« Ceux qui disent qu’on massacre la terre ne savent pas comment on travaille »

La nécessaire adaptation de l’agriculture aux conséquences du changement climatique fait l’unanimité. En revanche, les moyens pour y parvenir divergent. Nombreux sont ceux qui prônent « la voie du milieu », faire évoluer ses pratiques sans changer entièrement de fonctionnement.

Plus de 2 000 hectares de maïs et de squash. 1 100 têtes de bétail. 3 200 tonnes de végétaux produites les bonnes années et environ 80 tonnes de viande. « Je participe à nourrir la population du territoire », appuie Roger Galliot, dont la maison surplombe ses champs particulièrement verdoyants. Si l’agriculteur installé à la Ouenghi constate bien une modification du climat, il n’en ressent pas encore les conséquences. « Ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète. Ce sera progressif et il reviendra aux enfants et aux petits-enfants de s’adapter. C’est la loi de la nature, même si cela implique des difficultés. »

Il n’empêche. Les pratiques de Roger Galliot ont évolué au fil des décennies et tendent vers une agriculture raisonnée. « J’utilise beaucoup moins d’intrants chimiques qu’avant, seulement le minimum, et je plante des légumineuses comme le sorgho pour entretenir la terre entre deux cultures. » Et les résultats sont là. « Je produisais quatre tonnes à l’hectare contre environ dix aujourd’hui. » L’éleveur a également banni les produits chimiques. Afin de lutter contre les tiques, il a importé une race de bovins résistante.

Modifier ses habitudes alimentaires

Roger Galliot ne croit pas en l’agroforesterie. « Cela ne se fait pas sur de grandes surfaces, on ne nourrit pas le monde avec de petites quantités. » Cette « technique ancestrale » ne permet pas de produire autant, soutient Lionnel Brinon, président de l’Agence rurale. « C’est intéressant mais ce n’est pas la solution à tout, c’est très bien dans son jardin, mais pas pour l’agriculture conventionnelle. »

Il faudra adapter les cultures. « Avec le réchauffement, les hivers seront moins rigoureux. Or, on cultive des cultures de pays tempérés : carottes, melons, salades. Il faudra sélectionner des variétés qui s’adaptent à la chaleur, aux pluies et à la sécheresse et qui soient moins gourmandes en eau. » Et des changements plus profonds dans la société sont nécessaires, considère l’ingénieur agricole. « Les gens devront modifier leurs habitudes et privilégier les plantes locales comme le chou kanak et l’embrevade. » Il pourrait en être de même avec la viande : les porcs et les poulets étant nourris avec des céréales, qu’il faut produire ou importer, faudra-t-il en réduire sa consommation ?

Lionnel Brinon identifie d’autres obstacles, comme l’habitude de consommer des fruits et légumes normés et sans défaut, ainsi que le prix des produits bio.

Cohabitation

David Perrard, céréalier à la Ouaménie, à Boulouparis, partage cette idée de « voie du milieu ». Il recourt moins aux engrais chimiques. « On utilise les intrants de façon raisonnée afin de donner à la plante uniquement ce dont elle a besoin. » Les produits phytosanitaires ? « On s’en sert seulement quand il y a une invasion, comme avec la chenille l’an dernier et on ne met pas de désherbant. » Le changement climatique fait partie des préoccupations de l’agriculteur, qui a instauré des cultures en alternance pour protéger les sols grâce au couvert végétal. « On pense aussi à la ressource en eau, on essaie d’arroser au meilleur moment et le moins possible. »

Chez lui, l’agroforesterie occupe une place dans la réflexion. « Cela a du sens pour accompagner, par exemple s’appuyer sur des végétaux comme brise-vent et mettre des plantes à fleurs pour attirer les insectes. Il faut revenir à des pratiques de bon sens, trouver un équilibre. »

Lionnel Brinon, élu Avenir en confiance à la province Sud, prêche pour une agriculture responsable qui peut avoir recours aux pesticides (un terme qu’il n’affectionne guère, lui préférant celui de « produits agro-pharmaceutiques »). « Il ne faut pas bannir la technique et le chimique, à un moment donné, on en a besoin. »

Mauvaise réputation

L’agriculture conventionnelle pâtit d’une mauvaise image à cause de « la course aux rendements et aux produits », poursuit l’élu. « Aujourd’hui, on en utilise de moins en moins, la présence de résidus a baissé et les pratiques se sont améliorées. » L’ancien maire de Thio, lui aussi, en a marre de cette étiquette. « Ceux qui disent qu’on massacre la terre et nous accusent d’être sans conscience ne savent même pas comment on travaille. En réalité, on fait de bons produits et on en fait beaucoup. J’en ai marre de la façon dont on se fait traiter. » Roger Galliot propose, à la place, d’échanger. « On a à apprendre les uns des autres, on fait la même chose, nourrir les gens. » Mais pas de la même manière. Des points de vue irréconciliables ?

 

Anne-Claire Pophillat (© A.-C.P.)