[DOSSIER ] Le Sénat favorable à la réforme du corps électoral après corrections

Gérald Darmanin lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle, mardi 26 mars, au Sénat.© Guillaume Perrot

Après avoir voté le report des élections provinciales, le Sénat a validé le principe de l’élargissement du corps électoral de ce scrutin. Non sans amendements au texte de l’exécutif. Le vote solennel est prévu au Sénat le 2 avril.

C’est une nouvelle étape de l’évolution institutionnelle calédonienne portée par le gouvernement central, faute, affirme-t-il, d’accord des partenaires locaux. Dans un hémicycle à moitié vide, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, a présenté mardi 26 mars le projet de loi constitutionnelle portant sur le dégel du corps électoral.

Le texte prévoit d’élargir les élections provinciales aux natifs et aux personnes résidant depuis dix ans sur le territoire. Depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules celles inscrites sur les listes électorales avant l’Accord de Nouméa de 1998 peuvent voter, « excluant depuis près de 26 ans des Français qui naissent en Nouvelle-Calédonie », dénonce Gérald Darmanin. « De quel droit excluons-nous une partie des Calédoniens kanak et non kanak ? »

En 2007, environ 8 000 personnes étaient dans l’incapacité de voter, estime le gouvernement. Aujourd’hui, elles seraient près de 42 000, soit un électeur sur cinq. Ce dégel devrait permettre d’ajouter 25 000 personnes supplémentaires au corps électoral dès le prochain scrutin, reporté au plus tard au 15 décembre 2024.

À la suite des trois référendums d’autodétermination et « sans accord global, le dégel est inévitable », a concédé le rapporteur du texte, Philippe Bas (Les Républicains), qui est néanmoins parvenu à faire adopter un certain nombre d’amendements en guise de garde-fous. « Une page se tourne, il faut en ouvrir une autre. »

Stratégie de « peuplement »

Avant un examen plus approfondi des amendements, le sénateur calédonien Robert Xowie (groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste – Kanaky) s’est présenté face aux parlementaires pour exiger le retrait pur et simple du projet de loi. En vain. Passablement énervé, le premier indépendantiste Kanak à siéger au Sénat estime que le gouvernement passe en force. « L’ouverture du corps électoral est une intervention coloniale. Une stratégie de colonisation de peuplement » remise au goût du jour. « Le gel du corps électoral est le ciment de la citoyenneté calédonienne. Cette réforme a pour but de nous rendre minoritaires sur nos terres. » Pour Robert Xowie, seul un consensus global permettrait de garantir la stabilité et la paix.

Corine Narassiguin, élue socialiste, écologiste et républicain, juge aussi que le gouvernement souhaite passer en force. Ainsi, « il rompt avec la méthode historique d’im- partialité depuis les accords de Matignon et Nouméa » et « cet ultimatum n’est pas acceptable, un accord politique local doit d’abord être trouvé ».

Pérenne

Après plus de trois heures de débat, l’article 1 du texte permettant le dégel du vote a été adopté. Les délégations de vote ont permis à la majorité Les Républicains de valider en partie le projet de loi présenté par le gouvernement. Mais au fil des heures, les sénateurs se sont aussi longuement disputés. Non pas sur le fond mais sur la méthode.

Dans l’hémicycle, les groupes proches des indépendantistes calédoniens, soutenus par le rapporteur des lois Philippe Bas, ont refusé l’urgence imposée par le gouvernement qui prévoyait d’imposer la date du 1er juillet pour trouver un accord. Le rapporteur a fait adopter un amendement pour permettre la pause de la réforme constitutionnelle si un accord survient jusqu’à 10 jours avant les prochaines élections provinciales (soit avant le 5 décembre). L’accord devra être constaté par le Parlement.

Le sénateur calédonien Georges Naturel (Les Républicains) a aussi obtenu, par un sous-amendement déposé à la dernière minute par François-Noël Buffet, président de la commission des lois, que ce dégel soit pérenne. Une grande satisfaction pour le représentant. Le Sénat se réserve néanmoins le droit de modifier le corps électoral via une loi organique. Et Philippe Bas a obtenu que les électeurs aux provinciales ne soient pas convoqués par décret du gouvernement mais par une loi, ce qui a déplu au ministre.

Georges Naturel n’a pas réussi à imposer ses deux amendements de départ. L’un prévoyait de raccourcir à 5 ans le délai de présence sur le territoire pour une personne mariée à un électeur de la liste électorale provinciale. Le second, qui a fait l’objet d’une suspension de séance, visait à redéfinir la répartition des sièges au Congrès de Nouvelle- Calédonie. Le Sénat s’est opposé à l’ensemble des amendements et motions proposés par les groupes socialiste et communiste.

Aujourd’hui construit, le texte devrait être voté solennellement par le Sénat le 2 avril. Il sera ensuite examiné par l’Assemblée nationale au mois de mai. Si les deux chambres l’adoptent dans les mêmes termes, il sera soumis aux parlementaires réunis en Congrès.

À Paris, Guillaume Perrot


Qu’en disent les sénateurs calédoniens ?

Georges Naturel – groupe Les Républicains

Le sénateur Georges Naturel à l’issue des débats.© Guillaume Perrot

« Faire en sorte que la réforme constitutionnelle ait une chance de passer »

« L’objectif, et c’est le sens de mon action depuis plusieurs semaines, c’est de faire en sorte que la réforme constitutionnelle ait une chance de passer. Ce qu’il faut noter et qui n’était pas gagné d’avance, c’est le travail que j’ai fait depuis 10 jours pour que le sous-amendement du président de la commission des lois soit adopté [NDLR : sous-amendement qui assure la pérennité du dégel du corps électoral]. C’est quelque chose d’important. J’espère que, le 2 avril, ce texte sera voté en l’état.

La commission des lois s’est déplacée en Nouvelle-Calédonie pendant deux jours. Les sénateurs ont bien compris que la situation est compliquée, surtout la situation économique. Il faut donc tout faire pour trouver un accord. Soit on y arrive rapidement et on laissera du temps pour le concrétiser. Soit il n’a pas lieu et il va bien falloir organiser rapidement ces élections.

Le problème qu’on a aujourd’hui [en Nouvelle-Calédonie], c’est que beaucoup de nos élus sont déjà en campagne électorale pour les provinciales. Trouver un accord dans ces conditions est compliqué. C’est aussi le débat qu’on a eu ici dans l’hémicycle du Sénat.

Je donnerai toute mon énergie pour qu’on tienne ces élections, car la situation est catastrophique. Nos concitoyens attendent un développement économique. Avec les blocages qu’on connaît sur le territoire, les gens craignent de ne pas pouvoir assurer leurs fins de mois. Il faut que les élus soient responsables pour mener à bien les élections et trouver un accord qui nous permettra de construire cette société calédonienne à laquelle on aspire tous.

[Concernant son amendement de modifier la répartition des sièges au Congrès. Un amendement rejeté par les sénateurs :] C’est regrettable car c’est un élément indispensable pour assurer une représentation de nos concitoyens. J’ai habité 35 ans la commune de Dumbéa, qui a vu sa population doubler. C’est une popula- tion multiculturelle. C’est essentiel pour nos concitoyens, indépendantistes ou non, qu’ils puissent voter aux élections et se faire représenter, en particulier en province Sud. »


Robert Wienie Xowie – groupe Communiste, républicain, citoyen écologiste – Kanaky

Le sénateur Xowie dans la salle des conférences.© Guillaume Perrot

« J’ai l’impression (…) qu’on enregistre la disparition du peuple kanak »

« Les sénateurs s’intéressent à la Nouvelle-Calédonie et c’est une bonne chose. Les parlementaires souhaitent que l’on trouve un accord global. Je suis convaincu qu’on va le trouver. Ce texte présenté par le gouvernement a été amendé par les sénateurs. Il y a beaucoup de choses qui ont été mises en place pour apaiser la situation. C’est important.

Quand je vois la réponse du ministre [Gérald Darmanin], la posture est de passer en force. Ça me rappelle un temps lointain quand nos regrettés députés déposaient des amendements et qu’ils étaient rejetés avec beaucoup de mépris.Tout le monde dénonce la méthode. Tous les parlementaires l’ont dénoncée. Aujourd’hui, ma question préalable [motion de rejet] a été écartée. Je laisse le reste du débat à mes collègues.

Je me bats pour que l’irréversibilité des accords soit conservée. C’est ce qui nous protège aujourd’hui. Tout ça a été négo- cié dans le temps. C’est pour construire un peuple. Avec l’article 1 [sur le corps électoral glissant], j’ai l’impression qu’on a envie de retourner en arrière. Qu’on enregistre la disparition du peuple kanak. C’est la notion du peuple kanak qui est en jeu aujourd’hui. C’est ça ma crainte. »

Propos recueillis par Guillaume Perrot