Avenir institutionnel : une différence de tempo

« Je sais qu’en ce moment, indépendantistes et non-indépendantistes discutent, et c’est une très bonne chose, sans l’État, pour pouvoir aboutir à un accord », s’est félicité, mercredi, le ministre Gérald Darmanin. (© Y.M.)

L’État a déclenché la mécanique législative avec le passage en Conseil des ministres de la réforme constitutionnelle sur le dégel du corps électoral provincial. En Nouvelle-Calédonie, le flou persiste sur la construction d’un accord global.

L e message sur X, ex-Twitter, contient à la fois une information et une piqûre de rappel. « À la demande d’Emmanuel Macron, je me rendrai de nouveau à Nouméa mi-février, si un projet d’accord fait consensus », a écrit le 23 janvier Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer. Huit jours plus tard, le locataire de la place Beauvau annonce sa venue « une sixième fois » sur le Caillou, plutôt fin février et en compagnie du garde des Sceaux, ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti. Même si le but du voyage est d’évoquer davantage, semble-t-il, la question des services publics, son intention questionne toutefois l’avancée des discussions entre politiques locaux sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie à la suite des trois consultations d’autodétermination, leurs résultats ayant conclu au maintien du territoire dans la République française.

Un processus législatif, détaillé par l’ancienne Première ministre Élisabeth Borne fin décembre, est tout d’abord en marche. Lors du Conseil des ministres du lundi 29 janvier, Gérald Darmanin a présenté deux projets de loi. Le premier, un projet de loi constitutionnelle, réforme le corps électoral provincial, gelé au 8 novembre 1998. D’après le texte, pourront prendre part au prochain scrutin les électeurs qui, inscrits sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, y sont nés ou y sont domiciliés depuis dix années. « Cette modification rendra électeurs près de 25 000 personnes, dont 12 000 natifs », a calculé l’État.

Ces éléments seront examinés à l’Assemblée nationale et au Sénat, puis par le Parlement en Congrès à Versailles, sans doute en mars. Toutefois, « parce que le consensus politique constitue la priorité » de l’exécutif à Paris, « cette réforme n’entrera en vigueur, après son adoption par le Congrès, qu’à défaut d’accord politique entre les parties prenantes locales conclu avant le 1er juillet », avaient signalé les services de l’ancienne Première ministre, rejoints dans l’idée par Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement, le 29 janvier.

« DERNIÈRE CHANCE »

Le second texte défendu par Gérald Darmanin est un projet de loi organique de report des élections provinciales au plus tard au 15 décembre, au lieu de mai. Sa validation par la majorité des élus du Congrès de la Nouvelle-Calédonie le 17 janvier a permis de prendre le pouls de la concertation entre les groupes politiques. Voilà « des mois que l’on discute, que l’on échange, et aujourd’hui, l’État nous dit : “Vous avez une dernière chance, les six mois qui sont devant vous pour aboutir à un accord” », a noté Virginie Ruffenach du Rassemblement.

La sortie apaisée de l’Accord de Nouméa passe nécessairement par « un consensus et une solution politique partagée par l’ensemble des mouvements politiques calédoniens », estime Philippe Michel de Calédonie ensemble, et pour atteindre cet objectif, « il nous faut du temps ». Le parti de Philippe Gomès s’est entretenu, durant « une trentaine de réunions, soit une centaine d’heures », avec les groupes indépendantistes UNI ainsi que UC-FLNKS et Nationalistes. Un document sur des propositions de convergences a été produit à l’issue. De même, selon un communiqué conjoint, le FLNKS, l’Éveil océanien, le Rassemblement et les Loyalistes se sont réunis à Bourail fin janvier « pour poursuivre les discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », et ont promis de se revoir.

POINTS DIVERGENTS

Premier constat, les partis politiques calédoniens se concertent, mais en deux blocs. L’animosité entre les Loyalistes et Calédonie ensemble est notoire. Ce qui peut interroger sur le climat indispensable à l’élaboration d’un accord final.

Deuxième observation, des sujets de friction demeurent. « Les solutions pour l’avenir du pays seront à trouver entre nous, responsables calédoniens, dans le cadre des discussions en cours et qui doivent se poursuivre », a insisté Jean- Pierre Djaïwé de l’UNI mi-janvier, conscient des « points divergents qui posent le plus de difficulté », d’ailleurs faudra-t-il peut-être « les pousser à un peu plus tard ».

Dans cette liste, figure le corps électoral provincial. Le groupe UC-FLNKS et Nationalistes, qui a voté contre le report des prochaines élections ‒ « un passage en force » ‒, s’oppose au dégel dans ces conditions. Pierre-Chanel Tutugoro déplore la « légèreté dans la façon qu’a l’État de traiter le sujet qui relève d’acquis issus de discussions ». Engagée dans la contestation du référendum du 12 décembre 2021, l’Union calédonienne défend en outre sa propre vision du scrutin d’autodétermination. Un autre dossier lourd à trancher au congrès du FLNKS prévu le 24 février.

Enfin, la troisième remarque représente une difficulté de taille : les élus devront distinguer, et non mêler, les pourparlers en vue de la construction d’un accord final sur l’avenir institutionnel du territoire et la campagne électorale. Le croisement des enjeux serait malheureux.

Yann Mainguet avec A.-C.P.

 

ÉRIC DUPOND-MORETTI ÉVOQUERA
LA FUTURE PRISON

Éric Dupond-Moretti viendrait en Nouvelle-Calédonie pour la première fois en tant que ministre de la Justice. (© Amaury Cornu / Hans Lucas via AFP)

Au lendemain du lancement du processus de révision du corps électoral de la Nouvelle- Calédonie, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, a fait part, dans une vidéo, de son déplacement sur le territoire, probablement fin février, en compagnie du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.

Cette visite du ministre de la Justice est attendue depuis des mois, non seulement pour l’inauguration du centre de détention de Koné, mais aussi pour l’annonce de la construction d’une nouvelle prison dans le Sud, sans doute du côté de Koutio-Kouéta. Gérald Darmanin compte en outre aborder ici la question « des services publics », notamment les moyens des policiers et des gendarmes face aux « violences contre les femmes et les enfants » ainsi qu’en faveur de « la sécurité routière ».

 

CALÉDONIE ENSEMBLE DÉVOILE
DES « CONVERGENCES »

Calédonie ensemble lors de la conférence de presse vendredi 26 janvier. (© Y.M.)

« Le cadre républicain », formé par l’Accord de Nouméa, constituait « le plancher » de la négociation, sauf le corps électoral gelé à corriger. « Le cadre démocratique », né du résultat des consultations d’autodétermination, en représentait « le plafond ». Calédonie ensemble a dévoilé, le 26 janvier, les « propositions de convergences entre Calédoniens pour un grand accord ». Selon le parti, le groupe UNI a donné son aval pour signer le document, mais l’UC-FLNKS et Nationalistes s’y est opposé au motif « de divergences substantielles sur l’exercice du droit à l’autodétermination notamment », d’après la brochure. L’Union calédonienne et ses formations sœurs condamnent « une tentative de convergence en force » et un « numéro de voyeurisme et d’hypocrisie » en raison de la diffusion d’une « correspondance privée ».

Que contient le document de 48 pages ? Le renforcement de la souveraineté partagée pourrait se traduire par l’élargissement du pouvoir de législateur organique délégué du Congrès, ou encore par la participation du territoire à l’exercice des compétences régaliennes. À travers, par exemple, la compétence en matière de réglementation des tarifs bancaires.
Autres suggestions, le président du gouvernement serait élu directement par le Congrès, et les assemblées de province et le Congrès pourraient devenir deux assemblées distinctes. Le document mentionne en outre la construction d’une citoyenneté « calédonienne pleine et entière » ainsi qu’un droit à l’autodétermination revisité.