[DOSSIER] Des appels à la responsabilité

Des voix plus modérées ont émergé ces derniers jours pour appeler les élus et les Calédoniens à l’apaisement. Pour la paix, il est considéré qu’il faut avant tout respecter l’accord de Nouméa.

Victor Gogny
président du Sénat coutumier

© Archives DNC / C.M.

« Quarante ans après, les blocs sont toujours là »

« Vu le contexte, avec les barrages, les manifestations, on a formulé un vœu pour appeler au calme et à l’apaisement. Pour que chacun, au niveau des deux bords, puisse prendre ses responsabilités. Nous faisons référence à la poignée de main historique entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur. Ce sont des personnalités éminentes qui, par leur charisme et leur sens des responsabilités, avaient réussi à faire en sorte que le calme revienne après des moments extrêmement difficiles. Quarante ans après, les blocs sont toujours là et même se ravivent, nous n’avons pas envie de revivre ces situations.

Il était aussi important de rappeler le devoir d’impartialité de l’État. Ce n’est plus conforme à ce que l’on attend tous. Il faut qu’il soit dans le juste milieu. Chacun doit y mettre du sien. Nous préconisons un grand palabre où tout le monde pourrait se retrouver, jouer cartes sur table, dialoguer de manière à ce qu’au bout, chacun puisse faire des concessions et parvenir à un consensus. Cette discussion rassemblerait les Calédoniens, c’était d’ailleurs l’attente de l’État qu’ici, entre nous, on puisse, malgré nos divergences, retrouver un terrain d’entente et partir sur un accord. Le Sénat coutumier pourrait faciliter la discussion. C’est notre part de travail pour l’édifice à construire. »

Pour le Sénat et les conseils coutumiers, Victor Gogny a signé un « appel au calme et à la responsabilité de tous » le 10 avril, après l’assemblée générale des huit pays.

Joël Kasarhérou
président du mouvement Construire autrement

© Archives DNC / G.C.

« Vous ne pouvez pas défaire en un an tout ce qui a été construit »

« On ne peut pas dire qu’on veut un destin commun, la paix et faire une manifestation chacun de son côté. On cherche plutôt le dissensus que le consensus. Et on en est là parce que l’État est passé en force et qu’il n’a pas su utiliser la bonne méthode. Il a mis le dégel comme condition nécessaire pour pouvoir dialoguer sur le futur. Il interroge la souveraineté et la citoyenneté, alors que c’est justement l’objet du transfert et du partage de souveraineté inscrit dans l’Accord. Il se trouve que c’est exactement détricoter l’Accord. Or, c’est le socle sur lequel les gens ont fonctionné, surtout les indépendantistes et l’ancienne garde des loyalistes. Vous ne pouvez pas défaire en un an tout ce qui a été construit. On ne va pas directement à la fin avant d’avoir trouvé le chemin. Ça veut dire qu’on méconnaît les éléments du dialogue et surtout de l’Océanie.

C’est un jeu dangereux parce que le territoire est toujours inscrit à l’ONU dans la liste des pays à décoloniser, que le regard international sur les anciennes colonies est toujours aigu avec une fracture entre le sud global et l’Occident. Il est évident que vous ne pouvez pas allumer le feu ici. Si vous le faites, vous avez une ligne de front qui va de l’Ukraine en passant par Gaza, et qui va profiter aux néo-empires. Et on ne peut pas donner des leçons à la tribune de l’ONU si on n’a pas résolu en interne ce qu’est le colonialisme. L’État a encore des marges de manœuvre. Ses jeunes représentants peuvent rétropédaler très rapidement, ils ne sont pas ancrés sur des principes. Ils veulent plus des victoires rapides que des stratégies sur le long terme. Ils voudront des Jeux olympiques dans le calme ou un remaniement après les JO, ce qui serait l’occasion de reprendre le dossier à zéro, ou une mission du dialogue. Il va y avoir des coups, mais on ignore lesquels. »

En plus d’un communiqué à la presse calédonienne, Joël Kasarhérou a signé une tribune au Monde le 13 avril, intitulée « L’instabilité en Nouvelle-Calédonie, que l’État n’a pas bien mesurée, représente une aubaine pour certains pays ».

Gérard Sarda
président de la Ligue des droits de l’Homme

© Archives DNC

« Est-ce si important d’avoir une élection dans deux ou six mois ? »

« Depuis plusieurs années, il y a eu des ruptures dans l’accord de Nouméa. À mon avis, ça a commencé par la question des deux drapeaux. Tout le travail qui avait été engagé pour avoir un hymne, des dessins communs sur les billets de banque, une devise, s’est arrêté net. On a vu les deux bords se radicaliser jusqu’à ce moment. Quand vous entendez la présidente de la province Sud dire publiquement devant des milliers de personnes “on va foutre le bordel”, quand de l’autre côté vous voyez sur un camion “bonjour Poutine, dehors les Français”, ce sont des manières d’exciter les troupes par des gens qui sont censés être responsables. Il faut absolument que les parties se remettent autour d’une table.

Est-ce si important d’avoir une élection tout de suite, dans deux mois ou dans six mois ? On sait qu’à un moment donné, il y avait un accord d’une partie des indépendantistes pour qu’on arrive à un système “un homme une voix”. Tout n’est pas perdu, mais il faut que le gouvernement central retrouve une position de hauteur et ne s’acoquine pas avec les plus radicaux. Avec Michel Rocard, puis Lionel Jospin, l’Accord était respecté à la lettre, on a eu la même chose avec Édouard Philippe. Entre les deux, c’était fluctuant mais pas dramatique, Aujourd’hui, on est au bord d’une situation difficile. Et quand le gouvernement fait appel à Mme Backès pour être secrétaire d’État, c’est une maladresse sans pareille, et quand on nomme M. Metzdorf pour être rapporteur sur le dégel, c’est provocateur. Si la leçon est tirée au niveau national, on peut espérer qu’une mission du dialogue puisse faire avancer les choses. Elle devrait intégrer la société civile locale. »

La LDH va écrire au président de la République pour lui faire part de sa position en faveur d’une mission du dialogue.