[Dossier] L’exposition sur Jean-Marie Tjibaou revisitée

Pour Guillaume Soulard, « il y avait une volonté du public de le voir en grand, que sa figure s’impose ». Le centre, dit-il, n’a jamais eu la vocation à être un mausolée, mais il était inconcevable dès le début de ne pas raconter qui était derrière cette vision culturelle.© C.M.

Hasard du calendrier, le renouveau est aussi observé à l’intérieur du centre, avec une nouvelle version de l’exposition permanente consacrée à la personnalité derrière ce lieu emblématique. Intitulée Jean-Marie Tjibaou, une parole vivante, elle a été revue et enrichie de nouveaux objets, notamment cédés par la famille.

Il faut presque jouer des coudes ces derniers jours pour profiter pleinement de la nouvelle exposition sur Jean-Marie Tjibaou. L’ancienne n’avait pas bougé depuis 1998. L’ambition était de la rendre plus moderne, vivante, l’ouvrir à d’autres dimensions, comme la vidéo (avec le documentaire Tjibaou, la parole assassinée signé Gilles Dagneau, 1988) ou l’art sculptural (de Jean-Philippe Tjibaou, disparu l’année dernière). « On avait envie de raconter des choses nouvelles, confirme Guillaume Soulard, directeur artistique et du centre, parce qu’avec le temps, y compris la pensée des grands hommes s’étiole : on oublie, on les réduit à certaines choses, en l’occurrence la poignée de main, alors que finalement, comme le centre, c’était l’aboutissement d’une pensée. Le but était d’aller plus profondément dans ce qu’était cet homme. »

La culture, centrale 

Sur le pourtour de la salle, tels des écailles, des panneaux développent, par les écrits de Gilbert Bladinières et selon une approche chronologique, les différentes facettes de Jean-Marie Tjibaou. « On y parle de l’homme, de sa foi, de son engagement culturel et politique »  poursuit Anne-Laure Aubail, chargée des collections au département arts plastique et expositions, responsable du projet.

Au centre de la salle, suivant ces thèmes, quatre vitrines exhibent des effets personnels. Des objets traditionnels font référence à son intérêt pour le patrimoine kanak et la collecte, ils figuraient déjà dans l’ancienne exposition. D’autres sont inédits. Emmanuel Tjibaou, ancien directeur, qui avait souhaité dès 2019 revoir la présentation de l’exposition, a lui-même choisi les objets familiaux. On trouve des reliques du festival Melanesia 2000 (un fanion, de nouvelles monnaies, un nouveau casse-tête sculpté par Jean-Marie Tjibaou), des instruments de musique très bien conservés (tambours et battoirs d’écorce), une copie de la plaquette du Festival.

Plus loin, le politique. Cette Une des Nouvelles calédoniennes sur l’embuscade qui a couté la vie à ses frères. Une copie d’un carnet de notes du vice-président du conseil du gouvernement montre une écriture ordonnée. Juste à côté, un tampon du « gouvernement Kanaky FLNKS », son attaché-case et surtout la page d’introduction et de signatures de l’accord de Matignon du 26 juin 1988 que seule une poignée de Calédoniens ont déjà vue, un document obtenu par Anne-Laure Aubail (lire par ailleurs).

 

L’accent est délibérément mis sur « la façon dont il a voulu que la culture devienne l’un des éléments de la reconnaissance de l’identité kanak, un élément de fierté ».© C.M.

Un héritage

La dernière vitrine, « Je lègue à mes fils », évoque la capacité de pardon et de réconciliation, le rayonnement du centre culturel dans la région, la naissance de ce lieu que Jean-Marie Tjibaou a nourri par sa pensée mais qu’il n’aura jamais vu (ni même ses plans), et enfin une référence à l’implication de sa veuve Marie-Claude, présidente de l’ADCK de 1998 à 2012.

L’intérêt pour cette exposition est une vraie satisfaction pour Guillaume Soulard. « On sent qu’il y a actuellement cette soif de comprendre et de connaître Jean-Marie Tjibaou un peu mieux. Donc elle tombe à point nommé et le fait que sa parole, ce qu’il était, soit remis à jour, je pense, n’est pas inutile par les temps qui courent. »

Comme une parenthèse, à l’entrée et à la sortie de la salle, le visiteur remarquera la Colombe de la paix (de Richard Hilinger) offerte en 2010 aux familles Tjibaou et Lafleur derrière une photographie (Xavier Ferion) de la statue de la poignée de main (Fred Fichet), installée place de la Paix.

Chloé Maingourd

Le « mystère » de l’accord de Matignon

© C.M.

Anne-Laure Aubail, chargée des collections, a proposé que l’on retrouve l’accord de Matignon. « On connaissait la poignée de main mais finalement on n’avait jamais vu l’accord, et il nous paraissait important d’avoir ce document avec la signature de Jean-Marie Tjibaou, Jacques Lafleur, Yeiwéné Yeiwéné… ». Problème, le document est introuvable sur le territoire. « J’avais lu une interview de Michel Rocard qui expliquait qu’à l’issue de la signature, il y avait sept originaux distribués aux familles. J’ai vraiment pensé qu’elles les avaient conservés. On a contacté le haut-commissariat, les archives, les familles, les historiens, il n’y avait pas d’exemplaire sur
le territoire ! C’était le grand mystère. » Après un an de recherches, Anne-Laure Aubail se tourne vers les Archives nationales, obtient une copie pour celles de Nouvelle- Calédonie et un fac-similé pour l’exposition. Visiblement, personne n’avait jamais entamé ces démarches.