« Cette réforme fiscale est indispensable »

Laïsa Ro’i, enseignante chercheuse en économie à l’université de la Nouvelle-Calédonie, voit la réforme comme l’aboutissement nécessaire de discussions lancées il y a plus de dix ans. Un accroissement de l’autonomie financière et une réduction des inégalités lui paraissent souhaitables.

DNC : La réforme vous paraît-elle nécessaire ?

Laïsa Ro’i : Elle est indispensable. Il s’agit d’un engagement pris auprès de l’État dans le cadre du prêt de 28 milliards contracté pour couvrir les dépenses liées au Covid. C’est aussi le fruit d’échanges qui durent depuis plus de 10 ans. La première évocation de la taxe sur les produits sucrés, c’était dans le rapport Lieb (du nom de l’ancien inspecteur général des finances, Jean-Pierre Lieb, NDLR) en 2011. Elle a ensuite été inscrite dans l’agenda partagé en 2014. Les partenaires sociaux se sont déjà réunis pour parler de tout cela. C’est une très bonne nouvelle que toutes ces réflexions puissent enfin se traduire par des actes.

Est-ce à dire que l’on fait du neuf avec du vieux ?

Oui, c’est un peu cela. Et nous avons aujourd’hui l’opportunité de passer à l’action. Malheureusement, nous avons attendu d’être au pied du mur pour voir les choses en face. En ce qui concerne le nickel, il aurait été intéressant de faire voter les réformes dès le début des années 2000. Si on l’avait fait, le pays récupérerait aujourd’hui une partie des recettes, d’autant que les cours sont très élevés. Les autorisations d’exportation viennent d’ailleurs d’être relevées (pour la SLN et la NMC, NDLR) et il n’y aura aucune retombée pour le pays dans l’immédiat.

 

Les classes moyennes paient plus d’impôts que les classes supérieures.

 

Le rendement de la réforme est annoncé à près de 30 milliards de francs. Est-ce suffisant pour remettre les finances publiques à flot ?

Cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais c’est déjà un bon début. Il est normal que les estimations ne soient pas très précises, car lorsque l’on met en place une politique fiscale, on ne peut pas anticiper tous les changements de comportement, qui influent sur le rendement. Quoi qu’il en soit, 30 milliards, c’est déjà une somme supérieure à l’emprunt contracté en 2020 pour la crise du Covid.

Cela fait-il une grande différence au niveau de l’autonomie financière de la Nouvelle-Calédonie ?

Tout ce qui peut accroître l’autonomie est une bonne chose. Les transferts de l’État représentent 161 milliards de francs ou 118 milliards si l’on parle en « net », en retirant les sommes qui repartent en sens inverse. Un quart des versements nets, c’est déjà très bien. C’est une dynamique qui est saine.

Que pensez-vous du débat sur la façon de réduire les inégalités ?

Aujourd’hui, proportionnellement aux revenus, les classes moyennes paient plus d’impôts que les classes supérieures, qui bénéficient de nombreuses possibilités de défiscalisation. Certaines mesures de la réforme consistent à taxer davantage les plus hauts revenus, par l’inclusion des dividendes notamment. Cela peut sans aucun doute contribuer à réduire les inégalités. Il faut pour cela que la taxation soit en adéquation avec les capacités contributives de chacun, en tenant compte de tous les revenus. L’augmentation de l’imposition des plus hauts revenus passerait de 40 % à 45 %, cela ne me paraît pas du tout exorbitant, en comparaison avec d’autres pays, comme la France.

 

Les entreprises n’embauchent pas en fonction de la taxation, mais des perspectives de croissance, du climat des affaires.

 

Quelle efficacité en attendez-vous ?

Pour l’instant, on ne connaît pas l’utilisation qui sera faite des sommes dégagées. Si l’on obtient des ressources supplémentaires en ciblant principalement les plus hauts revenus, on peut mettre en place des dispositifs de redistribution. On peut penser aux plus petits salaires. On paye à peine son loyer avec ça, surtout avec le salaire minimum agricole (115 000 F nets pour 39 heures de travail, contre 135 000 F nets pour les autres secteurs, NDLR). L’augmenter pourrait d’ailleurs avoir des conséquences très positives non seulement sur la consommation, mais aussi sur la production agricole et l’autonomie alimentaire.

Les patrons craignent un étouffement de l’économie. Qu’en pensez-vous ?

Non, je ne vois pas comment. D’autant que la réforme prévoit de diminuer l’impôt sur les sociétés de 30 % à 25 %. C’est une mesure favorable aux entreprises. Et de toute façon, les entreprises n’embauchent pas en fonction de la taxation, mais des perspectives de croissance, du climat des affaires. Tout ce qui peut contribuer à la paix sociale, la réduction des inégalités notamment, est bon pour les affaires et pour l’emploi.

 

Propos recueillis par Gilles Caprais (© DR)