Deux cents ans d’histoire de cartographie de la Nouvelle-Calédonie

Ancien géomètre, secrétaire de l’association du musée maritime, passionné de cartes marines et terrestres, Alain Le Breüs sort, après quatre années de travail, un ouvrage unique sur l’évolution de la cartographie calédonienne avec Pascal Rota. Deux siècles de levés qui racontent aussi l’histoire de l’île.

♦ Une première

Ce livre, Alain Le Breüs l’a écrit par intérêt, certes, mais aussi parce que « rien n’avait jamais été écrit sur la cartographie calédonienne, alors j’ai trouvé utile de le faire ». L’ouvrage s’inscrit comme une suite à la conférence qu’il a donnée en début d’année au musée maritime dans le cadre des 300 ans de l’hydrographie française. « Et puis, le confinement m’a un peu boosté, je regrette juste de ne pas avoir pu me rendre en Métropole parce que j’aurais pu glaner des informations plus facilement. »

♦ Le temps des découvreurs

L’évolution de la cartographie est intimement liée à l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, largement évoquée par Alain Le Breüs dans son ouvrage. Tout commence avec la découverte de l’île par James Cook, en 1774. De célèbres noms sont associés aux premières cartes, comme ceux de Beautemps-Beaupré, qui relève la côte ouest, et de Dumont d’Urville. Descendus à terre uniquement à Balade, ils réalisent les relevés côtiers depuis leur navire.

♦ Les missions hydrographiques

Vient le temps des premières missions hydrographiques à partir des années 1840, avant la prise de possession de 1853. « Le seul moyen de transport était le bateau, donc connaître les côtes calédoniennes étaient très important à cette période-là, tout ce qui peut présenter un danger ou une utilité, récif, barrière, passe, etc., est noté, précise l’ancien géomètre. Certains hydrographes ont eu des carrières extraordinaires comme Bouquet de La Grye. »

Il s’agit de la première carte hydrographique complète de la Nouvelle-Calédonie publiée en 1862 par le Dépôt des cartes et plans de la Marine. (SHOM : CM_1960_Pub_1862_Ed_1948_Corr_1970 MMNC)

 

♦ Les cartes topographiques

Après la révolte d’Ataï, d’autres besoins se font sentir. Les militaires se rendent compte qu’ils ne disposent pas de cartographie de l’intérieur des terres. En 1879, une mission topographique est constituée. Jusqu’en 1887, des levés sont réalisés sur tout le territoire pour aboutir à une carte d’ensemble. « L’île est alors divisée en cinq arrondissements. Les topographes militaires commencent par l’arrondissement 1, c’est-à-dire Nouméa et l’île des Pins, zone la plus importante économiquement, avant de remonter jusqu’au nord. »

Alain Le Breüs insiste sur le rôle des différents gouverneurs qui ont impulsé chacun leur politique. Cinq se sont succédé sur cette courte période. « Par exemple, il y en a un qui voulait tracer des chemins, donc il a abandonné les travaux de la carte au profit de la réalisation de routes. Feillet, de son côté, voulait développer la colonisation libre, alors il a fait réaliser un plan en relief afin de voir les endroits où les colons pouvaient s’installer. »

La carte générale de l’île au 1 : 300 000e est très attendue. Réalisée en 1886, elle est lithographiée et gravée par un condamné, puis imprimée à Montravel en monochromie à 1 000 exemplaires. (ANOM-2PL_228)

 

♦ Les Américains

Ces cartes servent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, à l’arrivée des Américains. « Ils avaient une mauvaise connaissance cartographique des îles du Pacifique, raconte Alain Le Breüs, alors ils ont récupéré les cartes qu’ils avaient dans leurs bibliothèques et leurs universités et les ont transposées en anglais. » Les cartes calédoniennes ne sont pas à jour, elles datent de la mission topographique des années 1880. À quelques détails près. « J’en ai retrouvé qui mentionnent la voie ferrée Nouméa- Bourail, qui finalement n’ira que jusqu’à Païta. » En 1943, les Américains prennent les premières vues aériennes d’ensemble du territoire. « Cela permet de mettre les cartes à jour. Elles sont notamment utilisées par les pilotes américains qui reviennent de Guadalcanal. »

♦ Naissance de la carte moderne

Au début des années 1950, la volonté est de réaliser des cartes générales de l’île, le service de l’IGN, Institut géographique national, se voit confier une mission géodésique de l’île des Pins jusqu’à Bélep en marquant des points à différents endroits, en particulier sur les sommets des montagnes (comme le Humboldt), dont on connaît les positions et les altitudes. « On fait de grands triangles dont on mesure les angles et on met à l’échelle. Ensuite, on prend une vue aérienne de l’ensemble du territoire, on identifie sur les photos des points qu’on retrouve sur le terrain et on détermine leur position en coordonnées rectangulaires et en altitude. » C’est ce travail qui mène à la conception de la première carte moderne au 1 : 500 000e en 1967, avant l’avènement des cartes numériques d’aujourd’hui. C’est juste avant que s’arrête le livre, en 1979. « Cela marque un changement d’époque et de méthode, et cela faisait deux siècles d’histoire, c’était un bon moment pour m’arrêter. »

Cette carte d’ensemble au 1 : 500 000e date de 1967. Il s’agit de celle qui est mise à jour aujourd’hui. (National Library of Australia MAP G9340 1967)

 


« La mer du Corail »

Pendant ces recherches, Alain Le Breüs a remarqué que sur les premières cartes hydrographiques et cartographiques était écrit mer du Corail. « Aujourd’hui, on dit « de » Corail. Les deux sont en fait utilisés et la commission de toponymie française va se réunir pour décider si c’est « du » ou « de » ». Autre anecdote, lorsque les Américains ont transposé les noms des communes calédoniennes, ils les ont écrites en phonétique afin que les soldats puissent les prononcer, ce qui a donné Burai pour Bourail ou encore Hauailu pour Houaïlou, etc.

 

Le rôle des condamnés

Le secrétaire de l’association du musée maritime a été frappé par la part active jouée par les déportés et les condamnés aux travaux forcés dans l’élabora- tion des cartes. « Ils sont, par exemple, à l’origine d’un plan de 15 m de long en relief réalisé pour l’Exposition universelle de Paris en 1900 et ça, on ne le sait pas. On n’allait pas développer, au moment de la colonisation libre, le rôle des condamnés. »

 

Des documents dispersés

Alain Le Breüs s’est rendu compte, en cherchant des cartes pour son ouvrage, qu’elles étaient toutes dispersées entre différentes administrations et centres documentaires dont les services n’avaient parfois même pas la connaissance. « À la fin du livre, j’ai donc fait un récapitulatif pour indiquer où on pouvait les trouver, à la Dimenc, à la DITTT, etc. Ils ont par exemple des documents très intéressants à la CPS. »

 

Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)