Corps électoral, le processus est lancé

Les sénateurs de la droite et du centre se sont prononcés en faveur de la modification du corps électoral provincial. Les partis de gauche ont voté contre.(Photo by Bertrand GUAY / AFP)

Mardi 2 avril, le Sénat a adopté en première lecture le projet de loi constitutionnelle du gouvernement permettant aux natifs et aux résidents depuis dix ans de voter aux élections provinciales, avec des assouplissements sur la tenue du prochain scrutin introduits par Les Républicains. Localement, la question est brûlante.

Une nette majorité du Sénat, institution dominée par la droite et le centre, s’est donc prononcée en faveur de la modification du corps électoral provincial. 223 voix pour, 99 contre. Une nécessité, juge cette majorité, compte tenu de son caractère « transitoire » et, surtout, de l’accroissement du nombre de personnes concernées par le gel voté en 2007 et fixé à 1998. Désormais, un électeur sur cinq ne peut se prononcer à ces élections, déterminantes, étant donné les compétences dévolues aux collectivités et l’incidence directe sur la composition du gouvernement et du Congrès. Concrètement, le texte prévoit d’intégrer près de 12 000 natifs et 13 000 habitants domiciliés sur le territoire depuis au moins dix ans.

Le Parlement récupère (un peu) la main

Comme lors de l’examen du texte le 26 mars, les partis de gauche ont dénoncé le « passage en force » du gouvernement. Pour rappel, le Conseil d’État avait donné jusqu’au 30 novembre 2025 pour organiser ces élections. Pourquoi tant d’empressement ? La droite, quoique favorable au principe du dégel, a fait évoluer le texte porté par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, dans l’objectif de « détendre » le processus, selon les termes rapportés par l’AFP.

Un amendement a permis que le processus électoral puisse être suspendu jusqu’aux dix derniers jours précédant le scrutin, si un accord était trouvé entre les parties. Le gouvernement avait prévu une limite au 1er juillet pour trouver un consensus. Un autre a supprimé l’habilitation donnée au gouvernement de pouvoir organiser, par décret, le prochain scrutin provincial.

Pour éviter tout contournement du Parlement, ce décret est remplacé par une loi organique votée dans les conditions ordinaires, après avis du Congrès de la Nouvelle-Calédonie. Une exigence démocratique selon le rapporteur Philippe Bas (LR). « Ce qui touche au droit de suffrage des Français doit bénéficier de la garantie d’un vote de la représentation nationale et non dépendre d’un acte du gouvernement. »

La question de la rapidité du processus, qui importait au gouvernement ‒ le Parlement a adopté une loi organique pour la tenue du scrutin au plus tard avant le 15 décembre ‒ est balayée au motif que celui-ci sait aller vite quand il le faut, comme l’a démontré la crise sanitaire.

Gérald Darmanin redoutait également que ces ajouts puissent entraver le vote à l’Assemblée nationale, sachant que le projet de loi doit être adopté dans les mêmes termes au sein des deux hémicycles. Autant d’obstacles qui l’avaient poussé à envisager de demander une seconde délibération sur le texte, selon les médias nationaux. En déplacement à Singapour, Gérald Darmanin s’est visiblement ravisé.

On peut ajouter que l’application des critères du dégel pourrait concerner l’ensemble des prochains scrutins provinciaux. À moins que d’autres ne les remplacent dans le cadre d’un accord, ce qui pourrait se produire par une simple loi organique. Le texte passera à l’Assemblée nationale le 13 mai. Le député Nicolas Metzdorf a été nommé rapporteur du projet de loi. Il a promis qu’il aborderait cette tâche avec « rigueur et impartialité » L’échéance du Congrès de Versailles serait fixée pour l’heure au 27 mai, selon Les Loyalistes.

« Pari sur l’intelligence » ?

Localement, la question du corps électoral mobilise les deux sensibilités. Jeudi 28 mars, devant le Congrès à Nouméa, Les Loyalistes et Le Rassemblement ont réuni des milliers de personnes pour faire pression sur les Parlementaires en faveur du dégel. Le même jour, la CCAT, Cellule de coordination des actions de terrain, réunissait également des milliers de Calédoniens pour une marche contre le dégel avant de réitérer l’événement mardi 2 avril. Le congrès du FLNKS s’était prononcé ainsi le 23 mars.

À quelques heures du vote au Sénat, les indépendantistes ont demandé « solennellement au gouvernement français de retirer le projet de loi et de respecter les engagements pris en faveur d’une évolution politique consensuelle, garantissant l’intégrité de notre processus de décolonisation et du respect des accords précédemment conclus ». L’UC-FLNKS, Nationalistes et l’UNI avaient déposé une proposition de résolution au Congrès en ce sens.

Dans un communiqué, Les Loyalistes et Le Rassemblement ont salué la décision du Sénat qui constitue, d’après eux, « un message clair envoyé en soutien au rétablissement d’un fonctionnement démocratique normal en Nouvelle-Calédonie », une façon de mettre fin à une « terrible injustice ». Ils resteront attentifs à l’examen des députés.

Calédonie ensemble observe que le Sénat a fait un « pari sur l’intelligence » en offrant aux Calédoniens plus de temps pour trouver un accord. « La balle est désormais dans notre camp, à nous d’être collectivement à la hauteur de nos anciens, des enjeux… », souligne le parti, qui appelle à « un peu moins de boycott et de défilés et un peu plus de dialogue ».

Chloé Maingourd