Bateaux de croisière : quel impact sur l’air des centres-villes ?

La pollution liée aux bateaux de croisière est inconnue du grand public. Au cœur de la ville, un navire de P&O ou de Royal Caribbean émet pourtant de grandes quantités de gaz toxiques et de particules fines. 

La croisière se porte bien en Nouvelle-Calédonie. Cette activité florissante affiche même des chiffres à faire pâlir d’envie les acteurs locaux du tourisme. Ces cinq dernières années, le nombre de bateaux a doublé, notamment à Nouméa qui compte un bateau à ses quais tous les 2-3 jours (169 bateaux accueillis en 2015). Mais les croisières n’amènent pas que des touristes en quête d’exotisme. Loin des images de rêve et de vacances, les bateaux polluent les ports d’escale où ils s’arrêtent.

C’est ce revers de la médaille que dénonce la campagne « la croisière abuse », menée en Europe par l’association France Nature Environnement (FNE) et son homologue allemande Nabu. Les deux ONG environnementales alertent l’opinion publique sur cette source de polluants dangereux pour les habitants des centres-villes.

Un paquebot à l’arrêt pollue autant qu’un million de voitures

Et pour cause. Les bateaux de croisière utilisent essentiellement comme carburant un fioul lourd, sous-produit non raffiné du pétrole, qui émet en grandes quantités de particules fines, des oxydes d’azotes (NO2), et surtout, des oxydes de soufre (SO2). Les carburants des navires ont une teneur en soufre jusqu’à 3500 fois supérieur au diesel que nous mettons dans nos voitures. Quant aux émissions de particules fines et de dioxyde d’azote, les mesures de FNE et de Nabu montrent qu’un paquebot à l’arrêt pollue autant qu’un million de voitures !

Le tableau s’assombrit encore quand on sait que les moteurs tournent en permanence à quai, pour continuer à alimenter ces mini-villes de plusieurs milliers de passagers, avec leurs restaurants, leurs piscines, leurs cinémas…

Interrogée sur le sujet, Nina Julié, élue Calédonie ensemble de la Province sud, qui vient de porter la proposition de délibération sur la qualité de l’air au Congrès le 21 septembre, rappelle que la Nouvelle-Calédonie est, comme ailleurs, régie par la convention internationale qui définit les normes sur la qualité des carburants. Mais c’est là que le bât blesse pour les ONG. Les carburants maritimes, bien que très toxiques, restent très peu réglementés, à l’exception de quelques zones maritimes en Europe du Nord et dans les eaux états-uniennes où la limite d’émissions de soufres a été drastiquement réduite.

Des solutions pour réduire les émissions existent

Pourtant, des solutions existent pour réduire les émissions. « Le passage au diesel serait beaucoup moins polluant et ne nécessite même pas de changer les moteurs », souligne Charlotte Lepitre de FNE. Changer de carburants, équiper en filtres les conduits d’échappement des fumées et alimenter les navires en énergie à terre pour couper les moteurs permettraient de réduire les émissions globales du transport maritime jusqu’à 70%.

Mais les compagnies rechignent à faire les investissements nécessaires. « Au niveau mondial, parmi les 500 navires de croisière, 10 vont au-delà des obligations réglementaires », pointe Malte Siegert de l’ONG allemande Nabu. Et aucun de ces navires ne passe en Nouvelle-Calédonie. Quant aux paquebots qui croisent dans les zones plus réglementées, ils n’améliorent pas pour autant leurs pratiques ailleurs : « Ils reviennent à des carburants de moins bonne qualité dès qu’ils en sortent », explique Charlotte Lepitre.

Les pressions auprès de l’Organisation maritime internationale pour durcir la réglementation s’intensifient, car les effets toxiques de ces polluants sur la santé humaine sont connus. La pollution de l’air est la quatrième cause de décès prématurés dans le monde. L’exposition régulière aux particules fines provoque des maladies cardiovasculaires et respiratoires, et des cancers du poumon. Leur taille (jusqu’à mille fois plus fine qu’un cheveu) leur permet en effet de s’accumuler dans les poumons et de passer à la fois dans le sang et dans le système nerveux.

Ces risques existent même à faible concentration, puisqu’on a identifié aucun seuil au-dessous duquel ces particules fines n’ont pas d’effet sur la santé. Le NO2 et SO2 sont responsables de nombreuses maladies respiratoires. Et on sait maintenant que le SO2 a des effets sur la santé à des concentrations bien plus faibles qu’on ne le soupçonnait auparavant. Ce qui a poussé l’Europe et les États-Unis à abaisser les taux d’émissions de sulfures dans certaines zones maritimes.

Aucune donnée pour connaître les impacts des navires 

« On prend conscience de l’importance de cette question avec l’avancée des connaissances », confirme Nina Julié. Les effets de ces polluants sur la santé des Calédoniens sont reconnus, grâce à deux études épidémiologiques récentes. L’une a montré en particulier comment les pics de pollution de SO2 causent des symptômes immédiats chez les enfants (fièvre, irritations, difficultés respiratoires). Selon la deuxième étude, les effets des particules fines se manifestent à plus long terme, principalement sur l’appareil cardiovasculaire.

« Mais aujourd’hui, il n’existe aucune donnée pour connaître les impacts des émissions des navires à quai à Nouméa », explique l’élue. Si des études scientifiques ont établi en Europe une relation sans équivoque entre les gaz d’échappement des cargos et plusieurs maladies cardiovasculaires et respiratoires, le lien n’a donc pas été fait en Nouvelle- Calédonie.

Pour évaluer cet impact localement, il faut mesurer les polluants émis par les navires au port. Les mesures conduites par FNE dans la ville de Marseille montre en effet l’importance du lieu de mesure : « la pollution près du paquebot est jusqu’à 20 fois supérieure à celle d’un point « témoin » à quelques centaines de mètres », raconte Charlotte Lepitre.

L’observatoire de la qualité de l’air de la Province sud Scal-Air mesure déjà les polluants dans plusieurs stations à Nouméa, mais pas dans le centre-ville. « Mon projet de délibération sur la qualité de l’air va justement permettre d’élargir le réseau de surveillance à différentes zones, dont le port et l’aéroport », souligne Nina Julié, qui est aussi présidente de l’association Scal-air. Les mesures sur le port permettront d’évaluer l’impact des croisières mais aussi du fret maritime. Ce dernier pose en effet des problèmes de pollutions identiques, les porte-conteneurs utilisant le même carburant que les navires de croisière.

Les chiffres de Scal-Air montrent des dépassements réguliers des seuils de SO2. Les dépassements les plus nombreux sont mesurés dans les quartiers Montravel et Logicoop, sous le vent de la SLN… et du port !

18-tourisme

Avec le développement des croisières, Nouméa accueille désormais un bateau de croisière tous les deux à trois jours. Il est prévu que le rythme s’intensifie encore ces prochaines années. Il est important de prendre en compte l’ensemble des externalités positives et négatives de la croisière.


Inciter les compagnies de croisière à polluer moins

Avec le développement des croisières, Nouméa accueille désormais un bateau de croisière tous les deux à trois jours. Il est prévu que le rythme s’intensifie encore ces prochaines années. Il est important de prendre en compte l’ensemble des externalités positives et négatives de la croisière.

Une fois évalué, le coût environnemental et sanitaire des croisières sera à mettre dans la balance du développement de cette industrie. Libre ensuite aux autorités portuaires et au gouvernement d’inciter les compagnies de croisière à polluer moins. De telles initiatives existent. Pour encourager la diminution de soufre dans les carburants, des ports américains ont par exemple décidé de verser une compensation aux armateurs pour le surcoût qu’entraîne le changement de carburant. En France, la loi biodiversité adoptée cet été prévoit que l’État favorise l’alimentation électrique à quai dans les ports pour les navires afin de leur permettre de couper leurs moteurs. L’enjeu sera ensuite d’intégrer ces coûts dans le prix de l’escale. Pour l’instant, il ne coûte pas cher aux compagnies de croisières de jeter l’ancre à Nouméa. Les frais de ports y sont environ cinq fois moins élevés qu’à Brisbane ou à Port Moresby. Et aucune taxe n’est appliquée par passager, à l’instar de la taxe sur les nuitées hôtelières. Il reste donc une marge de négociation !

Magali Reinert