Dégel simple pour les provinciales ou accord global ?

Le ministre lors d’une rencontre avec l’Union calédonienne et ses partenaires.© C.M.

Les 24 et 25 novembre, Gérald Darmanin a tenu une série de rencontres politiques à Nouméa. La négociation a permis des rapprochements entre indépendantistes et non-indépendantistes, mais l’Union calédonienne dit avoir « besoin de temps ». Pour obtenir un accord global avant la fin de l’année, le ministre a proposé de revenir entre les 3 et 6 décembre, à condition que tous soient à la table des discussions. 

Le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer espérait-il vraiment un accord cette semaine ? Ce n’est pas exactement ce qu’indiquait son cabinet, avant cette cinquième visite en un an. L’ambition était d’« aller au bout de la négociation avec ceux qui y participent » et de préparer un accord politique « pour Noël ». Repartir de Nouméa avec cet accord n’était « sans doute pas réaliste », concédaient-ils.

Gérald Darmanin analyse, au terme de cette séquence, que « chacun a essayé de pousser son avantage jusqu’au bout », comme déclaré sur le plateau de NC La 1ère avec Caledonia et RRB. Le bout du bout avant de ne plus pouvoir tenir les délais avancés par le président de la République au mois de juillet.

NOUVEAU « PARI DE L’INTELLIGENCE »

Les délégations de l’UNI, Union nationale pour l’indépendance, et non-indépendantistes (Les Loyalistes, Rassemblement, Calédonie ensemble) ont été reçues en bilatérale le 24 novembre, avant une réunion commune le 25 (où l’on espérait voir l’UC, en vain). Ce n’était pas une première pour ces protagonistes et les positions ont continué d’évoluer.

Dans la balance, deux gros sujets : l’autodétermination et le corps électoral. Il a été proposé de retirer toute date pour reposer la question de l’autodétermination (l’État avait proposé deux générations). Cela permettrait, quel que soit le point de vue, une certaine acceptabilité, avec un déclenchement demain ou jamais. Chacun cherchant à placer ou à faire sauter des verrous à ce processus.

La discussion porterait sur une demande effectuée par les deux tiers du Congrès avec un référendum non plus binaire ‒ les parties impliquées ne semblent plus le vouloir ‒ mais de projet, adopté par deux tiers de cette assemblée, puis ratifiable par les deux tiers de la population. Avant le vote, il passerait par une acceptation de l’État (un genre de « veto ») avec des critères démocratiques, etc.

Un projet qui « ne serait pas forcément l’indépendance », selon le ministre, qui a notamment évoqué l’association. Tout cela se discute encore. En tout cas, « l’idée est qu’il repose sur le consensus et non la confrontation », a souligné Gérald Darmanin, pour qui « cela peut être un très beau projet, une belle promesse d’avenir (…) un nouveau pari sur l’intelligence ».

Réunion avec l’UNI et les non-indépendantistes. Photo : CM

OUVERTURE DU CORPS ÉLECTORAL POUR LES PROVINCIALES

L’autodétermination est liée à la question du corps électoral, dont le dégel est obligatoire, a rappelé l’État, mais qui fera bouger les équilibres. À partir de combien de temps sur le territoire, une personne peut-elle obtenir le droit de vote ? Lors d’une précédente visite du ministre, les non-indépendantistes avaient avancé trois ans, ils seraient sur cinq désormais, les indépendantistes au minimum 10 ans.

D’autres conditions pour accéder à la citoyenneté sont discutées (intérêts financiers, moraux, questionnaire culturel), et le cas des conjoints qui pourraient bénéficier d’une procédure plus rapide, selon un responsable non-indépendantiste. Sur la table aussi : un rééquilibrage de la représentativité des élus, le suffrage universel direct pour le président du gouvernement qui n’a pas fait mouche, ou encore le changement du nom du Congrès en Parlement comme proposé par le ministre.

Pour l’instant, « on a compris leurs postures, mais on les a sentis à l’heure du compromis », soulève Gérald Darmanin. Virginie Ruffenach, membre de la délégation non-indépendantiste pour le Rassemblement, a fait état d’une « relation apaisée » avec l’UNI. Gil Brial pour Les Loyalistes est rassuré par le fait que la tenue du calendrier a été « rappelée à l’ensemble des séquences ».

Gérald Darmanin a prévenu que si un accord pour un grand projet constitutionnel n’était pas trouvé d’ici la fin de l’année, « l’État avancera ». C’est-à-dire qu’après un avis du Conseil d’État attendu les 8 et 9 décembre, le projet de loi organique ouvrant le corps électoral pour les provinciales de 2024 sera déposé au 31 décembre.

LE CAS DE L’UC

Gérald Darmanin était « échaudé » de voir qu’après deux ans, l’Union calédonienne ne voulait toujours pas rentrer dans la discussion. Mais il y a eu du mieux, une réunion de trois heures avec l’État, puis une autre, élargie aux partenaires nationalistes et progressistes.

« La rencontre s’est très bien passée, a commenté le président du Congrès. Il y a une volonté de part et d’autre de pouvoir avancer. Mais nous avons quelques problèmes. » Roch Wamytan évoque des « propositions » sur les deux points cités plus haut qui « doivent être retravaillées ».

L’UC veut notamment rester sur un tiers des 54 élus du Congrès pour l’autodetermination. Le groupe a donné un accord de principe pour poursuivre les discussions bilatérales avec le préfet Rémi Bastille. Mais alors que le ministre évoque un créneau entre le 3 et le 6 décembre pour son retour, Roch Wamytan, au sortir de la réunion, parlait des « 8, 9, 10 décembre », créneau « intéressant pour [eux] puisqu’à ce moment-là nous aurons l’avis du Conseil d’État (…) sur le corps électoral ».

L’UC dit avoir besoin de plus de temps. « Ce sont quand même des questions lourdes de conséquences pour nous : l’ouverture du corps électoral, en particulier, touche le principe du peuplement de la Nouvelle- Calédonie. » Sur la citoyenneté, « est-ce qu’il faut s’arrêter uniquement sur la durée de résidence, rajouter d’autres critères ? », interroge-t-il.

Sur l’autodétermination, pour lui, les parties « ont rejoint la position des Nations unies, c’est-à-dire de faire un référendum et si c’est non, de repartir sur un autre, etc. ». Pas sûr que les loyalistes optent pour une telle facilité. Roch Wamytan trouve, en tout état de cause, le ministre « très compréhensif » et « il est prêt à revenir, il faut quand même saluer cette volonté ».

Quant à discuter avec les autres partenaires ? « C’est un timing. Nous n’avons pas terminé la discussion avec l’État, il nous faut aller jusqu’au bout. » Faute d’accord, l’UC dit avoir conscience que la modification électorale leur serait imposée… et que la mise en œuvre du principe d’autodétermination pourrait être « reléguée aux calendes grecques ».

Le ministre leur aura sûrement rappelé leur intérêt. Rémi Bastille est chargé de poursuivre le travail cette semaine en espérant convaincre la principale composante du FLNKS, sans qui un accord serait difficile mais pas impossible.

Chloé Maingourd


L’UC élargi

« Nous avons élargi notre délégation, c’est important qu’il n’y ait pas que l’UC mais les nationalistes, les syndicats qui représentent la masse des progressistes calédoniens », a commenté Roch Wamytan. Aux côtés de l’UC, lors des rencontres avec le ministre, le Parti travailliste, l’USTKE, le Rassemblement démocratique océanien, la Dynamique unitaire sud, Dynamique autochtone, le Mouvement des océaniens indépendantistes qui composent le nouveau CCAT (lire par ailleurs). Un signe positif pour l’avancée des discussions ? Une force de pression ?

Photo : B.B.

Mobilisation en marge des discussions

Ils ont voulu défendre les « acquis » de l’Accord de Nouméa : le corps électoral citoyen, le maintien sur la liste des territoires à décoloniser, le principe d’irréversibilité jusqu’au transfert des compétences régaliennes, la trajectoire vers la décolonisation et la pleine souveraineté. Vendredi 24 novembre, au premier jour de la visite ministérielle, un millier de personnes ont marché dans les rues de Nouméa à l’appel de différentes organisations indépendantistes regroupées par la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).

L’objectif du nouveau groupement est de se « mobiliser sur le terrain ». « Avec son document, le chemin dans lequel l’État nous inscrit est à l’opposé de ce qu’on construit depuis 30 ans », a expliqué Christian Tein, secrétaire général de l’UC. Le Palika avait appelé ses structures à « préserver la sérénité des discussions et ne pas mettre en péril celles en cours au travers d’événements et de mobilisations inappropriés, sources d’incompréhension pour la population calédonienne ». Chez les non-indépendantistes, le député Nicolas Metzdorf a évoqué un « gros plantage ».

Photo : Haut-commissariat

Plus de pouvoir au Sénat coutumier

Gérald Darmanin a commencé sa visite ministérielle par une coutume et un entretien au Sénat coutumier, auquel le ministre souhaiterait offrir « une place nouvelle ». Selon lui, « la place du monde coutumier et du monde kanak doit être encore plus forte ». Le ministre verrait bien « un rapprochement avec le Conseil économique et social », le président Victor Gogny l’imagine devenir une deuxième chambre décisionnelle à dominante coutumière, avec le Congrès.

Les sénateurs ont été remerciés pour leurs contributions à la réflexion sur l’avenir institutionnel. L’instance a réitéré deux autres propositions, la structuration des chefferies autour des communes et l’intégration des huit aires dans le fonctionnement des provinces. Le ministre s’est dit disposé à aller dans ce sens.