Dix photographes témoins de notre époque

L’Art Factory à Nouméa va héberger la plus grande exposition photographique de ces dernières années. Dix professionnels, membres du collectif Vues d’ici, parmi lesquels de grands noms du métier, proposeront leurs travaux, autant de « Regards sur la société calédonienne ». Les clichés sont à découvrir du 8 novembre au 1er décembre.

C’est un évènement dans le monde de la culture et de la presse. Les expositions d’art sont moins fréquentes que par le passé et la photo est très rarement mise en avant. L’Art Factory (maison Cheval) s’est démené pour accueillir ce projet monté au mois de juin, alors que son calendrier était saturé.

« Pour une jeune galerie d’art, c’est un pari courageux et un vrai soutien », salue Clotilde Richalet-Szuch, membre du collectif. Vues d’ici est également lauréat des aides à la création artistique 2023 de la province Sud avec, à la clé, une aide financière sans laquelle ce projet n’aurait jamais vu le jour.

Pilliers

Le collectif a pris forme cette année. On y trouve Éric Dell’Erba, 50 ans de carrière, pilier du monde du spectacle, et Éric Aubry au parcours tout aussi impressionnant, bien connu dans la sphère publicitaire et du portrait. Ces deux « dinosaures » ont réduit leur activité, mais ne lâcheront jamais leurs appareils.

À leurs côtés, Jules Hmaloko, reconnu pour son sublime travail en studio et ses actions auprès de la jeunesse, Nicolas Petit, fasciné par la biodiversité et le rapport entre l’homme et son environnement à qui l’on doit notamment un livre sur le cheval en Nouvelle-Calédonie, réalisé avec Claude Beaudemoulin.

Delphine Mayeur pourrait être qualifiée de « photographe humanis », figeant visages, instants, émotions. Très intéressant également, le travail sociologique, documentaire, de Théo Rouby sur les enjeux universels auxquels sont confrontés les habitants du Pacifique. Clotilde Richalet-Szuch capture ses contemporains au gré de l’actualité et de ses voyages.

Dominique Catton, photographe engagée a documenté la population locale et son mode de vie, les histoires des jeunes en difficulté. Audrey Dang, adepte de la photothérapie, recherche les instants spontanés et sincères, source d’émotions. Gildas de la Monneraye, arrivé récemment sur le territoire, administrateur du collectif, se penche sur les codes sociaux avec son argentique.

Les “caser” ainsi est assez réducteur : tous travaillent sur de multiples projets et supports, se renouvellent sans cesse. Leur point commun ? « Nous sommes issus ou passés par la photo de presse. Ce qui implique un regard particulier sur la société », explique Gildas de la Monneraye. Beaucoup ont travaillé pour Les Nouvelles Calédoniennes, collaborent avec des agences telles que l’AFP, Hans Lucas, et étaient de tous les grands événements des dernières années : la crise de l’usine du Sud, du Covid, les référendums…

« DÉFENDRE LA PHOTO DE PRESSE »

Le collectif a plusieurs raisons d’être. Il leur permet de « parler photo », et puis de joindre leurs efforts pour exposer, assembler, juxtaposer leurs visions. « Il s’agit aussi de montrer qu’on existe, ajoute Gildas de la Monneraye. On est une force importante pour illustrer l’actualité. Or, Les Nouvelles qui utilisaient encore des photographes étaient l’exception avant de disparaître. »

« En Nouvelle-Calédonie, ajoute Théo Rouby, la photo est souvent un bien commercial, une carte postale “beauty”. On fonctionne beaucoup à la commande et très rarement dans une démarche artistique. Des images qui racontent le pays, il n’y en a plus, des images plus personnelles à dimension patrimoniale non plus ».

Autre difficulté, selon Éric Dell’Erba, « une grande concurrence ». « Il y a maintenant tout un tas de gens qui prennent un appareil et font des photos gratuitement. » Défendre la photographie de presse, comme un art véritable, porteur d’esthétisme et de sens, sortir des schémas classiques est donc une ambition majeure.

Pour cette première exposition, chacun devait proposer une série de cinq clichés, maximum. « Le thème ‒ Regards sur la société calédonienne ‒ est volontairement très large pour que l’on puisse obtenir des visions très différentes », précise Gildas de la Monneraye. La plupart proviennent de leurs archives, d’autres ont été travaillés pour l’occasion.

« Sans en avoir parlé, on a abordé différents aspects de la société. » Les traditions, l’actualité, la vie quotidienne, l’urbanité, l’essence de l’homme, l’homme et la nature… Avec un usage varié du numérique et de l’argentique.

Des interactions sont prévues avec le public « sur le métier, sa réalité, ses difficultés, sa beauté ». Les photos – une petite cinquantaine – seront proposées à la vente. Ambitieux, le collectif aimerait faire voyager l’exposition dans d’autres localités et, pourquoi pas, dans la région.

Chloé Maingourd


Dans l’objectif de…

Gildas de la Monneraye expose un travail en argentique, noir et blanc,
sur les coutumes et les traditions communautaires « très singulières », liées à l’histoire de l’Océanie, qui l’ont marqué à son arrivée en Nouvelle-Calédonie.

Nicolas Petit s’est plongé dans un des aspects des photos de foire, l’esprit cow-boy. « Je porte un regard sur l’aspect traditionnel de ce métier d’éleveur calédonien, avec le côté folklorique qui me plaît bien. »

Foire de Koumac.

Clotilde Richalet-Szuch propose des photos vendues à la presse. « J’ai voulu montrer qu’une photo d’actu peut être une belle photo. » Le photographe de presse, observe-t-elle, cherchera toujours « un angle différent, original ».

Nouméa, 25-09-2021. Manifestation contre la vaccination obligatoire contre le COVID-19 et le pass sanitaire.  Clotilde Richalet / Hans Lucas.

Dominique Catton présente une série réalisée durant les semaines précédant le troisième référendum, en pleine période de confinement et d’appel au boycott de la population kanak, une série commandée par The Guardian. Elle explore les perspectives politiques et sociales par le biais de scènes de vie quotidienne. « Ces images nous rappellent que malgré nos différences, nous sommes unis par notre humanité. » Ses clichés sont souvent reconnaissables à leurs couleurs saturées, le jeu.Théo Rouby, journaliste de formation, présente un travail documentaire sociétal et environnemental, « Paradis minier », mené depuis longtemps autour de Goro et l’usine du Sud. « Je raconte ce qui se joue quand on a une population qui entretient un lien avec la nature, qui a aussi besoin d’un développement, et en face une usine industrielle polluante. »


Une aire de repos improvisée, sur les berges du lac artificiel de Yaté, oì font escale des sous-traitants de l’usine du Sud venus de Nouméa.

Jules Hmalako s’intéresse aux tenues d’autrefois, tenues guerrières composées de ce qu’offrait la nature et « devenues symboles du monde kanak, images de fête et symboles d’une culture qui se partage ». Comme un retour à la source.

Delphine Mayeur développe une série en noir et blanc shootée sur une journée en 2016 au centre culturel Tjibaou à l’occasion de danses kanak. « Je voulais rester sur un même événement, ce sont des photos que j’aime bien. »

Éric Aubry dévoile quatre clichés, également en noir et blanc, de Mélanésiens et un groupe d’ouvriers de la SLN, prises au cours de reportages. « Elles ne sont pas représentatives de mon travail habituel, j’ai eu beaucoup de plaisir à les chercher et les sélectionner. » On y retrouve son approche très méticuleuse, soucieuse de la composition, des expressions.

Éric Dell’Erba, enfin, a profité de l’occasion pour entamer un projet qui lui tenait à cœur : « Duo », des photos noir et blanc de personnes du monde du spectacle, chez elles, avec leur égérie, leur alter ego, un hommage au couple. « Derrière chacun d’entre nous, il y a souvent un homme ou une femme, sans qui on ne serait pas qui on est. »

Audrey Dang s’est également mobilisée pour cette exposition, en poursuivant un projet. Elle plonge dans l’exceptionnelle nature calédonienne, véhiculant un univers bien à elle.