[Dossier] Dominique Rat : « Une référence architecturale »

Dominique Rat a effectué une vingtaine de déplacements sur le territoire de 1993 à 1998. (© D.R.)

Dominique Rat travaille depuis 36 ans chez RPBW (Renzo Piano Building Workshop) à l’agence de Paris (l’autre se situe à Gênes en Italie). L’architecte a suivi les études de conception, les prototypes, les dossiers d’appel d’offres de 1993 à 1995 et le chantier de 1995 à 1998. En 2018, il a mené avec des experts (bois et métal) l’estimation du vieillissement des cases. Il sera bientôt de retour à Nouméa dans le cadre des travaux de rénovation.

DNC : Vous êtes attendu fin mars sur le territoire. Quel sera votre programme ?

Dominique Rat : Un cahier des charges très précis de la rénovation a été réalisé lors de la mission de 2018, puis peaufiné à l’extrême jusqu’au lancement de l’appel d’offres en 2022. Nous viendrons constater que le processus de réparation correspond bien aux attentes formulées. De nombreux essais de nettoyage ont déjà été réalisés, pour ma part vus uniquement en photos. Cette mission sera l’occasion de voir de près tout ce travail de nettoyage et sablage des habillages. En quelque sorte, cette première série servira de gabarit aux quelque 2136 panneaux constituant les habillages des 10 cases du centre Tjibaou.

Le bureau d’architecture a un droit de regard sur les travaux : que regardez-vous précisément ?

Avec l’aide de toute l’équipe, à savoir, l’ADCK, maître d’ouvrage, le conducteur d’opération, le maître d’œuvre d’exécution, le bureau de contrôle et bien sûr l’entreprise mandataire, le regard sera principalement porté sur la qualité du nettoyage, la méthodologie générale, le contrôle qualité à chaque étape, de la dépose jusqu’au remontage. Je ne repartirai qu’après validation du processus mis au point entre tous les intervenants.

« Cette première série servira de gabarit (…) aux dix cases. »

Le centre culturel Tjibaou est visuellement unique. Est-il techniquement unique ?

L’ossature a été réalisée en bois lamellé-collé. Après une étude auprès de laboratoires spécialisés dans les bois tropicaux, l’iroko a été choisi pour ses qualités de durabilité, de résistance mécanique et de disponibilité. Ce procédé nous a ainsi permis de réaliser les arcs et les poteaux des cases en une seule pièce, ce qui était nouveau avec cette essence de bois tropical, les plus longues pièces mesurant 28 mètres. Un robot d’usinage 5 axes très innovant pour l’époque a été nécessaire pour usiner, tailler, fraiser, perforer, au millimètre près, les arcs et les poteaux pour insérer les pièces moulées en acier réalisant les assemblages.

On sait que le cabinet s’était inspiré de l’aspect des cases traditionnelles, l’a-t-il fait également sur le plan technique ?

Aidé de l’ADCK et de l’anthropologue Alban Bensa, spécialiste du monde kanak, nous avons pu avoir accès à une grande case traditionnelle en cours de construction, voir les façades en feuilles de cocotier tressées, le tissage permettant la ventilation naturelle. Si l’inspiration est indiscutable sur le plan des formes, elle ne l’est pas sur l’aspect technique : l’échelle des cases n’est pas la même. Il s’agit d’un établissement recevant du public soumis à certaines règles, mais le principe de ventilation naturelle a été repris à travers les habillages bois reprenant ainsi la porosité du tissage.

« Les conditions climatiques ont été le vrai défi des ingénieurs. »

Face à la mer, aux cyclones, au terrain de la presqu’île, l’édifice a très bien tenu en 25 ans. À quoi doit-il sa résistance ?

Les conditions climatiques ont été le vrai défi des ingénieurs pour réaliser ces cases hautes de 28 mètres pour les plus grandes : il a fallu prendre en compte les énormes forces de vent (pour lesquelles des études en soufflerie ont été réalisées), la fiabilité et la résistance du collage de l’iroko, l’aspect sismique de la Nouvelle Calédonie. Le principe de la double coque, celle formée par les arcs, connectée à celle formée par les poteaux, le tout ancré sur de solides fondations, a eu raison durablement de toutes ces contraintes.

Vous avez suivi le bâtiment au fil du temps. Quels sont ses autres points forts et ses points faibles ?

Sa forte identité, tant visuelle que culturelle, reste sans conteste l’un de ses points forts. Unique de par sa forme, unique de par la genèse de son projet, le centre Tjibaou est connu dans le monde entier et constitue une référence architecturale. Il est l’un des premiers projets de cette ampleur à avoir utilisé la ventilation naturelle comme principe thermique, élément novateur pour l’époque. J’ajouterais que la symbiose entre le bâtiment et son environnement est primordiale, le chemin kanak étant le lien entre le construit et le végétal, entre l’homme et la nature.

Renzo Piano porte-t-il toujours un œil sur cette construction qui a compté dans sa vie ?

Bien sûr ! Parmi les très nombreux projets réalisés par l’agence RPBW dans le monde entier, le centre Tjibaou se classe parmi les plus remarquables, l’un de ceux auxquels Renzo Piano reste le plus attaché.

Propos recueillis par Chloé Maingourd