Anthony Tutugoro, au-delà des faits politiques

Anthony Tutugoro est le premier Calédonien à avoir soutenu une thèse en science politique sur le territoire, intitulée Analyse des stratégies de reconquête de souveraineté par le mouvement indépendantiste, mardi 12 mars à l’UNC.© A.-C.P.

Pour sa thèse en science politique, Anthony Tutugoro a observé le mouvement indépendantiste de l’intérieur, disséquant « sa pensée politique » : les différents courants, les stratégies, l’objectif de souveraineté. Animé par cette volonté de regarder le monde avec « d’autres lunettes » pour mieux le comprendre.

« C’est comme si on avait mis le bon poisson dans le bon aquarium. C’était magique », se souvient Anthony Tutugoro, à son arrivée en master de science politique à Rennes, après une licence en droit à l’Université de Nouville. Le Calédonien se sent enfin dans son élément. La discipline lui plaît, « apporte la nuance, le gris ». « On regarde les faits avec d’autres lunettes. »

La politique, l’ancien étudiant originaire de la région de Poindimié-Ponérihouen y a été sensibilisé depuis son enfance. Son environnement n’est pas étranger à son goût pour le sujet. Mais cette histoire, l’universitaire a dû apprendre à s’en distancier, afin de « regarder comme un acteur extérieur et analyser en détachant ce qui tient des relations familiales et du travail de chercheur ».

Anthony Tutugoro suit sa scolarité à Poindimié et la période du collège marque une étape dans sa prise de conscience de ce qui le passionne. « J’ai toujours eu la volonté de comprendre les choses, de ne pas en faire une vérité béate et d’aller chercher derrière. »

À LÉPREUVE DU POUVOIR

Le thème du doctorat découle de ses premiers travaux. Son mémoire de master 1 porte sur le drapeau, symbolique. « Je voulais montrer comment la difficulté de trouver un drapeau témoignait de celle à faire peuple, à trouver une voie d’identification commune. » Celui de master 2 examine le rapport qu’en- tretiennent les indépendantistes avec la violence. S’agit-il d’un moyen utilisé pour atteindre la pleine souveraineté ou une réponse circonstanciée ? « À chaque fois qu’il y a eu des faits de violence, c’était en lien avec un événement. Je n’ai trouvé aucun document mentionnant le recours à une lutte armée pour s’extirper du joug colonial. »

La suite le porte logiquement, dans le cadre de sa thèse soutenue à l’Université de Nouvelle-Calédonie le 12 mars, à explorer l’après-Accords de Matignon-Oudinot, signés pour garantir la paix. « Les partenaires se mettent d’accord pour exercer le pouvoir dans des institutions qu’ils ne contestent plus. »

Anthony Tutugoro s’interroge sur les stratégies mises en place pour accéder à la pleine souveraineté. Trois approches coexistent, classe le chercheur. « Le courant révolutionnaire, qui veut une rupture totale avec l’État ; le courant attentiste, qui laisse faire, estimant que l’État finira par lâcher la Nouvelle-Calédonie, et puis le réformiste, qui prône l’action au sein des organes de pouvoir. » L’idée est d’examiner « la contradiction interne » entre ces courants et leur évolution en fonction des époques.

« L’Union calédonienne pouvait être considérée comme réformiste au départ. Puis, en 1977, elle prend un virage indépendantiste notamment avec Jean-Marie Tjibaou, Éloi Machoro, Yeiwéné Yeiwéné, ce qui provoque une scission donnant naissance à d’autres partis, modérés ou progressistes, avant de réintégrer les institutions. » Le Palika, après sa création en 1976, quitte le Front indépendantiste « parce qu’il ne veut plus participer au processus électoral. À ce moment-là, il va être considéré comme la branche la plus radicale ».

Progressivement, le parti prend la tête de collectivités, dont celle de la province Nord. Une des conséquences est que les positions ne sont pas forcément communes. « Il y a toujours des franges indépendantistes qui ne s’incluent pas dans la majorité, on l’a vu aux trois référendums. »

OUVRIR LES CHEMINS

Pour autant, si les démarches diffèrent, elles convergent vers un objectif identique. Et le combat perdurera jusqu’à ce qu’il soit atteint, l’inscrivant ainsi dans un temps long. « Jean-Marie Tjibaou disait que le peuple kanak n’abdiquerait jamais sur sa revendication d’indépendance. J’ai posé la question aux responsables d’organisations politiques et syndicales, à des acteurs ecclésiastiques et de la société civile… Et la conclusion, c’est que ça n’a pas bougé d’un iota. »

Ce qui revient le plus dans les entretiens, c’est le fait d’arriver au stade « d’être égal à égal, d’État à État, peu importe les déclinaisons juridiques. Et ça, c’est le stade de la pleine souveraineté tel qu’il est défini par le mouvement indépendantiste ». L’universitaire s’appuie aussi sur ses observations lors de meetings, de réunions et de congrès. Une somme de quelques centaines de pages dont la visée est académique et pédagogique, précise le politiste, pour « une meilleure lisibilité de la pensée du mouvement ».

L’enseignant vacataire à l’UNC souhaite continuer à étudier ces questions. Lucide sur le nouveau rôle de modèle qu’il va endosser. « La Nouvelle-Calédonie développe progressivement ses propres cadres de référence, ceux qui ouvrent de nouveaux chemins. Cela peut donner de la confiance et de l’assurance pour dire que nous en sommes capables. Maintenant, les jeunes se disent que c’est possible. »

Anne-Claire Pophillat