[DOSSIER] Mission du dialogue ou de médiation : propositions et désaccords

Devant le siège de l’Union calédonienne, des militants avaient exposé, le 4 avril, une hache plantée dans une urne. Tout un symbole.© Yann Mainguet

Pour ses promoteurs, la mise en place d’une mission du dialogue permettrait de faire redescendre la tension, de relancer les discussions sur l’avenir ou de remplacer un ministre jugé partial. Mais les partisans du dégel du corps électoral provincial ne l’entendent pas ainsi. 

Chère à l’accord de Nouméa signé en 1998, la notion de « destin commun » se fracasse aujourd’hui contre le mur d’une bipolarité politique revigorée. Alors que le projet de loi constitutionnelle, véhicule du dégel du corps électoral provincial, poursuit sa route institutionnelle à Paris, les propos n’ont plus de limites à Nouméa.

« Je le dis à tous les parlementaires qui tremblent : le bordel, c’est nous qui le mettrons si on essaie de nous marcher dessus ! Ça suffit maintenant ! », a lancé Sonia Backès, cheffe de file des Loyalistes, le 28 mars, micro à la main, devant le Congrès. « Avec un corps électoral glissant qui nous amène au fond du gouffre, à quoi ça servirait d’aller aux provinciales ? » a martelé, de son côté, l’UC Christian Tein, le 4 avril, face aux médias. À l’extérieur, sur une table au siège du parti, la lame d’une hache est glissée dans la fente d’une urne. Comme le symbole du boycott des élections immortalisé par le coup de tamiok de l’indépendantiste Eloi Machoro, le 18 novembre 1984.

Les discussions entre politiques locaux pour la recherche d’un accord global sur l’avenir sont à l’arrêt. Drapeaux déployés, les mouvements favorables et opposés au dégel ont rejoint en nombre les rues de Nouméa, au même moment, le 13 avril. Le « On est chez nous » résonne dans les deux camps. Face aux risques de revivre des heures sombres, trois voix ont appelé à la mise en place d’une mission du dialogue.

Report des élections 

Le parti Calédonie ensemble indique avoir pris des contacts, ici et à Paris, en faveur d’une telle démarche dès le mois de février. La formation politique imagine un groupe créé dans « l’esprit de l’initiative prise par le Premier ministre, Michel Rocard, en 1988 » et co-dirigé « par les présidents des deux assemblées du Parlement », en l’occurrence Yaël Braun-Pivet (Renaissance) et Gérard Larcher (Les Républicains).

Le député Philippe Dunoyer s’appuie notamment, pour expliquer cette suggestion, sur un amendement à la loi constitutionnelle au Sénat : selon Calédonie ensemble à la lecture du texte, « c’est aux présidents des deux chambres du Parlement qu’incombera la responsabilité de constater un éventuel accord susceptible de permettre le report des élections provinciales ».

Le FLNKS espère en outre l’instauration d’ « une mission de médiation ». Ce souhait, formulé au sortir du 42e congrès tenu le 23 mars à Dumbéa, vise avant tout à « garantir l’impartialité de l’État et favoriser la reprise des discussions » en vue de l’élaboration d’un accord global. En clair, le Front ne croit plus en la parole de Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, accusé d’un passage en force avec l’engagement du projet de loi constitutionnelle dans le circuit parlementaire. La mission pourrait être « conduite par une personnalité de haut niveau ». L’UPM Victor Tutugoro ou l’UC Roch Wamytan ont un temps pensé à l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe.

Un troisième écho partisan de la recherche d’un moyen de conciliation est venu de Patrick Kanner, président du groupe socialiste, écologiste et républicain au Sénat. Ce proche de François Hollande, pour qui l’État n’est plus en mesure de relancer les pourparlers entre politiques calédoniens, plaide en faveur de « la mise en place avec l’Assemblée nationale d’une mission conjointe du dialogue pour trouver une solution à la crise calédonienne », écrit NC La 1ère.

« Contreproductif »

Une telle initiative ne se décrète pas, mais doit se construire sur au moins trois piliers. Les parties intéressées, c’est-à-dire l’État et les politiques des différentes sensibilités, doivent s’entendre sur le sujet à traiter par la mission du dialogue, ensuite sur sa composition, enfin sur le calendrier. Un refus à un quelconque niveau bloquerait l’avancée du processus. Un hic apparaît à ce stade.

Le recours à la médiation « n’a, pour l’instant, pas d’utilité » et pourrait « même être contreproductif », estime Gil Brial, des Loyalistes, qui part d’un principe : « avant d’aller chercher ailleurs, il faut d’abord discuter entre nous ». Selon l’élu du Congrès, son groupe a proposé aux responsables indépendantistes de « se revoir » prochainement afin d’« évoquer leurs contrepropositions ».

Mais, dans un communiqué publié en début de mois, la position du FLNKS était ferme : le Front « fait le constat qu’il n’a plus rien à attendre d’une discussion locale pour l’obtention d’un accord global car court-circuitée par l’examen du projet de loi constitutionnelle qui ravive les tensions locales ». Les indépendantistes manifestent donc leur « volonté d’une mission neutre et impartiale ».

Virginie Ruffenach, du Rassemblement-LR, ne l’entend pas du tout de cette oreille. La proposition d’une délégation du dialogue « ne doit pas être un moyen de contourner la loi constitutionnelle sur le dégel ». Cette révision doit « aller à son terme et être déconnectée des éléments de dialogue nécessaires pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ». Une évidence : plus les jours passent, plus les relations se complexifient, plus l’écart entre les adversaires-partenaires se creuse.

Yann Mainguet