[ DOSSIER ] « J’ai tellement peur que mon fils devienne un délinquant… »

Le tribunal correctionnel envoie en stage de parentalité des personnes dont c’est la première condamnation, comme lors de cette 4e session, fin 2023. (@ G.C.)

Au lieu d’une peine de prison, le tribunal correctionnel condamne certains auteurs de violences sur enfants à un stage de parentalité dispensé par la DPJEJ1. La gestion de la colère, l’expression des émotions sont le socle de la semaine de travail.

« Cette colère que j’ai, elle est incontrôlable. Dès que mon fils fait quelque chose, je suis direct dans la violence. » Stéphane2 ne supporte pas le mensonge. « Il rentre de l’école. Tu lui demandes s’il a des devoirs à faire. Il te dit que non. Plusieurs fois comme ça. Et un jour, tu reçois un mot de la maîtresse dans le carnet de liaison. Elle dit que ton fils ne fait pas ses devoirs… Moi, je pars au quart de tour. J’attrape la claquette ou le fil électrique, je le frappe. » Stéphane et sa compagne Kelly, parents de trois enfants, ont été condamnés par le tribunal correctionnel. Pas de prison pour cette fois, mais un stage de parentalité d’une semaine aux côtés de six autres personnes, dont Warren, qui décrit un fonctionnement similaire, hérité de sa propre enfance. « Quand on n’arrive pas à trouver les mots, tout de suite c’est la violence. Pour moi, c’est comme ça qu’on éduque les enfants. Comme mes parents m’ont éduqué. »

Chez Yoann, le cycle de la violence se résume en un souvenir d’enfance. « J’arrive à la tribu. Je descends du bus, je vais jouer avec les autres enfants. La cloche de l’église sonne. On arrête tout, on y va. Tous les parents sont là. Samedi soir, un garçon a volé. Alors tous les garçons, c’est la première jusqu’au dernier marié, sont frappés. Jusqu’à ce que je sois passé au tribunal, je faisais ça  à la maison. Deux coups pour la petite. Trois pour le plus grand, puis quatre… Et celui qui a fait la bêtise, un peu plus… »

« Il a réussi à parler à son fils »

Guidés par la volonté de travailler « sans jugement », l’éducatrice spécialisée Cathy Chevrin, la psychologue Caroline Manac’h et le chef de service Frédéric Thomas-Dumont ont abordé la question des déclencheurs de la violence – alcool et drogues – et ont poussé les stagiaires à l’introspection. Autour de la grande table, certains n’avaient jamais beaucoup parlé de leurs émotions.

Stéphane, au fond, est terrifié à l’idée que son aîné commette les mêmes erreurs que lui. « J’ai tellement peur que mon fils devienne un délinquant… Mais j’ai compris que ce n’est pas en tapant que tu vas corriger ton enfant. » La veille, pour la première fois, il a parlé au lieu de cogner. Quand l’école a appelé, quand Stéphane a appris que son fils avait frappé un autre élève, il a temporisé. « On s’est assis au bord de la route et on a fait un sketch. On a préparé ce qu’on allait lui dire. Quand on est arrivé à la maison, il n’est pas allé droit au but. Il a réussi à parler à son fils », raconte Kelly, les larmes aux yeux. « Ça fait 11 ans qu’on est ensemble, et c’est la première fois que je le vois faire ça. C’est comme si c’était un autre homme. »

À court comme à long terme, les résultats sont « positifs »

Yoann a essayé la nouvelle méthode, lui aussi, avec ses cinq enfants. « Ils ont envie de t’écouter parler. Ils sont attirés par la parole », constate celui qui a convaincu sa compagne d’assister aux derniers jours de stage, et qui propose même de témoigner lors de la prochaine session.

Les trois intervenants de la DPJEJ sont comblés par ce quatrième stage de parentalité, un dispositif lancé en 2022 en partenariat avec les autorités judiciaires. « Dans 80 % des cas, le résultat est immédiatement positif, assure Frédéric Thomas-Dumont. Pour les 20 % restant, on sent bien que la personne acquiesce pour qu’on la laisse tranquille. Mais sortie d’ici, elle va réfléchir. À long terme, il y a toujours du positif. »

Il faudra du temps et du travail pour « juguler cette violence intrinsèque » à une société calédonienne en pleine évolution. « Les rapports conflictuels entre les gens peuvent rapidement dégénérer, constate Frédéric Thomas-Dumont, qui voit toutefois des raisons d’espérer. En milieu scolaire, on voit des expérimentations sur la gestion des émotions. La génération qui arrive devrait être mieux préparée à une vraie vision bienveillante de la parole. »

Gilles Caprais

1. Les prénoms ont été modifiés.
2. Direction de la Protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse (DPJEJ).