Au Conservatoire, les pas de danse traditionnelle kanak

FRANCE. NEW CALEDONIA. LOYAUTE ISLANDS. LIFOU ISLAND. WETR TRADITIONAL DANCERS TRIBE (Photo by SEBASTIEN LEBEGUE / ONLY FRANCE / Only France via AFP)

Les chorégraphies tribales vont se mouvoir sur les parquets du Conservatoire. Une fenêtre sur tout un pan de la culture kanak.

Àcompter du mois d’avril, quatre cours hebdomadaires d’une heure seront consacrés, le mercredi, à l’enseignement des danses traditionnelles kanak dans les studios du Conservatoire de musique et de danse à N’Géa, sans âge minimum pour s’inscrire.

Des stages pendant les vacances pourront aussi être organisés en fonction de la demande. L’apprentissage sera assuré par des danseurs de la plus grande troupe du territoire : le Wetr de Lifou. Une convention a été signée jeudi 2 février entre l’association culturelle du Wetr, le Conservatoire et le gouvernement.

« UNE ÉVIDENCE »

Cette entrée dans l’antre du classicisme, hors parcours académique, est loin d’être anodine. La politique d’ouverture et d’ancrage géographique du Conservatoire, engagée depuis les années 1980-1990 en Métropole comme ici après les accords, se poursuit. Après le département des musiques traditionnelles et des chants polyphoniques océaniens en 2010, il aura néanmoins fallu attendre de longues années pour voir entrer la danse. « Cela fait plus de dix ans que nous développons autour du département des musiques traditionnelles un certain nombre d’actions. L’idée est de continuer à inscrire notre dynamique politique sur la base de l’Accord de Nouméa », commente Mickaël Forrest, membre du gouvernement en charge de la culture. Pour lui d’ailleurs, « il n’est jamais trop tard pour faire des projets. Cela n’a pas pu être fait avant. Je ne veux pas pointer la responsabilité de mes prédécesseurs, mais c’était une volonté de concrétiser ce projet pour les enfants des quartiers, du Grand Nouméa, des tribus, afin de trouver un cadre qui leur permette de continuer à cheminer ensemble dans le futur. »

© B.B.

Pascale Doniguian, directrice de l’établissement depuis près de deux ans, mène une action volontariste à cet égard. En 2021, les cours de ukulélé ont ainsi fait leur apparition. Et « l’entrée de la danse traditionnelle permettra d’ancrer le Conservatoire dans son paysage pays. Ça nous paraît une évidence de lui trouver une place, dit-t-elle. On espère que ce seront des enfants de toutes les couleurs qui viendront soit pour se perfectionner, soit pour la découvrir. » Cette année verra d’ailleurs arriver une autre discipline populaire, le hip-hop, avec là aussi des professeurs talentueux qui en maîtrisent les fondamentaux et la transmission à tous les publics.

« LA MÊME VALEUR, LE MÊME ESPRIT »

Pour ce projet, le Conservatoire s’est appuyé sur le Wetr, une association dynamique depuis plusieurs décennies. Née au lendemain des événements, de la signature des accords de Matignon selon la volonté du grand chef Paul Sihaze pour apaiser les tensions, la troupe a soudé des générations à Lifou autour de ses pratiques culturelles, au-delà de la danse d’ailleurs. Elle a aussi beaucoup accompagné l’Agence de développement de la culture kanak dans les années de préfiguration du centre culturel Tjibaou et fut une ambassadrice incontestée de la danse kanak dans les festivals du Pacifique et d’Europe.

Depuis des années, le Wetr s’implique pour faire briller l’art traditionnel auprès des Calédoniens, des touristes (à l’aéroport, l’arrivée des paquebots, les foires) et des officiels. Elle s’est déjà illustrée en Métropole et même à l’international comme au Canada, notamment avec des projets d’association avec la danse contemporaine, grâce au nouveau souffle apporté par une jeune génération « partie pour l’ailleurs ». Des passerelles se dessineront certainement avec Julie Crétual, coordinatrice du secteur danse.

Pour le pilier du Wetr, Joseph Hnamano, cette entrée au Conservatoire, « ce n’est pas rien. C’est une reconnaissance. » Il explique que cet enseignement se fait naturellement « dans son cadre, en tribu », mais « qu’il est encore très difficile à Nouméa de trouver des espaces ». L’objectif, en tout cas, reste le même : « valoriser notre danse ». Joseph Hnamano explique pouvoir compter sur toute la jeunesse qui s’implique dans la capitale comme Jean-Gabriel Iéunesö, ou son fils Ernest Hnamano.

Les programmes des cours devaient être définis précisément cette semaine. Dans la culture kanak, les danses ont une grande valeur symbolique et spirituelle : elles appartiennent aux clans. Forcément, « ce ne sera plus la danse traditionnelle de tous les jours, mais un autre cadre avec, espère-t-il, des petits Européens. Car c’est important de partager. » Le président de l’association affiche un large sourire et une forme d’assurance. « On a l’habitude d’un autre public. La valeur est toujours la même, l’esprit aussi. »

Chloé Maingourd

Photo : Le Wetr est investi dans la transmission des pratiques culturelles et artistiques kanak depuis 1992 à Lifou et en Nouvelle- Calédonie. / © Archive AFP 2018 / Sébastien Lebegue