Dossier : Changement climatique, l’agriculture doit s’adapter

Les inondations succèdent à la sécheresse. Les champs impraticables, les récoltes perdues, les coûts de production en augmentation forcent les agriculteurs à réagir. Agroforesterie, pâturages tournant, travail sur les sols… Les réponses techniques existent, certaines sont anciennes, mais la mise en œuvre reste marginale. Comment la généraliser ? Comment façonner une agriculture résiliente à l’échelle du pays ? Ces questions, centrales, agitent le monde agricole.

 

Dans l’élevage, on revient aux racines

Sa « philosophie » est écrite noir sur blanc sur le portail. Pas d’engrais, pas de pesticide. Patrick Ardimanni travaille « au naturel » depuis toujours. Ses pâturages, à Tontouta, n’ont jamais été labourés. Ses 600 bêtes sont exclusivement nourries à l’herbe et au fourrage.

Pour « pousser » le bétail dans le paddock d’à côté, le stockman délaisse les moteurs pour les chevaux, autant que possible. « Les anciens ont nourri la Calédonie comme ça. Je n’ai pas changé de méthode depuis que j’ai appris ce métier. » Ce qui fait de lui, ironie du sort et tragédie du climat, un éleveur très moderne. « Ce qui m’aide à résister à la sécheresse et aux inondations, c’est surtout le fait de ne pas avoir cassé la couche végétale. »

Le sol n’est pas idéal, il manque de phosphore, mais Patrick refuse d’y toucher. « Le bétail doit s’adapter au manque. Plus on l’aide, plus on le fragilise. » Partisan du « rustique », il a fait le choix de la race brahmane, connue pour sa résistance à la tique et à la chaleur. « Ailleurs, quand je vois des bêtes qui cherchent l’ombre dès 10 heures du matin, je me dis qu’il y a un problème… »

Pour Patrick Ardimanni, l’avenir de l’élevage calédonien ressemble à son passé, avec des méthodes de production au plus proche du « naturel », son mot fétiche.

 

« Je n’aurais jamais défriché comme ça »

Attachés aux qualités gustatives de la race limousine, les éleveurs sont bien plus nombreux à opter pour un croisement génétique avec la race brahmane, quitte à perdre une partie de ses qualités. À Kaala-Gomen, René Marlier a choisi d’aider ses 500 brahmousines en augmentant la surface ombragée. Encore un retour dans le temps. « Avant, il y avait des banians, des bancouliers… Si j’avais acheté ce terrain plus tôt, je n’aurais jamais défriché comme ça. »

Sur les conseils de l’incontournable Mikaël Sansoni, apôtre de l’agroforesterie, René Marlier a planté douze bois noirs d’Haïti et une centaine d’autres les rejoindront au mois d’août. Les vertus de l’arbre sont aussi « énormes » que lui : alimentation des bêtes grâce aux gousses et aux feuilles, amélioration de la végétation environnante, captage de l’eau… « Si on veut continuer à faire de l’élevage en Calédonie, il faut s’adapter. » On n’arrête plus René Marlier, déjà pionnier du bœuf certifié Bio Pasifika (comme Patrick Ardimanni) : il compte carrément « recréer une forêt endémique » sur ses terres.

Mieux… et moins cher ?

À Moindou, Stephen Moglia est « en perpétuelle remise en question », climat oblige. Il pratique désormais la « monte saisonnière ». « On fait naître les veaux en période de pluie pour que leur alimentation soit facile. » À l’orée de la saison sèche, après abattage, le troupeau de 300 brahmousines a perdu la moitié de sa taille. L’éleveur-maraîcher mise aussi sur la rotation des cultures. « Élevage, puis engrais verts, de nouveau élevage, maraîchage et repos. C’est le cycle idéal chez moi. » Abandonner les engrais industriels est une évidence pour lui, d’autant que les prix flambent. « Un éleveur peut avoir des coûts de production deux ou trois fois inférieurs s’il parvient à ne plus acheter d’engrais ni d’aliments », assure Stephen Moglia. La transition n’est pas toujours facile, mais elle est inévitable, estime-t-il. « On a des familles, des emplois, des emprunts. Il n’y a pas d’autre choix. »

 


« Une vraie politique de l’eau »

Pour Guy Monvoisin, président du Syndicat des éleveurs, « il nous faut une vraie politique de l’eau. Il faut parvenir à la stocker, avec des retenues collinaires par exemple. » L’homme de Pouembout veut rester optimiste. « C’est toujours quand on est dans la m… que l’on réussit à s’améliorer. »

 


L’IAC veut écouter, pas imposer

L’Institut agronomique néo-calédonien a lancé en février une étude sur « le potentiel de l’agroforesterie dans les élevages ». Antoine Briand, ingénieur agronome, recensera les « attentes » des éleveurs et des collectivités. « On adopte une approche sociologique pour voir dans quelle mesure on peut faire sauter les verrous », explique le chercheur Thomas Hue.

 

Gilles Caprais (© G.C.)