Caroline Gravelat sur le gel électoral : « tout dépend de ce qui sera négocié »

Portée par une partie des loyalistes et des « exclus », la question des restrictions du corps électoral revient sur le devant de la scène, à l’approche de la fin de l’Accord de Nouméa. Éléments de contextualisation avec Caroline Gravelat, maître de conférences associé en droit public à l’université de Nouvelle-Calédonie.

DNC : Pouvez-vous nous rappeler l’origine de ces restrictions qui sont actuellement contestées ?
Caroline Gravelat : La restriction du corps électoral pour les assemblées locales et pour le référendum est une revendication indépendantiste de longue date. Le FLNKS considère qu’il a obtenu ce droit avec la signature de la déclaration de Nainville-les Roches (1983). Ce document a été avalisé par l’État, mais n’a pas de valeur juridique et ne faisait pas consensus en Nouvelle-Calédonie. Il a été rejeté par les loyalistes.

Juridiquement, quand et comment ont- elles été instaurées ?
La loi a mis en place une première restriction par le biais de la loi référendaire de 1988, suite aux accords de Matignon-Oudinot. En prévision du référendum d’autodétermination, prévu à l’issue de la période des dix ans, soit en 1998, il a été acté que cette consultation serait accessible aux personnes justifiant de dix ans de résidence, donc à celles établies en Nouvelle-Calédonie avant 1988. Ce corps électoral restreint a été constitué pour le référendum de 1998 qui, finalement, n’avait pas pour objet l’autodétermination, mais l’adoption de l’Accord de Nouméa. Ont donc voté ceux qui devaient se prononcer sur l’indépendance, c’est-à-dire un corps déjà restreint. L’Accord de Nouméa a complexifié les choses puisqu’il a mis en place deux corps restreints. Le premier pour les élections provinciales, constitué sur la base du premier corps référendaire, et le second pour les consultations d’accession à l’indépendance, prévues à partir de 2014.

Le corps électoral pour les référendums fait globalement consensus, si ce n’est sur les modalités d’inscription. En revanche, le corps provincial fait débat, car les explications n’étaient pas claires. Le litige est venu des dix ans de résidence. Les indépendantistes ont estimé qu’il s’agissait de dix années à partir du référendum de 1998, donc que le corps électoral était figé à 1998, et les loyalistes qu’il s’agissait de dix années glissantes. Le Conseil constitutionnel a aussi considéré que le corps électoral était glissant, interprétation portant le moins atteinte au principe d’égalité. En 2005, la Cour européenne des droits de l’homme a, de son côté, considéré que la rupture d’égalité entre citoyens français n’était pas un problème parce que l’Accord de Nouméa est par essence transitoire. Mais en 2007, après plusieurs années de revendications, l’État a donné suite aux demandes du FLNKS et a gelé ce corps électoral. Donc dès la révision de 2008, les personnes arrivées après le 6 novembre 1998 ne pouvaient plus être inscrites. C’est de là que vient ce litige et c’est aussi la raison pour laquelle les partis loyalistes estiment avoir été lésés. Mais il est extrêmement difficile de dire qui a raison ou qui a tort puisque, encore une fois, l’Accord de Nouméa n’est pas très clair à ce sujet. En 2009, la Cour européenne des droits de l’homme, de nouveau saisie, a formulé un rejet estimant qu’elle s’était déjà prononcée. Pourtant le cadre avait changé.

Que se passera-t-il à la fin de l’Accord de Nouméa ?
Tout dépend de ce qui sera décidé. Le gel tel que prévu par l’Accord de Nouméa prendra fin, mais ce n’est pas pour autant qu’il y aura un dégel. Tout dépend de ce qui sera négocié puisque l’Accord de Nouméa sera remplacé par autre chose et ne deviendra caduc qu à ce moment là.

On entend dire que l’Accord de Nouméa est terminé puisqu’on a été au-delà de 2018. Quel est votre avis ?
L’Accord de Nouméa est conçu pour durer de quinze à vingt ans. Il était prévu que les consultations pouvaient être organisées à partir de 2014. Pour autant, elles n’ont pas commencé en 2014, mais au tout dernier moment, en 2018, alors forcément les suivantes sont décalées, toujours dans le délai des deux ans, comme l’a rappelé le Conseil d’État, et s’enchaînent. Et l’Accord de Nouméa reste en vigueur, tant que le titre 13 de la Constitution n’est pas abrogé, tant que la loi organique n’est pas abrogée. Je comprends que l’on puisse dire qu’il est politiquement terminé puisqu’il ne peut pas évoluer. Mais juridiquement, on n’est pas dans le néant. Les institutions demeurent, les dotations demeurent sur la base de l’Accord de Nouméa.

Le transfert de l’article 27 pourrait-il potentiellement conduire à l’exclusion des non-citoyens pour les scrutins municipaux ?

L’Accord de Nouméa lui-même prévoit que si les communes de Nouvelle-Calédonie ont une organisation propre, le corps électoral restreint s’appliquera aux élections municipales. Selon moi, le transfert de la compétence pour l’administration des communes permet à la Nouvelle-Calédonie de doter les communes d’une organisation propre dès lors le corps électoral restreint s’appliquera aux élections municipales. Encore faut-il que cela soit organisé juridiquement et prévu par une loi. Le Conseil d’État, dans son avis, indique que ce point de l’Accord de Nouméa n’est pas très clair et que la loi organique qui va organiser le transfert devra préciser tout cela.

La loi concernant la propriété citoyenne sur l’immobilier pourrait-elle, selon vous, entrer en vigueur ?
Elle serait très certainement jugée comme anticonstitutionnelle. Les seules ruptures d’égalité prévues par l’Accord de Nouméa, au titre de la citoyenneté, sont uniquement celles relatives au droit de vote et à l’emploi local.

C.M.

©M.D.