgées et nombreuses.

L’Institut de la statistique évoque « le vieillissement de la population ». Un rapport est d’ailleurs considérable : la part des moins de 20 ans est passée de 44 % en 1989 à 29 % en 2019, tandis que la catégorie des 60 ans et plus a décollé de 7 % à 15 %. « Cette tendance sera davantage marquée en 2024, précise Laeticia Gooding. C’est une certitude. »

Un nouveau facteur vient alourdir l’équation. Pour la première fois depuis près de 40 ans, le solde migratoire est devenu négatif, à la lecture du dernier recensement couvrant la période de 2014 à 2019. Une phase durant laquelle un habitant sur dix a quitté l’archipel. Dans le prolongement des tendances passées, le déficit a même atteint 3 200 personnes en 2022. « Les départs accentuent ce phénomène de vieillissement de la population », commente l’analyste.

Trois principaux motifs peuvent expliquer ce déficit migratoire, selon l’Institut : le faible dynamisme économique observé depuis la chute des prix du nickel en 2015 et la fin des phases de construction d’usines de transformation du nickel, les appréhensions suscitées par l’incertitude institutionnelle durant la période des trois référendums d’autodétermination, et la mise en place concrète de la loi sur la protection de l’emploi local attirant moins de main- d’œuvre extérieure.

Yann Mainguet