« C’était un bel ouvrage, l’accord de Nouméa, et on a raté la sortie »

Les six premiers mois du gouvernement Mapou ont été assez mouvementés. Gestion de l’épidémie, finances publiques au plus mal, crise économique font partie des dossiers brûlants. Le chef de l’exécutif doit également composer avec la collégialité et l’État, à un moment charnière de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie. Entretien.

 

♦ MESURES SANITAIRES

DNC : On a assoupli les mesures ici alors que les autres resserrent la vis avec le variant Omicron. Deux cas potentiels ont été détectés depuis. N’était-ce pas prendre un gros risque ?

Louis Mapou : On ne peut pas prendre des décisions comme on a prises la semaine dernière sans appréhender les questions que cela soulève. Nous avons encore près de 30 000 personnes qui n’ont pas un schéma vaccinal complet, ce qui induit un risque potentiel. Nous avons beaucoup échangé avec les experts sur l’ouverture, sur les jauges. Les indices que nous surveillons sont plutôt au beau fixe, dans la fourchette qu’on s’était donnée pour procéder à un assouplissement. Cette décision était donc une forme de retour, de récompense sur le degré de civisme que l’on a pu constater. Ce n’est pas gagné et nous verrons dans quelle mesure nous pourrons au besoin revenir à des mesures plus contraignantes.

Un nouveau confinement serait-il envisageable ?

On va essayer de cerner au mieux comme on l’a fait pour le variant Delta. Quand on l’a détecté dans certaines tribus, on a mis sous cloche les clusters. Ce sera la même démarche. Je ne peux pas confirmer un nouveau confinement parce que ce variant ne présente pas les mêmes caractéristiques que le variant Delta. Il pourrait y avoir des différenciations, c’est ce qu’on a déjà un peu fait avec la phase de confinement adapté. Après trois crises, la Nouvelle- Calédonie a développé un certain nombre de dispositifs et je pense qu’elle est mieux armée.

En fonction de la situation, du degré de difficulté que ça va nous poser, la gravité, on verra. En revanche, on a quand même serré à l’entrée. On a rajouté des tests à 48 heures, 72 heures après l’arrivée pour essayer de juguler au mieux la progression. En attendant nous avons formulé des demandes fortes à la population pour respecter l’isolement, se faire tester et vacciner, respecter les gestes barrières durant les fêtes. Il faut que les gens fassent preuve de responsabilité pour nous aider. Le variant nous impose d’être vigilants.

Quelle est votre position sur l’obligation vaccinale, dont l’annulation a été demandée par certains élus ?

Ce n’est pas le gouvernement qui avait proposé cette obligation. Ce sont les élus du Congrès qui ont assumé ces responsabilités. Je pense que c’était une très bonne chose. Les difficultés qui se posent sont dans sa mise en œuvre au sein des entreprises. Mais il y a eu tellement de débats, alimentés notamment par les mouvements anti-vax, qu’on a fini par perdre de vue l’intérêt de cette mesure qui a quand même aidé à la vaccination. L’obligation vaccinale et le pass sont aussi deux outils du déconfinement qui permettent de contrôler la réouverture des activités. C’est cela leur finalité.

 

En même temps qu’on décide d’ouvrir, je ne suis pas sûr que la demande d’abroger l’obligation vaccinale soit un bon signe. »

 

N’a-t-on pas atteint un plafond au niveau des personnes vaccinées ?

A priori non, de ce que nous disent les experts. Si on était à 85 %, on serait dans une sorte de zone de confort qui nous permettrait d’encaisser. C’est pour cela que, en même temps qu’on décide d’ouvrir, je ne suis pas sûr que la demande d’abroger l’obligation vaccinale soit un bon signe. L’autre chose qu’il ne faut pas oublier, c’est que l’obligation d’être vacciné pour entrer en Nouvelle-Calédonie est attachée à l’obligation vaccinale locale. Lorsqu’on s’interroge sur l’entrée d’un nouveau variant, il y a un risque qui est important. Donc sans entrer dans les débats, je serais d’avis d’être prudent.

Se pose également la question de la troisième dose rendue obligatoire pour garder un pass valide…

Le pass vaccinal a été créée par un texte national. Et il a été étendu à la Nouvelle-Calédonie. Il évolue en Métropole et il faut qu’on se démène pour voir comment les dispositifs qui vont être adoptés, comme le passage d’un pass sanitaire à un pass vaccinal, peuvent être adaptés même si on était contents de la formule. Il faut en discuter avec l’État.

Allez-vous intensifier la campagne pour le rappel ?

La campagne est déjà lancée pour les plus de 65 ans, mais on va sensibiliser sur cette question. Le gouvernement travaille sur une nouvelle phase d’ « aller vers » pour booster à nouveau la campagne.

Est-il prévu d’étendre la vaccination aux plus jeunes, comme en Métropole ?

Ce débat-là n’est pas encore ouvert chez nous.

 

♦ POLITIQUE

Vous aviez suggéré, lors de votre discours de politique générale, que s’il devait y avoir un gagnant au sortir du référendum, ce serait le pays. Le pensez-vous toujours ?

Je pense sincèrement que la Nouvelle- Calédonie renferme des types de regards, des types d’attitudes, de comportements, des relations sociales qui sont caractéristiques des petits peuples et qui, si on se débrouille bien, peuvent être positives pour sa construction. On a toujours une double attitude. Celle qu’on fait valoir publiquement pour les besoins de ceci ou cela et celle qu’on fait valoir quand on vit simplement, quand on arrive à échanger et à discuter, et c’est cela le défi. Ça peut paraître idéaliste, mais c’est à cela que je faisais appel. Je le dis d’autant plus que tous les jours, c’est mon travail au sein du gouvernement. Ici, je dois faire attention à tout le monde.

Quel regard portez-vous sur le troisième référendum ?

Je dis : dommage. J’espérais, pour des raisons politiques, mais aussi parce que je suis là, qu’on me laisserait un petit peu de temps. Je pensais pouvoir travailler en profondeur avec les uns et les autres. La crise sanitaire nous a obligés à travailler ensemble et j’espérais rebondir sur cela. Mais il y maintenant d’autres choses qui interfèrent, la présidentielle, les législatives. Et il faut rajouter le fait que les indépendantistes n’ont pas participé. Alors que si on avait pu le faire en fin d’année prochaine, je pense qu’on aurait pu arriver à poser les termes d’un débat qui serait moins imprégné de considérations qui souvent nous échappent et sont éphémères. J’ai beaucoup regretté cela et je pense que c’est une erreur qui a été commise par le gouvernement central. Ça n’aurait pas été la même chose si nos collègues avaient décidé de demander le report avec nous. Ça aurait été les Calédoniens. Et l’appel au dialogue qui est lancé aujourd’hui aurait été plus facile. Ça aurait été un geste fort.

 

Si on avait pu le faire en fin d’année prochaine, je pense qu’on aurait pu arriver à poser les termes d’un débat qui serait moins imprégné de considérations qui souvent nous échappent et sont éphémères. J’ai beaucoup regretté cela et je pense que c’est une erreur qui a été commise par le gouvernement central. Ça n’aurait pas été la même chose si nos collègues avaient décidé de demander le report avec nous. Ça aurait été les Calédoniens. Et l’appel au dialogue qui est lancé aujourd’hui aurait été plus facile. Ça aurait été un geste fort. »

 

Justement, est-ce que les indépendantistes pourraient saisir la main tendue par les loyalistes ?

Ça va être compliqué. Ou sinon, il faut sortir d’un enfermement dans un statut au sein de la République, qui est évoqué comme la logique du résultat du scrutin. En d’autres temps, on avait dit que le résultat électoral ne suffisait pas. Là, encore moins. Ça ne peut pas être une forme de référendum d’autodétermination comme on l’entend classiquement. Le peuple premier n’a pas participé du tout. Et puis les indépendantistes ont montré quelque chose qui doit forcer une écoute plus attentive. Ils ont demandé à leurs maires de tenir les bureaux de vote, ils ont décidé de jouer le jeu, ils ont demandé à leurs gens de rester calmes. Nous, on est de la génération qui a tout vécu. Je fais partie des négociateurs de 1988 et en 1998, on était là aussi. C’était un bel ouvrage l’accord de Nouméa et on a raté la sortie, c’est affligeant.

Certains voient plutôt cette non-participation comme un refus d’obstacle qui a permis aux indépendantistes de ne pas perdre, de sortir la tête haute. Qu’en pensez-vous ?

Quand vous voyez qu’il n’y a que 2 000 à 3 000 voix qui séparent le score réalisé par nos collèges et le score réalisé par les indépendantistes en 2020, j’ai envie de dire que c’est peut-être ce risque-là qui était pressenti du côté de l’État. Pour moi, la France voulait garder la main parce qu’elle était pratiquement certaine qu’on gagnerait. D’ailleurs, nos adversaires avaient un boulevard, pas d’opposant et les médias, les forces de l’ordre, le document du Oui et du Non (…). Selon moi, c’est pour cela qu’il a maintenu à tout prix ce référendum, malgré la décision des indépendantistes. Si le Oui l’avait emporté, l’État n’avait plus la main. Là, il la garde au moment où il est mis à mal dans sa stratégie géopolitique dans la région, avec l’émergence de l’alliance entre la Grande- Bretagne, les États-Unis, l’Australie. La France n’a pas encore défini son axe indopacifique. En plus, c’est un rôle qu’elle veut jouer au nom de l’Europe. Et depuis le Brexit, la Grande- Bretagne a tout le Commonwealth.

 

♦ FINANCES/ÉCONOMIE

Lors de sa venue, Sébastien Lecornu a sollicité les élus du gouvernement et du Congrès pour travailler sur les dossiers urgents en repoussant quelque peu le dossier institutionnel. Est-ce que vous vous inscrivez dans cette démarche ?

Je vais dire que c’est lui qui s’inscrit dans ma démarche, parce que c’est ma responsabilité et non la sienne. J’aurais bien voulu que l’État joue un rôle beaucoup plus incisif avant qu’on arrive dans la gestion d’un pays qui, parce qu’il n’a pas été réformé au moment où il fallait, est dans une situation compliquée. J’ai la faiblesse d’envisager que Sébastien Lecornu pense qu’il peut profiter de la présence des indépendantistes pour faire les réformes qu’il n’a pas réussi à imposer aux autres ou qu’ils n’ont pas voulu faire avant. Mais je ne m’offusque pas.

Parmi les urgences, il y a l’état des finances publiques. Où en êtes-vous ?

Parmi les engagements, il y a celui de mettre en place les mesures qui étaient attachées au prêt de 28,6 milliards francs. Ce sont les taxes comportementales, le sucre, le tabac, l’alcool. On va les présenter d’ici la semaine prochaine. Celle sur le sucre va prendre un peu de temps, jusqu’en janvier. Elles sont fléchées sur les difficultés des comptes sociaux, notamment du Ruamm.

D’autres mesures sont-elles prévues ?

Nous avons une autre réforme qui concerne l’augmentation de la CCS (contribution calédonienne de solidarité). Nous allons bientôt présenter des mesures liées au déplafonnement des cotisations sociales, ce qui ne touchera pas énormément de personnes. Mais, pour des raisons d’équité, c’est important que certaines catégories qui ne payent pas de cotisations sociales puissent émarger, c’est de la solidarité.

D’autres étaient déjà sur le bureau du Congrès, notamment la taxe minière, qui vont être bientôt examinées pour qu’en début d’année, elles puissent être appliquées. La difficulté, c’est que nous avons bénéficié d’un prêt de l’AFD (Agence française de développement) pour lequel aucune ressource n’a été fléchée pour le remboursement.

À travers cela, on veut lancer un signal à la population et aux bailleurs financiers pour dire que nous sommes prêts à assumer nos responsabilités. La Nouvelle-Calédonie ne peut pas continuer à vivre des bons offices de la Métropole sans avoir à assumer ses choix.

Certains estiment, notamment dans le monde économique, que l’assainissement des finances publiques ne peut pas seulement passer par l’augmentation des taxes, est-ce que le gouvernement envisage également de réduire les dépenses ?

Oui, on a un programme de maîtrise des dépenses qu’on va mettre en œuvre. Nous allons fusionner un certain nombre de directions et des établissements. En matière d’augmentation de la rémunération de la fonction publique, nous allons regarder quels sont les niveaux que nous allons intégrer. On poursuit ce qui a été commencé par Thierry Santa et Philippe Germain.

 

Nous travaillons surtout sur 2023. 2022 est une année de transition. On doit poser les choses, il y a des réformes à faire. C’est un chantier à ciel ouvert. »

 

Vous annoncez aussi un plan de relance…

Nous avons la possibilité, grâce à la garantie de l’État, de contracter un nouveau prêt de 25 milliards et nous allons, j’espère, pouvoir tirer une partie de ce prêt pour financer le plan de relance. C’est en discussion pour avoir un investissement de cinq à sept milliards de francs. Parce que la relance ce sont des travaux, du soutien aux entreprises, etc. Il faut donner des perspectives au monde économique. Nous préparons le débat d’orientation budgétaire pour la mi-janvier. J’ai demandé qu’on puisse y attacher trois plans : la réforme de la protection sociale et des comptes sociaux, la relance économique et la réforme de la fiscalité.

Pensez-vous arriver à boucler le budget 2022 ?

Nous allons réussir à le boucler sur la base des 25 milliards, mais ce sera encore un budget contraint. Il sera possible de faire des modifications en milieu d’année sur la base des premières mesures fiscales que nous comptons présenter dès le premier semestre, notamment la réforme de la TGC. Nous prévoyons qu’elle puisse entrer en vigueur à partir du second semestre.

Un budget contraint signifie que le niveau d’investissements va être à nouveau limité ?

Nous sommes en train de travailler sur un plan pluriannuel d’investissements, dont la Nouvelle-Calédonie est dépourvue, pour voir les réalisations que nous pouvons porter dès 2022 dans le cadre de la relance, mais nous travaillons surtout sur 2023. 2022 est une année de transition. On doit poser les choses, il y a des réformes à faire. C’est un chantier à ciel ouvert. C’est un pays qui, sur chaque sujet, doit remettre tout à plat pour repenser complètement la suite. C’est extraordinaire.

 

♦ SOCIÉTÉ

Dans votre discours de politique générale, vous avez largement évoqué la cohésion sociale et les inégalités, qu’est-ce qui est prévu dans les mois à venir sur ces sujets ?

Sur cette grande thématique de la cohésion sociale, on a ciblé des domaines qui pouvaient avoir un impact déterminant comme la question du décrochage à l’école et la difficulté qu’elle a à traiter la diversité de son public. On a aussi ciblé la jeunesse en difficulté et on a retenu le thème du dialogue social, de l’action de la famille, des filles-mères et des violences faites aux femmes.

Concernant les inégalités, on souhaite avoir une approche globale. On compte organiser, au premier trimestre, une grande réflexion, une sorte d’assises des inégalités.

 

On peut attendre maintenant de l’État et des Loyalistes qu’ils nous disent le statut qu’ils proposent. »

 

Vous avez également parlé d’appartenance au pays. Les trois référendums ont tendu les positions binaires, comment dépasser ce clivage ?

On va laisser passer la présidentielle et les législatives. La Nouvelle-Calédonie a besoin de calme pour discuter. Ce que je peux dire, c’est que nos collègues ont fait campagne, le Non a gagné, l’État et les Loyalistes considèrent que la question est tranchée et ce qu’on peut attendre d’eux, c’est qu’ils nous disent maintenant ce qu’est la suite, le statut qu’ils proposent au sein de la République. De l’hyperprovincialisation au fédéralisme, il y a un spectre très important.

 


Prise en charge du déplacement de Mickaël Forrest et de Charles Wea à l’ONU

« L’accord de Nouméa prévoit une relation avec l’ONU. On avait déjà eu des contacts avec le C24, on a fait des visioconférences avec le comité de décolonisation, donc c’était tout naturel qu’un collaborateur chargé des relations extérieures et Mickaël Forrest, membre du gouvernement chargé des relations extérieures à mes côtés, se déplacent. Il se trouve que c’était juste avant le référendum, on n’a pas toujours le choix du timing. J’en ai informé le gouvernement en séance. »

 

Le gouvernement doit déménager

La province Sud souhaite récupérer les locaux où est installé le gouvernement depuis 2002, car ils lui appartiennent. « C’est son droit. Sonia Backes m’a écrit pour m’en informer. J’ai un préavis de deux mois, jusqu’en février. Donc cela fait partie des sujets brûlants sur lesquels nous travaillons, à savoir comment je vais pouvoir loger les 90 personnes qui sont ici. Je ne sais pas si elle avait fait valoir ce droit auparavant, je constate simplement que c’est à l’occasion de ma présence ici que cela se fait. »

 

La gestion d’un gouvernement collégial

« Cela dépend beaucoup du président, s’il a envie ou pas de jouer la collégialité. C’est une histoire de caractère, j’ai un parcours qui fait que j’ai toujours fait cela. Quand vous avez dirigé l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier pendant longtemps et que vous devez faire le tampon entre les Caldoches et les Kanak, cela vous apprend. Mais cela ne suffit pas. Cela dépend aussi du degré de confiance que vous arrivez à instaurer auprès des uns et des autres et ce n’était pas évident au début. Cela va beaucoup mieux. Et cela se joue dans la relation de tous les jours. »

 

Propos recueillis par Chloé Maingourd et Anne-Claire Pophillat (© C.M.)