Des sondages instructifs

L’institut Quid Novi a été sollicité pour réaliser plusieurs sondages sur la situation calédonienne. L’un d’entre eux, réalisé pour Eris et Océane FM, a été publié lundi. Il démontre l’inquiétude de la population quant à l’avenir et un possible départ pour certains, en cas d’indépendance. On observe néanmoins, au-delà du non et oui, de nombreux points de convergences sur le vivre- ensemble ou le rapport à la France…

Les Calédoniens ont appris à prendre les sondages avec des pincettes depuis le premier référendum, qui avait déjoué tous les pronostics. Reste qu’ils permettent de donner une température et de soulever des questionnements. Lundi, Océane FM a publié une nouvelle étude commandée auprès de l’institut Quid Novi et destinée à déceler la perception de la population sur la situation actuelle du pays, l’avenir et les conséquences d’une éventuelle indépendance.

Elle a été réalisée du 18 décembre 2020 au 10 janvier 2021 sur un échantillon représentatif de 1 032 personnes de plus de 18 ans, installées durablement en Nouvelle-Calédonie. Il est important de noter que la période était alors particulièrement tendue entre le conflit de Vale NC, alors à son paroxysme, et la crise sanitaire. Depuis, un accord est intervenu à l’usine du Sud, mais nous avons eu la chute du gouvernement, puis un deuxième confinement.

Niveau de confiance dégradé

Parmi les principaux enseignements de cette enquête, on apprend que 64 % des répondants sont « inquiets » ou « plutôt inquiets » pour le développement de la Nouvelle-Calédonie et 50 % inquiets pour leur situation personnelle et professionnelle. L’appréhension pour le développement du territoire est plus marquée en province Sud, chez les loyalistes et les non-Kanak de plus de 30 ans. Et ceux en faveur de l’indépendance ou les résidents des Loyauté sont plus confiants sur leur situation.

Le deuxième référendum a-t-il joué sur la morosité ambiante ? 58 % des personnes interrogées pensent que celui-ci n’a pas eu d’impact sur la sécurité, mais ils sont 42 % à dire qu’il a eu des conséquences négatives sur le vivre-ensemble (55 % chez les partisans du non et 19 % chez les partisans du oui) et 49 % sur l’économie (62 % chez les partisans du non, 30 % chez les partisans du oui).

Trop d’inégalités

Sur la situation actuelle, 84 % des interrogés, quel que soit leur statut ou positionnement pour l’avenir, s’accordent sur le fait qu’il y a trop d’inégalités en Nouvelle-Calédonie. Une majorité de 58 % juge, par ailleurs, qu’il faut diminuer les dépenses publiques et réduire le nombre de fonctionnaires. Seule la jeunesse non kanak est partagée sur cette question, avec 46 % de désaccords. La majorité (71 %) est favorable à une augmentation des impôts sur les gros revenus, mais opposée, à 52 %, à une extension des impôts à tous, même aux petits revenus. Mais on observe des divergences sur cette dernière question : 60 % des partisans du oui, des résidents des Loyauté ou des Kanak de moins de 30 ans y sont opposés, alors que plus de 50 % des votants pour le non y sont favorables.

Autonomie

La Nouvelle-Calédonie est-elle autonome du point de vue financier et pourrait-elle le devenir ? 44 % pensent qu’elle ne l’est pas complètement, mais pourrait le devenir et 12 % qu’elle ne l’est pas et ne pourra pas le devenir. La plupart des partisans du oui (78 %), des résidents des Îles et du Nord (67 et 72 %) et les jeunes Kanak (76 %) pensent qu’elle pourrait devenir autonome. C’est aussi le point de vue de la moitié de la jeunesse non kanak (47 %). Mais pas des partisans du non, au sens large, et des résidents de la province Sud.

Le même clivage est observé sur l’importance des transferts financiers de l’État. 51 % des partisans de l’indépendance pensent qu’ils sont importants, mais pas indispensables et 60 % des partisans de la Nouvelle-Calédonie dans la France et les non-Kanak de plus de 30 ans affirment qu’ils sont essentiels.

À l’exception de l’audiovisuel, la gestion des autres compétences de l’article 27 s’envisage en collaboration avec la France. Et pour les compétences régaliennes, c’est plutôt une gestion en partenariat qui est souhaitée (24 % estiment que la Nouvelle-Calédonie pourrait les gérer seule).

Question du référendum et lien avec la France

Dans le cadre du troisième référendum, près de la moitié des Calédoniens (49 %) souhaitent qu’une nouvelle solution soit négociée et validée par le vote au troisième référendum. Cette position est davantage partagée par les partisans du non et les non-Kanak. 28 % pensent qu’il faut discuter, mais faire un référendum oui-non et 18 % pensent qu’il faut discuter après. Les partisans du oui et les Kanak de plus de 30 ans sont plus nombreux sur cette dernière position (34 et 26 %). Mais on observe aussi qu’une partie d’entre eux est ouverte à des discussions avant le référendum.

La question du lien avec la France est étonnamment consensuelle. Celui-ci est indispensable pour la moitié des répondants et important, mais pas indispensable pour 43 %, en particulier chez les partisans du oui (63 %), les résidents du Nord (54 %) et des Îles (66 %). Seulement 5 % des personnes interrogées ne souhaitent plus de lien du tout avec la France. 68 % des Calédoniens considèrent, en outre, que pouvoir garder la nationalité française est très important, voire non négociable. À noter que ce pourcentage est tout de même de 61 % pour les partisans de l’indépendance, 56 % en province Nord et 53 % dans les Îles et 38 % chez les Kanak de moins de 30 ans.

En cas d’indépendance, 67 % anticipent une dégradation du fonctionnement des services publics (école, santé, social). 21 % de la popu- lation se demandent s’ils ne vont pas quitter le territoire dont 10 % pensent qu’ils n’auront pas le choix (18 % chez les non-Kanak de moins de 30 ans). Une majorité des Kanak et des per- sonnes ayant voté oui (54 %) ne prévoient pas d’impact sur leur situation en cas d’indépendance.

Quelle que soit l’évolution du territoire, la population est majoritairement favorable à une société offrant les mêmes droits pour tous (73 %). 19 % souhaitent que l’on favorise les natifs et 6 % les Kanak et les victimes de l’histoire.

60 % souhaitent une citoyenneté ouverte ou glissante, accessible notamment aux personnes présentes depuis plus de 11 ans. 30 % réserveraient la citoyenneté ou nationalité aux natifs exclusivement, une position défendue davantage par les partisans du oui et les Kanak de plus de 30 ans.

Ce sondage est disponible en ligne depuis le site internet d’Océane FM www.oceanefm.nc


Quelles solutions sont discutables ?

Quid Novi a testé plusieurs possibilités d’évolution pour la Nouvelle-Calédonie et demandé aux personnes si elles acceptaient que leurs responsables en discutent et quelle solution aurait leur préférence.Voicileursréponses: rester Français mais avec plus d’autonomie et de compétences (60 %) ; rester sur le statut actuel (39 %) ; rester Français mais créer un État fédéré dans la France (43 %) ; indépendance association libre avec la France avec sortie quand on veut (39 %) ; indépendance totale, puis voir si l’on conclut des partenariats après (26 %) ; indépendance association avec un autre pays et sortie quand on veut (21 %) ; partition de la Nouvelle- Calédonie, chaque province pouvant choisir l’indépendance ou pas (21 %).


Stéphane Renaud : « Les choses ne sont pas aussi figées qu’on les présente »

©DNC 

« Les observations que l’on a sur les inquiétudes pour la Calédonie, les situations personnelles et professionnelles, ne font que conforter ce que l’on entend partout. On voit aussi, et c’est plutôt nouveau, qu’il y a une très forte majorité qui trouve que la société est inégalitaire. Je pense que c’est un point auquel il faut faire très attention. Sur l’avenir, les choses ne sont peut-être pas aussi figées qu’on les présente, ou binaires entre le oui et le non. Il y a une volonté d’autonomie, mais les relations avec la France sont souhaitées, voire non négociables. Les Calédoniens semblent par ailleurs vouloir une société plutôt ouverte et on peut imaginer que les positionnements fermés que l’on peut entendre ne sont pas forcément ceux qui sont attendus. Et puis il y a ce que l’on voit sur les réseaux sociaux et une majorité silencieuse qui visiblement aspire à vivre ensemble. Il y a donc peut-être des territoires où les discussions, les échanges, les convergences sont possibles et finalement, les gens ne sont pas si éloignés les uns des autres ».


Une étude, d’opinion, qui va un peu plus loin, et commandée cette fois à Quid Novi par le Ministère des Outre mer sera développée par l’institut le 10 mai, au centre culturel Tjibaou, à l’occasion de la restitution au grand public de la consultation de la société calédonienne sur l’avenir institutionnel. Elle devait être présentée ce jeudi aux élus dans un format Leprédour élargi. Le FLNKS a annoncé qu’il ne viendrait pas. La restitution sera exactement la même pour les élus et la société civile et « sans filtres » tient à préciser Quid Novi.


La question des départs

L’étude présentée lundi montre que 21 % des personnes s’interrogent sur un départ du territoire en cas d’indépendance dont 10 % qui estiment que la situation sera intenable et qu’ils seront contraints de partir.

Cette donne sur les départs est une constante dans les études menées récemment par Quid Novi, selon Stéphane Renaud. C’est en effet ce que montrait aussi l’étude effectuée par l’institut pour les autorités polynésiennes sur les conséquences de l’éventuelle indépendance en matière d’immigration qui sera rendue publique en juillet. Sur celle- ci, 9 780 personnes envisageraient de s’installer au fenua si la Nouvelle-Calédonie rompait avec la France : 780 personnes originaires de Polynésie et 9 000 n’y ayant pas d’attache, ce dernier volume dépendant toutefois du climat régnant en Nouvelle-Calédonie. Selon le sondage, un tiers d’entre eux seraient susceptibles de concrétiser ce projet. Un peu moins de 5 000 Polynésiens choisiraient de rester.

L’emploi, le cadre de vie et le rapprochement familial sont les principaux critères qui pourraient engendrer un départ. Parmi les autres destinations figurent également la Métropole (en tête), l’Australie, la Nouvelle-Zélande. 60 000 personnes pourraient au total partir et « entre 85 et 90 000 personnes » dans le pire des scénarios, explique Stéphane Renaud au regard des études. Une proportion phénoménale, un cataclysme d’un point de vue économique…

C.M.

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